L'autre Mano Solo

L’enfant terrible de la chanson française joue à fond la carte de la renaissance festive. Sa poétique pour une fois charrie des images qui contournent largement le romantisme noir des débuts. Finies Les années sombres (East West). Le nouvel album nous délivre une facette cachée de Mano.

Retrouvailles avec la vie

L’enfant terrible de la chanson française joue à fond la carte de la renaissance festive. Sa poétique pour une fois charrie des images qui contournent largement le romantisme noir des débuts. Finies Les années sombres (East West). Le nouvel album nous délivre une facette cachée de Mano.

Colère, désespoir et poésie de la mort. Des mots qui collent à même la peau du plus indépendant des chantres de la période post-punk en France. Agitateur inspiré, ayant longuement servi la cause alternative du rock hexagonal, avant de se reconvertir dans la chanson volontairement intimiste, il gravit avec succès les charts en solo au début des années 90 et se distingue par la violence de ses textes. On parle de romantisme nimbé de noir. Lui exprime ses angoisses intérieures, écrit sur l’amour et la drogue, sans prendre de gants inutilement. Rien à voir avec un commerce du tourment… Quand on a la rage au cœur, il vaut mieux la laisser s’épanouir. C’est juste une affaire de principe. En 1995, Solo l’écorché vif achève cependant de glacer crûment son monde à la fin d’un tour de chant au Bataclan : "J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer, je ne suis plus séropositif, et une mauvaise, j’ai le sida". Sans le savoir, il engage alors son discours dans un débat plutôt complexe. Certains en effet ont voulu voir en lui un porte-parole possible de la cause sidéenne. Lui n’a désiré en fait parler que de son désarroi face aux insouciances affichées par le public.

D’où cette autre diatribe qui a bousculé plus d’un esprit de fan dans la foulée : "Les gens m’aiment parce que j’ai mal/ Les gens m’aiment parce que je meurs à leur place" (Janvier). Au fond, l’artiste-peintre qui sommeille légèrement en lui, dessine durant cette période les contours d’une survie future. En promenant à l’air son mal-être, il entame dès lors un rituel d’exorcisme. Pour noyer sa peur dans les mots et celle de son public face à la malédiction du siècle. Sa musique se nourrit du brut de sa vie, le transfigure pour mieux le transcender. D’un côté, on déconstruit une réalité déprimante, de l’autre on la reconstruit en musique : l’art vu comme une échappatoire. Contre la douleur et la mort annoncée médicalement. Dans une chanson, A pas de géant, il écrit : "Rien ne m’arrêtera/ Je serai premier avant la mort/ Et bras d’honneur à l’arrivée". A force, il deviendra même un symbole du genre. Malgré lui au début. De son gré par la suite. Puisqu’il finira par comprendre que son sensible combat contre la vieille faucheuse ne peut que distiller de l’espoir sur son passage. C’est là que débute en fait sa renaissance: celle qui allait aboutir à Dehors, ce nouvel album complètement habité par le festif sur treize titres. Comme il l’avoue sur le morceau en ouverture : "mon appétit grandit de découvrir la vie".

Mano Solo a enfin trouvé le moyen de cicatriser les plaies intérieures et de croire en des lendemains possibles (""Et je taille ma route plus rien ne me dégoûte"). Finies les larmes, le dégoût et la haine, place à l’optimisme d’une nouvelle vie ("Chaque fin est d’un nouveau lendemain qu’il faut aimer"). Comme un oiseau qui s’échappe de sa cage, Mano s’envole au-dehors et y apprécie les instants vécus et à venir. Ici et ailleurs : "Il y a sûrement des pays qui valent le coup […] Des pays où le grand air fait vibrer la moindre prière". A sa suite, les mots résonnent comme autant de bras qui s’ouvrent, vous étreignent et vous embrassent. Les notes qui s’alignent également. L’album, réalisé sous la direction de son comparse Jean-Louis Solans, mêle les influences d’hier et d’aujourd’hui : ambiances jazz et rock, envolées salsa ou ska, couleur tzigane qui virent à l’africaine… Dehors pratique un voyage inter-musical subtil et sans excès. De l’accordéon comme toujours, du balafon pour surprendre. De l’énergie pour booster, de la mesure pour la nuance. Avec sa voix toujours éraillée, vacillante mais enflammée. Il y a un côté maturité au sens plein qu’on ne peut s’empêcher d’entrevoir dans cette nouvelle fournée du chanteur réaliste. Mano se réconcilie avec lui-même, pardonne à son corps et libère son âme dans un élan de générosité assumée. Il nous cause de l’Autre Solo mais n’oublie pas de mettre en toute sincérité son regard au service de la détresse d’autrui : les sans-abri par exemple dans Les habitants du feu rouge. Sans forcer le trait. Certainement parce qu’il y a des évidences qui se suffisent à elles-mêmes. Restent alors les mots d’une poésie passionnément humaine et humanisante. Enrobée de tendresse, doublée d’une sensualité toute nouvelle. Renaissance, quand tu nous tiens… Mano Solo est un autre. Que celui qui pense le contraire, s’en aille en enfer tout seul.

Mano SoloDehors (EastWest/WEA) 2000
Mano Solo au Cirque d’hiver à Paris les 2 et 3 octobre 2000