Eddy Mitchell
Arrangements millimétrés, voix suave et textes doux-amers, Eddy Mitchell livre comme à son habitude un album très professionnel. Frenchy, enregistré aux Etats-Unis avec la crème des musiciens, laisse pourtant un arrière goût un peu désagréable… Comme une sensation de déjà-entendu.
Léger ronron…
Arrangements millimétrés, voix suave et textes doux-amers, Eddy Mitchell livre comme à son habitude un album très professionnel. Frenchy, enregistré aux Etats-Unis avec la crème des musiciens, laisse pourtant un arrière goût un peu désagréable… Comme une sensation de déjà-entendu.
Ecouter un nouvel album d’Eddy Mitchell, c’est comme retrouver un vieux copain de lycée. On parle du bon vieux temps. Très vite, on tourne en rond, les mêmes rengaines… Frenchy, c’est ça avec une musique que les moins de 35 ans ne peuvent pas connaître. Ambiance country sur fond de pedal steel guitar, Sur la route 66 en est le titre emblématique. Croonant comme jamais, Eddy explique à un gamin que, vers l’Ouest américain, non, il n’y a plus rien de nouveau.
Enregistré au bout de cette Route 66, justement, à Los Angeles, cette dernière livraison décline toutes les vieilles facettes du rock’n’roll. Comme d’habitude, c’est Pierre Papadiamandis, fidèle compagnon, qui mijote la majorité de l’album, Michel Gaucher et Michel Amsellem apportant chacun une contribution. Les influences de Ray Charles, Gene Vincent voire Stevie Wonder sont fièrement revendiquées. La recette est archi-connue mais ces chefs connaissent les ingrédients pour épicer n’importe quel plat. Les cuivres du très bon hors d’oeuvre J’aime les interdits, invitent naturellement aux claquements de doigts et la guitare sautille à souhait sur Y’a danger. Même s’il a refusé une chanson du très tendance De Palmas, Schmoll rappelle avec Faut faire avec moi, que lui aussi sait user d’électricité.
Le double effet Schmoll
Eddy Mitchell fête ses 61 ans et parfois, radote. Je chante pour ceux qui ont le blues rôde un peu trop près d’un de ses anciens succès, le mythique Cimetière des éléphants. Sans en avoir la force. Mais n’importe quel chanteur aurait fait de ce titre une niaiserie sans nom, Monsieur Eddy, lui, sort sa botte secrète : le double effet Schmoll ! Il sur-joue les trémolos, fait durer plus que de raison le blues du refrain dans Coeurs glacés. Ce qui n’était qu’une énième chanson d’amour se change en caricature de la dure vie de crooner : "Tu sais j’ai pas besoin d’infini / Tout cet univers sans toi / ça devient étroit".
Même s’il raconte toujours les mêmes histoires de relations contrariées, d’illusions perdues, Eddy Mitchell a un talent particulier : en quelques mots, il vous fait revivre une époque. En un couplet, vous faites partie du décor. L’hommage à Serge Gainsbourg dans Au bar du Lutétia ne tient que par la qualité du texte, " ses filles vivant du string minimum ". Les écrits d’Eddy sont des scénarii où gros plans et revirements s’enchaînent. Reality Show n’aurait pu être qu’une dénonciation facile de la télé réalité. Coup de théâtre, c’est finalement la solitude d’une femme trompée qui tient le premier rôle. Chronique d’une vie par procuration, devant son poste de télévision. Ce divertissement, aussi indigent et formaté soit-il, lui permet tout bonnement de continuer. A vivre ? Non, à supporter de vivre.
Détaillant de nostalgie
Depuis plus de vingt cinq ans, Eddy Mitchell promène son regard désabusé sur la planète et les hommes. Les Etats-Unis comme il les a rêvés, n’existent pas et peut-être même n’ont-ils jamais vu le jour. Là-bas maintenant, tout est réglementé, " la tendance à traverser dans les passages piétons s’aggrave1 ". J’aime les interdits est d’ailleurs né sur un parking de Los Angeles. Et c’est, dit-il, simplement pour éviter les tentations parisiennes qu’il a enregistré Frenchy outre-Atlantique.
Contrairement à son "petit frère", Johnny, il ne prend pas ses chansons à bras le corps. Comme accoudé au comptoir d’un bar, il raconte simplement ce qu’il voit. Les sentiments ne sont pas magnifiés mais partagés. Ses pirouettes (" Tant que les Américaines continueront à grossir, je continuerai à fumer1 "), cet air bourru qu’il arbore, reste plus que jamais une manière de se protéger. Car l’homme n’est pas seulement spectateur de ses chansons : "plus le temps passe et plus le doute s’installe. Dans ce métier, vous valez exactement ce que vaut votre dernier disque. Bien placé aujourd’hui, il peut dégringoler demain2. "
Avec cet album, Eddy Mitchell puise une nouvelle fois dans son fond de commerce, la nostalgie, et si vous aimez le bonhomme, vous ne serez pas trompés sur la marchandise. Vous retrouverez votre copain de lycée, inchangé. Pour les autres, même si vous savez que tout ça c’est du cinéma, vous aurez parfois l’impression, au détour d’une phrase, d’avoir affaire à du sur-mesure. Vous ne porterez peut être pas Frenchy tous les jours mais dans quelques mois, vous le ressortirez, en vous disant, vous aussi, que " c’était le bon temps ".
1La Tribune de Genève 31 mai 2003
2Le Matin 3 juin 2003
Eddy Mitchell Frenchy (Polydor) 2003