Julien Clerc : étape Vancouver

Mercredi 28 avril, c'est sous une lune bien pleine que l'équipe de Julien Clerc atterrit à Vancouver. Dans cette verdoyante cité de la côte ouest du Canada, cernée par le Pacifique d'un côté et les Rocheuses de l'autre, va avoir lieu le septième récital de sa tournée nord américaine que RFI Musique suit pour vous pas à pas. Alors que le chanteur s'apprête à retrouver dans quelques heures au Vogue Theatre un public anglophone qu'il avait un peu délaissé lors de son escale québécoise des 26 et 27 avril, nous nous sommes entretenus avec lui pour en savoir un peu plus sur cette odyssée française en Amérique.

Entretien sur la Côte Ouest

Mercredi 28 avril, c'est sous une lune bien pleine que l'équipe de Julien Clerc atterrit à Vancouver. Dans cette verdoyante cité de la côte ouest du Canada, cernée par le Pacifique d'un côté et les Rocheuses de l'autre, va avoir lieu le septième récital de sa tournée nord américaine que RFI Musique suit pour vous pas à pas. Alors que le chanteur s'apprête à retrouver dans quelques heures au Vogue Theatre un public anglophone qu'il avait un peu délaissé lors de son escale québécoise des 26 et 27 avril, nous nous sommes entretenus avec lui pour en savoir un peu plus sur cette odyssée française en Amérique.

RFI Musique : Cette première tournée américaine a t'elle un petit parfum particulier ?
Julien Clerc : Oui, parce que le concept de ce spectacle permet plus facilement de passer devant des gens qui ne connaissent pas forcément ce que j'ai fait. Par les nouveaux arrangements, les chansons se rapprochent peut-être plus de leur vérité première, elles ressemblent peut-être plus à ce qu'elles étaient lorsqu'elles ont été composées. Et comme ce spectacle fait une grande place à la performance vocale et aux textes, ceux qui parlent français sans connaître les chansons, sont plus à même d'apprécier. Et pour ceux qui ne connaissent pas, les mélodies sont assez mises en valeur parce qu'elles ne disparaissent pas derrière les arrangements. Donc, c'est sans doute le spectacle idéal pour tourner hors de ses frontières en particulier face à un public musicien comme le public américain. J'ai été assez surpris de l'accueil des publics anglophones qui ne connaissent pas ce que je fais et qui sont très très enthousiastes.

L'Amérique a toujours été une source d'inspiration dans votre travail ?
Evidemment. Au niveau des textes, de la musique, mais aussi de l'attitude. Même si je me situe dans une tradition française que je revendique, l'Amérique fait partie des rêves de toute une génération. Je me souviens même de Bécaud me parlant de Sinatra. Donc vous voyez, ça ne date pas d'aujourd'hui. Evidemment, il y a un rêve américain qui sommeille au fond de toute personne qui fait de la musique. Ce qui est amusant dans ce cas, c'est que ça m'était complètement passé, et que de revenir comme ça très sereinement, et que ça se passe bien, c'est une bonne surprise.

Justement, un quotidien de Denver parle de vous comme d' "un chanteur de charme dans la lignée d'un Bécaud ou d'un Aznavour". Vous reconnaissez-vous dans cette lignée ?
Oui. Il faut bien qu'il y ait une imagerie qui corresponde à la chanson française qui est un champs de ruine ici, il faut bien l'avouer. Les repères sont très peu nombreux. Donc, c'est vrai que la chanson française véhicule quelque chose, comme la chanson latine par rapport à la chanson anglo-saxonne, qui a beaucoup à voir avec le charme. Ce n'est pas pénalisant.

Vous vous sentez dans la peau d'un crooner ?
C'est vrai que j'ai beaucoup chanté l'amour, mais crooner, c'est une notion très précise, très américaine. Chanteur de charme, ça ne veut pas dire crooner .

Comment expliquez-vous que beaucoup d'artistes français viennent travailler aux Etats-Unis, enregistrer, tourner des clips, mais que ce soit si difficile d'y chanter sur scène ?
Quand vous venez enregistrer, vous leur donnez de l'argent et vous venez vous servir de leur savoir-faire mécanique, technologique. Vous venez humer un air qui est bon pour la créativité. C'est intéressant de travailler avec des producteurs locaux. Ca fait un choc des cultures. Mais on sait que quand on enregistre ici, ce n'est pas pour y sortir un disque en général. En plus, ils sont extrêmement protectionnistes sur le plan culturel. Je crois surtout que beaucoup de gens s'en fichent de la culture des autres. Et en même temps, avec la montée du marché hispanique, je pense qu'il y a une place énorme pour la différence.

