Prénom Kémar

Inspiré par les voyages (notamment intérieurs), la plongée sous-marine et les paliers de décompression, Prénom Betty est le disque personnel et apaisé qu’on attendait de la part de l’ancien chanteur-leader de No One Is Innocent. Un recueil d’instants suspendus déclinés en onze titres qui nous transportent de Pigalle à l’Egypte, de la pop classique au trip-hop atmosphérique, en compagnie de Dominique Dalcan (Snooze), des Valentins et de quelques autres fines lames frenchies. Interview.

L'ex-leader de No One Is Innocent revient en solo

Inspiré par les voyages (notamment intérieurs), la plongée sous-marine et les paliers de décompression, Prénom Betty est le disque personnel et apaisé qu’on attendait de la part de l’ancien chanteur-leader de No One Is Innocent. Un recueil d’instants suspendus déclinés en onze titres qui nous transportent de Pigalle à l’Egypte, de la pop classique au trip-hop atmosphérique, en compagnie de Dominique Dalcan (Snooze), des Valentins et de quelques autres fines lames frenchies. Interview.


Un premier album solo qui dessine un paysage troublant, entre deux eaux, ponctué par deux sommets faisant office de phares : l’un dance-groove (la deuxième moitié du morceau-titre) et l’autre rocknoisy (la fin de Carrémagique), comme pour prévenir l’auditeur de ce qui l’attend sur scène dans quelques mois. A savoir un développement toujours aussi charnel mais nettement moins feutré. Précédé par un premier single réalisé en collaboration avec Les Valentins, Le Long du cou, et entouré de connotations gainsbourgiennes et godardiennes, Prénom Betty constitue un véritable nouveau départ pour cet ex-activiste rock devenu artiste serein. Il nous explique son nouvel état d'esprit dans un entretien donné avant les élections présidentielles françaises.

Au sein de No One, tu donnais un peu l’impression d’un type porté sur le rock bruyant à la Rage Against The Machine qui aurait lu Noam Chomsky (linguiste américain de gauche, NdlR). Les apparences étaient-elles trompeuses ?
Je ne sais pas. Quand on a vingt-deux ou vingt-trois ans, il y a des choses qu’on a envie de dire et en fait, le détonateur de la démarche artistique du groupe a été son nom, No One Is Innocent, qui était tiré d’un titre des Sex Pistols. A partir de là, j’ai eu comme un feu vert intérieur pour parler de choses qui me tenaient à cœur depuis longtemps, en particulier le racisme. Et puis il y avait aussi un climat politico-social propice à une certaine révolte. C’est-à-dire qu’on était en plein dans la période où Le Pen faisait quinze pour cent aux élections, avec un gouvernement Juppé complètement incohérent par rapport à tout ce qui se passait. Et donc il y a eu toute une vague de groupes qui comme nous ont eu envie à un moment donné d’utiliser la musique pour faire passer leurs idées.

Et puis, après deux albums (dont le premier fut certifié Disque d’or) et énormément de dates à travers la France et les pays francophones, tu as décidé de mettre un terme à l’histoire No One...
J’ai décidé d’arrêter parce que musicalement et humainement parlant, ça ne collait plus entre nous. Je n’avais pas envie de devenir un fonctionnaire du rock, bien assis sur ses ventes de disques mais sans vraies convictions. Il fallait absolument qu’il y ait un vrai fond derrière tout ça. D’un point de vue artistique global, je ne me retrouvais plus dans ce que faisait le groupe. À la fin de la deuxième tournée, je suis parti m’exiler pendant un mois et demi dans un village aux Philippines. Pour me reposer et faire le point. Quand je suis rentré, les autres étaient en studio et j’ai découvert une espèce de cimetière qui m’a vraiment dissuadé de continuer cette aventure. Et puis il y avait aussi un problème de confiance : s’il y a quelqu’un qui était censé bien connaître ce groupe, c’était quand même moi... et je crois qu’il y en a certains qui ont voulu être calife à la place du calife. La communication et la passion avaient disparu depuis un moment. Moi, j’avais fait ce groupe pour être en phase avec le public et avec des gens qui me plaisaient. Donc quand je me suis aperçu que ce que je cherchais n’était plus là, je me suis tiré. Enfin, je pense que j’avais aussi besoin de laisser tomber le fardeau idéologique qui pesait sur mes épaules.

Pourquoi tes anciens compagnons de route n’ont-ils pas continué sans toi ? Parce que tu possédais le nom ‘No One Is Innocent’ ?
Non, mais je crois que ça n’aurait pas eu de sens. J’étais le seul membre du groupe qui était mis en avant, le public l’identifiait à ma personne. C’est une question de logique.

