Les Nouveaux talents

Maël, Camille Bazbaz et Franck Monnet. Trois noms pour trois auteurs, compositeurs et interprètes qui se détachent du peloton des artistes français venus remplir les bacs à disques en cette rentrée 2004. Trois hommes, cent ans à eux trois. Ils ont tous roulé leur bosse, en groupe et maintenant sous leurs noms de scène ou patronymes. Revue de détail.

Maël, Camille Bazbaz et Franck Monnet

Maël, Camille Bazbaz et Franck Monnet. Trois noms pour trois auteurs, compositeurs et interprètes qui se détachent du peloton des artistes français venus remplir les bacs à disques en cette rentrée 2004. Trois hommes, cent ans à eux trois. Ils ont tous roulé leur bosse, en groupe et maintenant sous leurs noms de scène ou patronymes. Revue de détail.

Pour Mael et Bazbaz, la personnalité, l’univers musical, l’humour, tous ces ingrédients jouent un rôle primordial ; des histoires d’absurdes personnages pour l’un, de compagnes absentes pour l’autre. L’album de Franck Monnet, en revanche n’est pas l’album d’un seul homme. Au grand jour est l’oeuvre d’un groupe uni, qui a fait ses preuves ailleurs, un gang où l’on retrouve des têtes familières telles que M, Sébastien Martel ou Cyril Avêque.

Mael prend l’air du large. Son nouvel album est frais et divertissant. Amusant, le mayennais chante qu’"Arthur fait du kung-fu sur la plage" sur le morceau introductif de son deuxième album solo Kung-Fu et autres cirques de bord de mer. Il s’agit peut-être, pour ce personnage "super anti-héros" qu’on pourrait imaginer sorti du Sacré Graal des Monty Python, d’un moyen de faire le vide devant un océan (culturel ?) rempli de néant, un moyen de garder loin de lui "les fous et les sauvages" qu’il cite dans la chanson. Mael revient donc à l’abordage de la société du spectacle, nageant toujours à contre-courant, avec ses textes décousus, ses mélodies pop simples quasiment dévêtues, seulement recouvertes d’un voile musical electro-pop sobre. Mael a su, pour ce nouvel album, rester fidèle à ses vieux amis, des instruments de plaisir nommés synthés, boîtes à rythme et guitare acoustique, pour ne pas faire trop de bruit.

Ces onze nouvelles chansons bénéficient d’arrangements plus sobres, plus cohérents que par le passé. C’est comme si le chanteur de l’ouest avait relégué les historiettes qu’il chantait nonchalamment avec son groupe Twirl Comics ou sur son premier album solo dans des classeurs du grenier, pour composer des romans photo éclairés, des photos prises à l’extérieur, balisés de quelques repères pop plus intelligibles, de refrains plus carrés. Comme si les courts-métrages arty imperméables d’antan que constituaient ses chansons de ses précédentes aventures, s’étaient mués en longs formats d’auteurs sous-titrés. Les samples de films de baston de Bruce Lee et autre Jackie Chan rassurent. Leur utilisation à bon escient dans l’intro des chansons Arthur et Tatouage de hippie, constitue une forme de gentille moquerie inconsciente à l‘attention de certains musiciens de rap qui abusent de l’esthétique asiatique. L’utilisation de la boîte à rythmes et des claviers d’ordinateurs sur D18 rappelle enfin que Maël peut s’effacer derrière les instruments, la voix n’est pas un passage obligé.

Pour Camille Bazbaz en revanche, la voix est devenue incontournable. Il eut été dommage de ne pas l’entendre. Il est vrai qu’avec son expérience de clavier au sein de feu Cri de la Mouche, Bazbaz n’a pas pianoté longtemps dans le vide. Sa maîtrise de l’instrument Moog, de la console Rhodes et autre Farfisa est indiscutable. Mais Bazbaz semble avoir privilégié les cordes vocales aux touches des pianos électriques sur les onze morceaux de Sur le bout de la langue. Cet amateur de reggae épuré a gardé dans un coin de tête l’idée qu’une bonne série d’accords syncopés de guitare valent mieux qu’une poignée de gimmicks guitaristiques alambiqués. Bazbaz abuse donc de la simplicité rythmique qu’offrent le reggae et ses différents idiomes plus ou moins affiliés. On pense au mento jamaïcain sur une reprise de Papa Tango Charly du légendaire Mort Schuman. On apprécie le blues sensible de son Infinie Solitude, morceau introductif classieux. Le reggae de base de Bazbaz prend des airs arabisant sur Tutto va bene. Cette même chanson aurait pu être aisément mise en bouche par Charlélie Couture, et au blind-test, nombre de participants seraient tombés dans le panneau.

Au jeu des associations d’idées, Camille Bazbaz n’est jamais aussi doué que quand il choisit pour partenaire une certaine Sandrine Kiberlain. L’actrice a co-écrit Dans ma nature et offert à Bazbaz Tout pour l’éviter, un texte beau et triste à mourir. La voix de Bazbaz dans Sur le bout de la langue est relevée par les percus de Denis Benarrosh. Le mariage des deux résonne agréablement dans le cerveau, fait tanguer le coeur. Une production léchée pour un album de qualité. Mention spéciale aux légères touches de guitares signées Jérôme Perrez.

Franck Monnet est auteur d’Au Grand Jour, un bon album où l’auteur accueille des invités de marque tels que M et Albin de la Simone. Pour entendre les voix d’Emma de Caunes et de Sébastien Martel (omniprésent en tant que musicien et co-producteur de plusieurs morceaux) s’entremêler au fin fond du cabinet de psy où Franck Monnet se livre, il suffit de choisir Le livre ouvert sur la plage 4, un morceau de jazz-pop aérien très réussi. Si dans la chanson, le rapport introspectif prend les formes d’une remise en cause personnelle, d’une bonne résolution ("Aujourd’hui c’est fini. Les conneries, terminé !"), à laquelle on s’identifierait avec aise, l’écho de ce refrain est expédié aux oubliettes sur la chanson suivante. Sa chambre est allumée, malgré la récurrence d’agréables guitares électriques, est un morceau qui ressemble à un rendez-vous manqué sur un disque pourtant réjouissant. On passera donc éteindre la lumière plus tôt que prévu.

Mais Franck se rattrape sur L’esclandre où le chanteur réveille et fait danser le fantôme de Georges Brassens, où le guitariste Sébastien martèle sa guitare sur un tempo swing, en laissant Monnet monnayer son amour des jeux de mots. Au grand jour un album plein de lumière, parfait pour les soirées d’automne au coin du feu.

Mael Kung-Fu et autres cirques de bord de mer (Atlante /Night and Day) 2004
Camille Bazbaz Sur le bout de la langue (Sony Music) 2004
Franck Monnet Au Grand Jour (Tôt ou tard/Warner) 2004