Solidays 02

L’un des rendez-vous les plus fous de l’humanitaire musical en France a pris fin hier soir sur la pelouse de l’hippodrome de Longchamp. 90000 personnes déplacées en deux jours pour voir 40 concerts au nom de la solidarité contre le sida.

Un max de bruit contre le sida

L’un des rendez-vous les plus fous de l’humanitaire musical en France a pris fin hier soir sur la pelouse de l’hippodrome de Longchamp. 90000 personnes déplacées en deux jours pour voir 40 concerts au nom de la solidarité contre le sida.

Luc Barruet, patron incontesté de cette fièvre festive et musicale, peut en être fier. Deux jours de beau temps pour commencer. "On est très content que le ciel ait été clément" a-t-il déclaré aux nombreux médias qui ont fait le déplacement. Certains se souviennent encore d’une édition 2000 mal goupillée, suite à une mauvaise météo. Un public fidèle et sensibilisé contre l’horreur du sida. C’est l’enjeu véritable de ce rendez-vous parisien, concocté par Solidarité-Sida.

Une centaine d’associations venues du monde entier pour dire la portée du mal dans leurs contrées respectives. Des rencontres, des échanges et des animations de toutes sortes. Et surtout... du son chargé à volonté. Car on ne pouvait trouver mieux comme prétexte pour rassembler. Du rock, du raï, du ska pour chauffer les oreilles les plus fermées au message. Du folk, du jazz ou de la soul à souhait. Du rap, du funk et de l’électro sans discontinuer. Trois scènes principales (Paris, Bagatelle et Dôme) et une quatrième plus intimiste (celle du Forum) dans un espace dédié aux multiples débats ou conférences sur la maladie. Faire la fête au nom d’une cause aussi légitime dans la capitale française? Un pari réussi pour une quatrième édition durant laquelle s’est exprimée toute une génération, qui "refuse catégoriquement de renoncer à se battre, à s’entraider, de regarder son voisin souffrir sans lever le petit doigt".

© Philippe Delacroix

Samedi 6 juillet
Ronde manouche et tango jazzy sous le chapiteau du Dôme. Sur scène, Sanseverino, italien d’origine, compositeur à l’humeur vagabonde, invite à la danse. Allegro mais jamais non troppo: sa devise est toute trouvée. Il est bientôt 18h00. Son set finit dans l’explosion de joie. Enchanté, le public applaudit, tout en pensant à la suite du programme. La plupart des spectateurs sont là depuis 13h. Les premiers concerts ont débuté vers 15h. Il y a eu les Ixo, les Chimères, La Tinta, de jeunes talents sur lesquels a misé avec bonheur un jury de la Mairie de Paris. Il y a eu les Big Mama, dont l’objet musical, mis à part qu’il demeure violemment festif, demeure non identifiable. Il y a eu également les Anglais de Starsailor. Au même moment que Sanseverino, se termine la prestation de Hawksley Workman sur la scène Bagatelle. Le marathon musical du week-end Solidays s’annonce plus que chaud.

A 18h pile, s’ouvre un rituel aux patchworks sur la pelouse principale du festival. Celle qui fait face à "Paris", la grande scène. Luc Barruet préside à une cérémonie, en hommage aux personnes décédées. Pour "montrer à tous les militants, à tous les festivaliers, à tous les médias que nous pensons" à toutes les victimes emportées par le sida et à tous ceux qui souffrent. Il prie ceux qui, parmi les festivaliers, ne seraient pas intéressés par cet instant de recueillement, de ne pas le "gâcher" ou "perturber". Probable que certains soient venus ici uniquement pour satisfaire à leurs envies de musique. Il en tient compte, leur souhaite la bienvenue mais leur rappelle fermement la raison d’être de Solidays. Un exercice peu évident. Mais le rituel a l’air de prendre devant le public assis. "25 millions de morts aujourd’hui […] nécessité d’une véritable solidarité" ajoute-t-il. Répéter autant que possible pour que le message reste dans les consciences. Des militants déploient les patchworks, portant des noms de disparus. Luc Barruet a une pensée pour les victimes du sang contaminé en France, "à qui la justice vient de refuser un deuil décent". Une affaire mettant en cause une trentaine de personnes, sur leur responsabilité par rapport à la contamination de malades par transfusion de sang dans les années 80, et qui vient de déboucher sur un non-lieu. Sur la scène, Gérard Lanvin et Agnès Jaoui, acteurs français, égrènent un long chapelet de noms de disparus. Rachel, Saïd, Pietro... Intermède musical, avec le congolais Lokua Kanza. Sur la pelouse, se lève le Maire de Paris, Bertrand Delanöe, partenaire officiel du festival. Comme d’autres, il était venu se recueillir. Comme d’autres, il affiche le regard humble de ceux qui savent que le combat est encore loin d’être porté par tout le monde.

