Jim Murple Memorial, la mémoire qui groove
Avec son septième album, A la recherche d’un son perdu, le groupe montreuillois Jim Murple Memorial, remonte encore une fois le temps, pour confirmer sa recette : un mélange savant et actuel de ska-rocksteady-reggae, voire plus si affinités, qui sévit sur les scènes françaises depuis plus de 12 ans !
A la recherche d’un son perdu : avec son septième album, l’énergique combo montreuillois Jim Murple Memorial remonte une fois encore le fil de la mémoire, délire proustien qui adopte pour madeleines les chaloupes reggae, les effluves rhythm’n’blues, prod’ surannée de matière, de poussière, de lumière. "Dans toute l’histoire de l’enregistrement musical, 100 ans durant lesquels il est possible de dater chaque titre par la couleur du son, nous préférons les années 50/60, début de la stéréophonie, et paroxysme de la mono", raconte Romain Dallaine, guitariste, cofondateur du groupe.
"J’ai l’impression qu’à cette période, les interprètes/auteurs/compositeurs vivaient leur art de manière viscérale. Leur vie se confondait avec leur musique". A la recherche de ce son perdu, JMM refuse donc les productions numérisées, informatisées, dont le son propret aplanit les différences et les particularismes, sans ajouter l’émotion.
Dans le studio du groupe, tout est donc "handmade". De l’artisanat. De la bricole, sur laquelle les orthodoxes ne pariaient pas un sou. Des magnétophones semi-pro, des stocks de bandes de ciné, glanés chez des spécialistes, dans les brocantes, et sans l’aide d’ingénieurs du son ! Avec cette volonté d’enregistrer sans chichi, sans tralala, et l’efficacité, brute de décoffrage, qui capte l’énergie d’une chanson sans pour autant sombrer dans un quelconque "revival". Un Eden à trouver, donc, qui constitue leur marque de fabrique, comme la volonté d’avancer dans leur propre temps.
L’énigmatique Jim Murple
Car dès leurs débuts en 1996, le groupe se nourrit de toutes les marottes de ses membres, sans que l’un des protagonistes tire la couverture à soi. D’où ce chaudron musical, cette alchimie de transe, danse, répétitions, ostinatos, dans laquelle frétillent joyeusement ska, rocksteady, rockabilly, soul, jazz, gospel.
Surtout, d’emblée, la formation déterre des musiciens jamaïcains alors moins connus en France – Justin Hinds, Ken Boothe, Desmond Dekker...–, qui ont entouré de leur terreau le prophète Marley, pour les présenter à l’Hexagone. Et puis, dans ce désir de mémoire, la formation ressuscite dès l’origine ce "musicien inconnu" Jim Murple, synthèse, icône de ces "troubadours qui faisaient voyager la musique avant Universal ou Sony".
"Il représente tous ces musiciens, qui vivaient la musique de manière intègre, profonde, qui avaient forgé leur place dans la société à travers ce langage universel, et ont inspiré les Beatles, les Stones...", précise Romain. Quelle tête avait-il ? De quel instrument jouait-il ? A-t-il réellement existé ? Sur ces points, le guitariste reste discret : "Un jour, j’écrirai peut-être un livre, alors je me réserve l’exclu de ces révélations !" Et si le groupe a écumé depuis 12 ans, les scènes de France et de Navarre, il ne s’est en revanche, jamais rendu en Jamaïque. "Nous irons si un projet se présente, mais le tourisme, ce n’est pas notre truc".
Le miracle de la scène
12 ans : soit l’occasion de 1000 aventures, 1000 ruptures. Depuis la naissance du septet, une quarantaine de musiciens ont ainsi défilé dans ses rangs. Histoires d’amour, de déchirures, de colères... la vie, en somme, partagée entre le studio et les scènes, des petits bars aux grandes salles.
De chaque concert, Romain se souvient avec précision. De ces moments, à la vie-à la mort, où circulait une énergie indicible, source d’espoir, communication sublime entre l’artiste et le public, qui parfois ne prenait pas. Et puis il y a ce parcours, ce miracle renouvelé de vivre chaque jour de sa musique, de réjouir les cœurs, au lieu de répondre aux schémas tracés par l’école et la société.
Mais aussi ses revers : l’énergie dépensée, les problèmes financiers d’une économie précaire, un emploi du temps en vrac... Et puis le monde qui change. Romain a 40 ans maintenant ; son public toujours 18. Pourtant, il note une évolution : "Avec Internet qui, d’une certaine façon, limite l’imaginaire, tout en constituant une source de conscience et de culture énorme, je sens une différence de réception des émotions", explique Romain. "Il y a aussi cette politique sécuritaire, d’anticipation du malheur qui rend les choses lourdes, dures... Les gens ont du mal à se lâcher, du mal à vivre, parce qu’ils ont peur de mourir. Et je ressens ça dans le public, y compris chez les gamins. Je trouve l’ambiance moins frénétique qu’il y a 10 ans".
Vaille que vaille, JMM poursuit pourtant l’aventure. En témoigne ce septième album, A la recherche d’un son perdu, fabriqué dans des conditions rocambolesques : viré de son studio par d’"affreux promoteurs immobiliers", le groupe a dû en reconstruire un autre. A la main. Peinture et parpaing. Une histoire tissée de bidouilles qui reflète l’esprit de Jim Murple : une alternative au confort et au prémâché.
Jim Murple Memorial A la recherche d’un son perdu (Murple & Cie/Anticraft) 2010.
En concert le 8 avril au New Morning à Paris.