Nilda Fernandez

Chanteur romantique et voyageur impénitent, Nilda Fernandez est l'une des voix les plus singulières de la chanson française. Dans son quatrième album Castelar 704, il rend hommage à Federico Garcia Lorca, le poète et dramaturge espagnol, fusillé par les franquistes en 1938. Nilda Fernandez sera au Casino de Paris le 22 mars.

L'hommage au poète

Chanteur romantique et voyageur impénitent, Nilda Fernandez est l'une des voix les plus singulières de la chanson française. Dans son quatrième album Castelar 704, il rend hommage à Federico Garcia Lorca, le poète et dramaturge espagnol, fusillé par les franquistes en 1938. Nilda Fernandez sera au Casino de Paris le 22 mars.

RFI Musique : Votre précédent album Innu Nikamu, rendait hommage aux Indiens d'Amérique du Nord, ce dernier revient à vos amours, l'Espagne, au travers du poète andalou dont vous adaptez musicalement les vers.
Nilda Fernandez :
Je reviens à lui mais je ne l'ai jamais vraiment quitté, car Lorca n'est pas une découverte pour moi. C'est quelqu'un avec qui je vis depuis longtemps et avec qui j'ai eu envie de passer encore plus de temps. Dès mon adolescence, il a influencé beaucoup de choses dans ma vie aussi bien dans sa façon d'écrire que de voir la vie, de considérer l'art. Son écriture surtout m'a beaucoup appris, elle est liée aux cinq sens, pas du tout à l'intellect, mais une écriture dans laquelle il mêle des odeurs, des visions, des touchers. Il n'y a jamais de logique, de discours... Il se considérait avant tout comme un artiste, en ayant une fonction bien particulière dans la société. C'est aussi ce qui m'a séduit dans sa vie, et c'est un exemple pour moi.

Est-ce une manière de vulgariser un poète encore méconnu en France, bien que certaines de ses pièces y aient été traduites ?
Oui, au sens noble du terme, d'amener au plus grand nombre. Lorca est un contemporain et même si on l'étudie à l'école en Espagne, il est certes moins connu en France. C'est un peu un Rimbaud bien qu'il ait eu une vie plus longue poétiquement que celle de Rimbaud et puis Garcia Lorca, lui, n'est pas un poète maudit. Il est surtout connu pour ses pièces de théâtre, très représentées, sa poésie a été mise en français par quelques initiés...

N'est pas délicat de mettre en musique un poète tel que Lorca, et n'est-ce pas là un album dirons-nous un peu plus difficile ?
Non pas du tout, c'est très simple d'abord parce que Lorca était musicien. C'était un très bon pianiste, il a hésité entre les deux carrières, il a fréquenté les grands musiciens de l'époque comme Manuel de Falla, était l'ami de Dali, de Buñuel, il a composé, etc. Donc dans sa manière d'écrire, dans sa poésie, il y a ce qu'il faut pour la musique, en tout cas en filigrane. J'ai pensé aussi que Lorca s'identifie tellement avec la guitare qu'il ne pouvait être question d'accompagner ses vers autrement.

Trois musiciens de renom t'accompagnent dans cette aventure...
J'ai la chance d'être accompagné par deux superbes guitaristes que sont Lucho Gonzalez avec qui j'avais enregistré une milonga à Buenos Aires et que j'ai connu grâce à Mercedes Sosa. Tomatito, lui est un grand guitariste de flamenco que j'ai intercepté entre deux tournées et avec lequel j'ai enregistré à Madrid. Quant à Mino Cinelu, nous avons enregistré ses percussions dans un studio de Manhattan. La guitare flamenca de Paquete et la basse de Gilles Coquard parachèvent le tout.

Le fait que Lorca soit citoyen du monde, comme toi, a t-il pris plus de sens ?
Je vis entre l'Espagne, l'Argentine et Paris, même si je n'ai pas choisi la vie d'errance. Mais je me sens de grandes affinités avec lui car Lorca était un voyageur. Il a passé six mois en Argentine, d'octobre 1933 à mars 1934 lors de la présentation de "Noces de sang". Lors de son séjour à Buenos Aires, il logeait à hôtel Castelar chambre 704, d'où le titre de cet album. (NDRL Nilda est né un 25 octobre, jour de la première de "Noces de sang" au Teatro Avenida de Buenos Aires). Federico Garcia Lorca m'a aussi fait découvrir le flamenco. Avec le "duende", qui est un phénomène typiquement andalou. Au-delà d'un savoir-faire, d'une technique, c'est le moment où il apparaît que lorsqu'une action artistique est en train de se dérouler, il existe une frontière où les choses ne peuvent plus être dites... Il y a là quelque chose de divin. Le duende, cela pourrait être l'orgasme. Et s'il n'y a pas ça, c'est du temps de perdu pour tout le monde. Cela justifie, à mon sens, le fait de faire de la scène comme une série de belles passes devant les cornes du taureau... Tout le reste que l'on nomme spectacle est un rituel un peu fade.

C'est pour casser cette routine que tu as parcouru, l'an dernier, à roulotte et chevaux, les routes du sud de la France ?
C'était aussi un écho au théâtre ambulant de Garcia Lorca, la Barraca... avec lequel il a sillonné l'Espagne pendant les trois années précédant le franquisme. Il montait de grandes pièces du théâtre espagnol, comme pouvaient l'être celles de Racine ou de Corneille, bien que les leurs puaient la Cour. Non, eux mettaient le peuple en scène mais pas pour se foutre de sa gueule. Pour en revenir à la tournée en roulotte, évidemment, cela cassait la routine des tournées, et leur rythme... à 35 kilomètres à l'heure... on voit la vie différemment.

Y aura t-il une mise en scène particulière pour ce récital au Casino de Paris et puis pourquoi une seule représentation ?
L'atmosphère du spectacle se fera au travers de son dépouillement. Par son biais, amener à ce que le temps s'arrête un peu, qu'il y ait ce moment éternel. Je voudrais que ce soit ça le contenu du spectacle et non pas une mise en scène sophistiquée. Mais j'aurai une danseuse de flamenco, Carmen Cortes. Et puis une seule représentation parce qu'il était très difficile de réunir Lucho Gonzalez, qui vit à Buenos Aires, Tomatito à Almeria et Mino Cinelu à Brooklyn.

Tu as ce don d'avoir une voix particulière, haute et ambiguë, tu la travailles cette voix ?
Absolument pas, et la seule fois où j'ai fait des vocalises avant d'entrer en scène, je l'ai chèrement regretté. Non, il faut se battre avec sa voix, avec celle que Dieu t'a donnée. C'est celle que j'ai eu à la naissance, je ne peux pas chanter plus bas sauf si je suis fatigué, mais elle peut difficilement descendre de cinq tons. Non, je n'ai rien fabriqué.

Nilda Fernandez Castelar 704 (Musidisc) 1999