Les Français sont un peu assimilés à de la world music ici.
Oui, mais pourquoi pas ?

Vous tournez dans de nouveaux lieux avec une nouvelle formule. Etes-vous en train de vous renouveler ?
Ah, mais ça y participera sûrement beaucoup parce que, comme toute nouvelle expérience, ça me fait découvrir autre chose sur mon métier. J'ai jamais été bon pour parler sur scène par exemple. Et avec ce spectacle, je me suis dit que sans basse ni batterie, il fallait qu'il y ait de la parole. J'avais envie de partir avec très peu de monde sur scène sans savoir très bien où j'allais. Je suis assez instinctif, je pilote à vue. Ca a donc abouti sur une forme de spectacle qui était plus ou moins ce que je voulais. Du coup, on l'emmène ailleurs et ça m'a obligé de me bouger pour les textes des interventions entre chaque chanson. Je me suis toujours exprimé sur scène, par la scène. Tous les passages importants de ma vie d'artiste se sont toujours déroulés sur scène. Tous les combats que j'ai gagnés, c'est par la scène, même en France. Quand il a fallu remonter des petites pentes, prouver des trucs, c'est passé par la scène, par des paris. Sur un plan musical, le fait d'avoir remanié des chansons, d'adapter des partitions rythmiques pour en garder la pulsation mais sans le fatras des basses et batteries, ça fait faire un travail différent qui va sûrement être bon pour la suite. Ca me fait réfléchir. De plus, j'aime reprendre les chansons des autres, devenir interprète. Tout va sûrement m'aider à tourner une nouvelle page dans mon chemin.

Sans la scène, votre métier a t'il le même intérêt?
Le truc c'est que je me suis énormément détendu sur scène. J'ai toujours adoré ça mais ça a été pendant longtemps, une épreuve forte. Maintenant, j'ai gagné en confiance, même si ça a été long. Depuis vingt ans, les gens ont sans doute l'impression de voir de voir quelqu'un de différent. C'est amusant parce que j'ai toujours cultivé l'art du contre-pied par nécessité. J'essaie avec chaque disque de réagir au précédent. Donc, avec ce spectacle, ça fait une nouvelle corde à l'arc. Finalement, c'est ça avancer dans la vie, c'est ça vieillir, utiliser ce qu'on connaît, de le mettre en forme. C'est une histoire qui continue.

En parlant de renouvellement, où en êtes-vous de vos projets de comédie musicale avec Luc Plamondon ?
Je ne sais pas. Je sais que Luc est le seul aujourd'hui à s'investir sur de tels projets dans la langue française, le seul avec un tel savoir-faire. Mais aujourd'hui, je ne peux rien vous dire.

Et une expérience de troupe, ça vous tenterait ?
Oui, j'avais beaucoup aimé ça quand je l'avais fait (ndlr, dans "Hair" en 1969). Ca fait des spectacles différents, mais je ne vous cache pas que j'aurais une certaine appréhension. Ce n'est pas quelque chose qui est complètement entré dans les mœurs chez nous.

Etes-vous attentif aux nouvelles tendances musicales, et en particulier aux musiques électroniques ?
J'entends.

Mais vous n'intégrez pas forcément ?
Si, on intègre toujours. Surtout quand on aime la musique, on récupère. On passe sa vie à récupérer des choses et à s'en servir. Il faut sans se trahir, intégrer les techniques et les attitudes nouvelles face à la musique, et s'en servir si ça colle avec ce qu'on fait. C'est aussi ça, j'imagine, faire des disques contemporains. Mais si demain, je fais un disque qu'avec des boucles, ça n'intéressera personne. C'est ridicule. Le rap - et Dieu sait que je n'aime pas tout dans le rap - a mis dans nos oreilles une nouvelle façon d'entendre la musique. Il faut en tenir compte.

Justement, un rappeur a samplé quelques mesures de "C'est une Andalouse". Qu'en pensez-vous ?
C'est marrant. Pour moi c'est un honneur. Un autre groupe avait récupéré un truc de "Yann et les Dauphins". Mais ce n'est jamais sorti. En tous cas, je trouve ça formidable, évidemment.