Plus tard, sur la même scène, après 20h00. Avec l’un des duos français les plus fulgurants des années 80. Les Rita Mitsouko, heureux de prendre leur revanche. L’an dernier, ils étaient annoncés à Solidays. Mais ils n’avaient pu se présenter, à cause de quelques problèmes de santé. Cette année, ils y mettent toute leur énergie, heureux de pouvoir présenter également de nouveaux titres à ces milliers de festivaliers. Rage et dégaine sont là: l’énergie rock est à l’état brut. Le virage fun négocié par le groupe emporte les plus réticents. La môme Ringer se cabre. Fred Chichin, son matador de mari, veille à l’arrière. Les notes de sa guitare s’ébranlent comme autant de répliques inspirées au chant débridé de sa douce amie. Ivresse des mots. Elle chante et danse avec son humour toujours décalé. Il joue et entraîne l’ensemble du groupe dans un groove comparable à une tornade. A la fin, la marée humaine devant la scène s’ébranle à son tour vers les autres scènes. Sur le chemin, un orchestre de batucadas. Le Brésil est là pour rafraîchir les esprits de ceux qui s’arrêtent pour se restaurer ou qui s’effondrent sur la pelouse, essoufflés. Non loin, dans l’espace Forum, joue à nouveau Lokua Kanza. C’est doux et fort à la fois.

Dimanche 7 juillet
Le jeu continue. Ceux qui ont dormi là, traînent leurs couettes sur le dos. Un bal électro s’est tenu sous le Dôme jusqu’à cinq heures du matin, avec quelques "illuminés" du genre Etienne de Crecy, Supermen Lovers, Llorca... Les uns et les autres se traînent les pieds sur la pelouse. Il faut encore tenir debout. La journée risque d’être chargée. A 14h, les K2R Riddim mettent le feu côté Bagatelle aux dieux du reggae. Hommage enflammé à tous les classiques, mélange des influences et groove assuré à 100%. A 15h, se succèdent sur la grande scène les militants sida venus de l’étranger pour faire partager leur quotidien de lutte aux festivaliers.

A leur suite, s’installe Tiken Jah Fakoly, rasta ivoirien en vogue, ardent défenseur des couleurs d’une Afrique debout. Quelques corps affalés par terre, se relèvent au premières notes. Des connaisseurs, sans doute. A voir de loin leurs bouches s’exercer au refrain, ils ne découvrent pas l’auteur de la Mangercratie. Comme par mimétisme, ceux qui découvrent suivent le mouvement. Il y a un tel son, un tel charisme, une telle volonté de partager du côté des musiciens, que le public répond présent à tous les titres.

17h00. Luc Barruet fait son point presse. L’occasion de lui poser une question sur le degré d’investissement de la part des artistes. Tous saluent l’intérêt d’un tel combat. Rares sont ceux qui maîtrisent véritablement les enjeux. Ce qui amène certains à ne pas vouloir prendre langue avec les médias, lorsqu’ils répondent présents. Pudeur et gêne mêlées. Il y a comme une ambiguïté qui plane pour tout artiste engagé dans un événement humanitaire. Il peut être accusé de vouloir se construire une bonne image à peu de frais. Le sida, en d’autres occasions, n’est pas toujours vendeur. Alors qu’à Solidays, il n’y pas besoin d’en faire trop. Le public saisit sans peine. Certes, il n’y a pas une date pour lutter contre le sida. Ce devrait être un combat de tous les jours. Il y a bien des groupes de musique qui misent toute leur carrière sur la lutte anti-fasciste. Pourquoi n’y en aurait-il pas qui porterait, comme les militants de Solidarité-Sida, le même discours sur le combat contre la maladie toute l’année, plutôt que de s’afficher pour deux jours de festival seulement ? Luc Barruet, lui, relativise. Il cite d’abord quelques noms d’artistes qui se sont intéressés en amont au travail de son équipe. MC Solaar, Saïan Supa Crew, K2R Riddim…

Il pense que Solidarité-Sida devrait élaborer un véritable programme d’accompagnement pour les artistes, afin de mieux les informer sur la maladie. "Un travail qu’on a pas toujours su faire" dit-il. Il insiste sur le fait que cette année, les managers d’artistes ont exigé de recevoir un dossier sur la maladie, avant la tenue du festival. Maintenant, il ne jette la pierre à personne. Au contraire. Tous les artistes présents servent chacun à sa manière l’outil Solidays. Il est bien conscient que le festival correspond un peu à "une auberge espagnole". Il y a de tout, des plus engagés aux moins militants. "C’est à nous de tout faire pour que cela évolue. Si tout le monde donne 100 euros et qu’une personne ne vous donne que 10 euros. Vous n’allez pas refuser simplement parce que les autres ont donné plus? Vous allez prendre les 10 et continuer à mobiliser". Autrement dit, les artistes font ce qu’ils peuvent. Pour lui tout est à prendre. Devant la scène Bagatelle, le point-presse fini, on rejoint Marcel et son Orchestre, qui lance quelques slogans de base au public: "Appel à la générosité contre la mal-bouffe, contre le sida, pour le droit au logement... Mais pour filer des flingues aux militaires, là y a toujours de l’argent dans les caisses de l’Etat". On applaudit fortement. Après lui, la Ruda Salska embrase la grande scène avec sa rage alternative. Cheb Mami à Bagatelle délivre jeux de hanches et d’épaules avec son raï débridé. La suite dans le désordre: Ska P, Yann Tiersen, Garbage et MC Solaar pour la fin sous un torrent d’effets, mâtiné d’un zeste de nostalgie. Un vrai marathon, vous disions-nous au début. Un maximum de bruit pour les organisateurs. Rendez-vous est pris pour l’an prochain! Luc Barruet lâche quelques mots à nouveaux pour clôturer l’évènement. Tout en multipliant les remerciements, il rappelle que durant les deux jours de mobilisation, il y eut 11246 morts de par le monde. Un chiffre à méditer.