Ensuite, il y a eu l’étape intermédiaire : le projet Manta 1000...
Disons que ma culture musicale a toujours été assez variée mais je n’avais pas eu l’opportunité de montrer que j’aimais le funk, le jazz, Fela, ces musiques-là. Et en plus, pour moi il était hors de question de refaire la même chose qu’avant. J’ai donc créé ce collectif avec deux potes, Loo et Placido et on est parti dans des compos, des remixes, des musiques de film ( Cours Lola Cours), en essayant de trouver notre propre univers. Mais au fur et à mesure des morceaux, il s’avérait qu’il y avait deux atmosphères qui se dégageaient : grosso modo, la mienne et la leur. Et puis voilà tout à coup j’ai eu le déclic : je me suis dit que c’était le moment de faire ce qui me correspondait vraiment. Sans pour autant partir dans un délire ultra-perso puisque j’ai continué à travailler avec des gens.

Il y a pas mal de samples sur ton album, c’est toi qui est aux machines ?
Je préfère être juste derrière celui qui utilise la machine, ça me permet d’avoir le recul nécessaire. Je donne des indications.

Ton disque s’inscrit dans ce courant post-moderne difficile à étiqueter, il y a tout un mélange de genres...
Après No One, je savais juste que je voulais quelque chose de carrément différent, sans murs de guitares. Je voulais un album qui ne te laisse pas épuisé au bout de quatre morceaux. Il me fallait laisser respirer la musique et placer les mots aux bons moments. Après, il y a plusieurs couleurs sur la palette. Pour résumer, on peut dire que c’est l’album d’un mec qui en a eu marre de faire la guerre. C’est un disque apaisé, mais qui cache plein de frissons, de tensions, d’énergie... et tout ça va ressortir sur scène. Un peu à l’image de Tricky qui fait des albums introvertis, bourrés d’émotions, et se déchaîne ensuite en concert.

Ton écriture est assez littéraire, parfois même un peu cryptique...

J’aime laisser la porte ouverte à différentes interprétations : un morceau comme Underground peut être vu sous l’angle du suicide, de la mort, de la drogue... Disons que je suis passé de la revendication à la suggestion. Et puis j’aime trop les mots pour ne pas les mettre en valeur. J’injecte de la poésie parce que c’est elle qui fait voyager l’esprit. Sinon, je me suis beaucoup plus inspiré de mes expériences et souvenirs que de bouquins. Le titre Prénom Betty parle d’une pute de Pigalle qui nous a fait tripper pendant des années. Je lui ai inventé ce prénom parce que son sex-appeal évoquait pour moi l’immense Betty Davis, la reine incontestable du funk des années 70 et une de mes idoles. (Rien à voir donc avec l’actrice Bette Davis, NdlR.)

Vocalement parlant, tu emploies souvent la technique du voice-over à la Gainsbourg...
Ouais, mais je chante aussi par moments. Bon, je te vois venir... Depuis quelques années, on nous bassine avec les chanteurs et chanteuses à voix qui ne racontent rien. Ce sont juste des pantins, ils leur manquent les mots et la sensibilité. Personnellement, la technique n’est pas vraiment ce que je recherche dans la musique. Je préfère Dominique A à Garou, par exemple. Il y a une vraie différence entre la personnalité d’un auteur-compositeur et celle d’un interprète. Ce qui est important, c’est la notion d’intemporalité : pouvoir faire un disque ou un film et se dire dix ans après que ça n’a pas vieilli. Quand j’écoute le Poinçonneur des Lilas aujourd’hui, je ne me dis pas que c’est daté ou dépassé.

Pour finir, on sent que tu as passé un cap avec cet album-bol d’air...
Pendant un moment, je me suis bien pris la tête et remué le couteau dans le bide, notamment parce que je me sentais prisonnier de mon image. Il fallait que je trouve la clé pour sortir et ça passe par des remises en question, par une façon d’aborder tes nouvelles compos complètement différente... c’est dur. Il y a eu une étape de doute où je cherchais mes repères. Maintenant que l’album est fini, je suis content du résultat. J’ai la sensation d’avoir trouvé le lien entre l’ambiance musicale et le texte. C’est un point capital pour moi, j’ai même parfois tendance à trop focaliser là-dessus. Je suis constamment à la recherche de cette osmose, de la magie en fait.

Oscar Happas

Kemar Prénom Betty (Barclay 2002)