En mai, vous vous envolez pour l'Asie. Adaptez-vous vos spectacles aux différents publics ?
Ah non ! Je vais faire ce spectacle là. Bon, pour ici, j'ai enlevé deux trois chansons. J'ai remplacé Ferré par Piaf. Je me doutais que Piaf voudrait dire plus de choses pour des anglophones qui supportent de la chanson française pendant deux heures. Il faut leur mettre quelques repères. Mais sinon, c'est le même spectacle. Et je ne connais pas suffisamment la culture chinoise pour adapter le répertoire. J'y vais vraiment beaucoup plus dans le brouillard. On verra bien.

Un artiste manque dans le lot de vos reprises, c'est Gainsbourg ?
Oui, mais je ne sais pas si je ferais ça bien. J'avais fait "Elisa" il y a quelques années. Mais il a plein de gens qui manquent vous savez. J'ai choisi une certaine génération de chanteurs. On ne fait les choses bien que lorsqu'on est sincère. De cette génération là, j'aurais pu mettre Montand. C'était un artiste que ma mère adorait. Je n'étais pas élevé par ma mère donc je la voyais le week-end et j'écoutais tout ça chez elle. J'entendais toutes ces chansons là chez elle. Je ne reprends donc pas simplement des chansons. Tout est lié à des souvenirs précis auxquels je repense chaque soir quand je les chante. Quand je chante Bécaud, je repense à chaque fois à toutes ces tournées que j'ai faites avec lui.

La tournée est organisée par les Alliances françaises, qui ont un rôle essentiel dans l'enseignement du français à l'étranger. Vous voyez-vous comme un ambassadeur de la langue française quand vous êtes à l'étranger ?
Oui. "A mon âge et à l'heure qu'il est", comme me l'avait écrit Maxime (Le Forestier, ndlr), je peux me considérer comme un ambassadeur parce que j'ai un certain vécu derrière moi et que ça me fait plaisir d'être un ambassadeur pour ce dont je me suis battu toute ma vie qui est la chanson d'expression française. Je le fais à ma façon. J'ai réglé tous mes comptes avec tout ça. Aujourd'hui, je sais pourquoi je suis là. J'ai intégré le fait d'être " un chanteur français ", même si j'en ai parfois dévié en enregistrant en anglais. Mais on n'est jamais aussi bon que lorsqu'on fait ce qu'on sait faire, lorsqu'on véhicule la musique de sa langue, etc. Une fois qu'on a compris ça, on n'a même plus envie d'en sortir. J'ai fait un disque en anglais mais au fond de moi-même, j'avais un goût âcre dans la bouche parce que c'était difficile de prendre un accent spécial. Ce n'était vraiment pas naturel. Une chanteuse anglaise m'avait dit à l'époque que j'étais courageux de faire ça, ce que je n'avais pas compris. Mais maintenant, je sais qu'elle avait raison et ça m'a conforté dans ce que je pensais . Je suis Français et fier de l'être.

Dans cette tournée, tous les publics ne comprennent pas vos textes, mais ça n'empêche pas l'émotion de passer ?
Je pense. Toutes les chansons ne résistent pas à ce tamis. Mais celles qui sont vraiment fortes résistent et se font un chemin à travers l'incompréhension linguistique. Quand vous écoutez Vinicius de Moraes, on a la chair de poule et pourtant, on ne comprend rien.

Cette entrevue est diffusée sur Internet. Utilisez-vous ce nouveau média ?
Je ne l'utilise pas mais je trouve ça génial ! Je suis très en retard et j'en ai conscience depuis que j'ai posé le pied en Amérique ces jours-ci. Ici, Internet est dans toutes les conversations, dans tous les journaux.

Avez-vous la même inquiétude que les maisons de disques en ce qui concerne les problèmes de distribution et de droit via Internet ?
Si, mais que voulez-vous ? Chacun règle ses problèmes. Moi, je dois vous avouer que je ne me suis jamais occupé de rien. J'ai toujours essayé de faire l'artiste et d'être entouré de gens qui s'y connaissent. J'ai délégué. On ne peut pas tout faire. En tous cas, pas moi. Les auteurs-compositeurs français sont les mieux protégés au monde. Quand on a, par bonheur ou par malheur, un titre qui marche aux Etats-Unis, c'est un autre problème. J'ai toujours entendu dire qu'il fallait se battre pour récupérer les droits. Mais, il y a des gens très bien pour régler tout ça.

Etes-vous heureux sur cette tournée ?
Oui ! Je me régale beaucoup. J'ai toujours aimé tourner avec cette formule-là et ça tient, je pense, beaucoup au concept de ce spectacle.