Printemps de Bouges (fin)

Bourges, le 24 avril 2000- Dernière journée du Printemps 2000, qui apparaît comme une réussite artistique et commerciale exemplaire. Souchon ferme la marche avec un concert désailé, et Arno avec toute son âme, quelques amis et un beau geste.

Arno, Souchon et bilan

Bourges, le 24 avril 2000- Dernière journée du Printemps 2000, qui apparaît comme une réussite artistique et commerciale exemplaire. Souchon ferme la marche avec un concert désailé, et Arno avec toute son âme, quelques amis et un beau geste.

C'est avec un hymne délirant et parodique de Marcel et son Orchestre, pour la libération des vaches, que s'est achevé hier soir le 24e Printemps de Bourges. Groupe de ska travesti qui rappelle d'anciennes formations dédiées à la rigolade rock, comme Au Bonheur des Dames ou Elmer Food Beat, Marcel et son Orchestre sont un phénomène de la scène française: indépendants de toute maison de disques, ils sont devenus des stars auprès d'un public adolescent turbulent et frondeur, plus soucieux de défoulement, de bonne bière et de sexualité débordante que de message politique. Et le hasard des horaires des concerts du dernier jour a fait que ce sont ces Ovnis hilares et survoltés qui ont clos un festival qui, tout en prouvant l'extrèmement bonne santé des musiques populaires en France, a célébré la tribalisation du jeune public autour de musiques de comportement, selon la formule employée par Daniel Colling, fondateur et directeur du Printemps.

Celui-ci est à juste titre pleinement satisfait d'un festival qui cumule, pour la deuxième année consécutive, une réussite artistique incontestable et un succès public à peu près parfait: 96% de taux de remplissage pour l'ensemble des soixante-deux spectacles dans douze lieux. Avec 50.720 billets vendus, le Printemps affirme avoir trouvé ses bonnes dimensions, nettement en retrait des habitudes prises dans les années 90, autour de 100.000 spectateurs - l'identité du festival en souffrait, dit Daniel Colling.

Et ce festival, ramené à des dimensions plus sages, à ses fonctions et à ses vertus premières de découverte et de révélation des nouvelles tendances et couleurs musicales, s'ouvre aussi beaucoup mieux sur la ville. Avec la complicité active du Printemps, une trentaine de bars programment au cours des six soirées une centaine de groupes off. Résultat: on estime à 150.000 personnes la foule attirée par le festival, à la plus grande satisfaction des élus locaux qui savent combien la ville attend chaque année la semaine du Printemps.

Parmi les derniers souvenirs de ce Printemps 2000, on se souviendra de l'étrange concert d'Alain Souchon sous le chapiteau, avec un son trop ouvert, saturé à la fois de basses et de médiums, exagéremment indulgent envers une rythmique qui diluait quelque peu la nostalgie générale de ses chansons - pour la douceur, il vaut mieux s'y prendre avec un peu de tendresse plutôt qu'avec les armes du rock lourd. L'impression était de voir ce chanteur tant aimé se débattre dans un environnement qui cherchait à empêcher son envol.

En revanche, Arno accomplissait un beau geste: il avait invité quelques amis - Adamo, Eicher, Miossec, Beverly Jo Scott - pour un concert donné au profit d'Amnesty International pour le respect des droits de la personne humaine.
Chanteur d'une puissance énorme et d'une fragilité avouée, d'une ferveur renversante et d'une attendrissante retenue, Arno pratique le geste ingénu, simple, nu - le rock, le blues, la vie. Dans ses propres chansons comme dans ses célèbres reprises (Le Bon Dieu de Brel, par exemple), il tonne comme un imprécateur, mais avec la même humilité blessée qu'un mendiant sur le parvis d'une cathédrale au temps de la peste noire. Et le contraste est passionnant avec la chaleur toute droite du chant d'Adamo ou avec l'élan sobre et confident de Stephan Eicher. Avec Miossec, autre grand blessé de la tempérance et de la mesure, l'identité de vertige est parfaite, mais Arno a depuis longtemps cessé de défendre les dernières apparences: peut-être personne en Europe ne sait être un tel bluesman, ne sait incarner la blessure avec une telle force. Une belle image de fin de festival, grandiose et humaine.

Bertrand DICALE