Kent
Mine de rien, Kent occupe la scène depuis 25 ans. Chanteur du groupe Starshooter pendant les années punk, le Lyonnais multicarte (musicien, parolier, écrivain, dessinateur, acteur) connaît depuis 1990 le succès en solo dans un registre "chanson". Deux ans après un disque où il expérimentait l'électronique et un spectacle avec Enzo Enzo, Kent, 43 ans, revient avec un album Cyclone, un single Tout est làet une tournée de plusieurs mois. Entretien.
Un vent nouveau
Mine de rien, Kent occupe la scène depuis 25 ans. Chanteur du groupe Starshooter pendant les années punk, le Lyonnais multicarte (musicien, parolier, écrivain, dessinateur, acteur) connaît depuis 1990 le succès en solo dans un registre "chanson". Deux ans après un disque où il expérimentait l'électronique et un spectacle avec Enzo Enzo, Kent, 43 ans, revient avec un album Cyclone, un single Tout est làet une tournée de plusieurs mois. Entretien.
Dans ce nouvel album, Cyclone, vous parlez de " rêves (qui) ont un arrière parfum de hamburger " et de " hamburger à la sauvette ". On s'attendrait presque à ce que José Bové vienne pousser la chansonnette !
Chacun son terrain, mais même combat ! Hamburger est un mot du parler de tous les jours. Avant, je faisais attention à ce qu'il n'y ait pas de répétition, non seulement au sein d'un texte mais de tous les textes. Depuis deux disques, je me dis que c'est important de relever l'obsession du moment. Le hamburger est lié à un mode de vie.
Vos textes semblent pourtant véhiculer en filigrane un sentiment d'anti-mondialisation.
Oui, ces histoires-là, je les ressens depuis toujours. Maintenant, on en parle. Mais je n'ai pas cherché à avoir un thème principal. J'écris mes chansons en suivant mon inspiration. Au moment de faire un album, j'ai environ une trentaine de chansons dans lesquelles je taille pour garder l'essentiel et aboutir à un album uni. L'unicité se définit par la couleur musicale et par les sujets. Au bout du compte, il y a un discours qui traverse tout le disque, qui n'est pas défini au départ mais pendant le travail.
Ici, quelle a été votre approche musicale ?
Je voulais quelque chose de plus brut et électrique, qui sonne live. Sinon, j'écris sur des sujets qui ne sont pas nouveaux, qui ne font que se réactualiser sans arrêt. Je n'ai pas l'impression de coller à une époque ; j'ai plutôt l'impression que l'époque me court après.
Vous considérez-vous plus comme un militant ou un poète ?
Je suis militant mais pas prosélyte. Je peux assumer de me tromper tout seul mais je ne veux pas que des gens se trompent avec moi. Je cherche à être en phase avec ceux qui ont la même sensibilité que moi, qui ont peut-être les mêmes soucis et ne savent pas comment les prendre. On me reproche parfois de ne pas être assez médiatique, mais j'ai peur d'être manipulé. Je déteste la façon dont les médias traitent les gens et les sujets. Je ne sais pas m'y prendre mais j'admire des Cohn-Bendit (ndlr : homme politique écologiste) qui arrivent à passer au travers.
Les paroles de Classe prolo correspondent plus à votre train de vie des années Starshooter qu'à celles du succès en solo. Croyez-vous que vous auriez pu l'écrire dans les mêmes termes à vos débuts ?
Non, je n'aurais pas eu l'aisance. A l'époque de Starshooter, j'avais écris Inoxydable et C'est le week-end, qui parlaient des prolétaires comme on peut le faire quand on a 18 ans. Maintenant, j'aborde le thème autrement. Je suis un chanteur à succès alternatif, un intermittent de la jet-set. Lorsque j'ai des hauts, je peux baigner dans ce milieu, et quand j'ai des bas, je n'y ai pas accès. De par mes origines, je reste plus proche du prolétariat que de l'aristocratie. J'ai écrit Classe prolo car on croit que les problèmes disparaissent avec les mots. On ne parle plus de prolétaires. C'est tombé en désuétude car c'est un mot du langage communiste, que le communisme n'existe plus, et qu'on vit dans une autre société où la classe moyenne s'est élargie. Donc on pense que ça n'existe plus. On dit que la nouvelle économie nous promet le succès pour tous mais il y a toujours des gens qui se font virer de l'usine, qui gagnent des clopinettes et se font traiter comme des cons.
Vous avez l'air nostalgique de la culture ouvrière d'antan. Que pensez-vous du rap ?
Le rap, c'est la vraie chanson engagée d'aujourd'hui. J'aime le discours, mais pour quelle fin ? Pour rouler en BM avec des chaînes en or ? Ce n'est pas comme ça que je vois les choses. Aborder ces sujets dans Cyclone est une réponse au rap, pour qu'il n'y ait pas qu'une vision de comment se sortir d'un milieu malaisé. J'aime l'attitude des rappeurs qui arrivent avec leur premier disque : c'est sincère, juste, des chroniqueurs impeccables. Après, l'attitude ne va plus. Ils le font pour le blé mais ils ne combattent pas ceux qui se "sur enrichissent", ils essaient d'être à leur place. C'est aussi con que la dictature du prolétariat.
Peut-on dire que Manhattan est un peu votre Babylone ?
Oui, c'est ça. C'est comme le Syracuse d'Henri Salvador. C'est quelque chose de beau qu'on veut atteindre. Ça peut donner l'envie de vivre, de ne pas se laisser aller. Le grand soir est un beau rêve qui ne s'est pas réalisé. Manhattan, c'est un idéal d'être, pas d'avoir.
A la fin de Starshooter, vous vous êtes dirigé vers un genre de chanson rock acoustique, alors que d'autres, comme Jean-Louis Aubert, entamaient leur carrière solo dans la continuité artistique du groupe qui les avait révélés. Vous a-t-il servi de contre-exemple ?
Je cherchais d'autres aventures musicales. Aubert n'a voulu en faire qu'à sa tête, mais en faisant la musique qu'il faisait déjà avec Téléphone, peut-être en l'élargissant un peu. Il est rock, c'est tout. Moi, il n'y a pas que ça dans ma vie.
Après la séparation de Starshooter, vous publiez trois albums qui passent inaperçus, entre 1983 et 1988. Vous décrivez cette période comme déprimante. Qu'est-ce qui fut le plus dur ?
Après Starshooter, j'ai eu envie de me lancer dans la chanson française, en référence à Aznavour, auGainsbourg des débuts, Brel… Je trouvais que tout un terrain avait été laissé à l'abandon. La déprime était liée au fait que le genre que je voulais aborder n'intéressait personne. On me poussait à faire autre chose. Les mois passant, je disparaissais en tant que chanteur : on ne me trouvait plus dans les bacs, je ne passais plus à la radio… J'avais bossé cinq ans pour rien. J'étais miné, je chantais mal, je ne croyais plus en moi.
Vous avez écrit des chansons, des bouquins, des bandes dessinées. Ces exercices sont-ils si éloignés ou trouvez-vous des similitudes dans le processus de création ?
Il n'y a pas de points communs. A un moment donné, je suis dans un genre et j'ai envie d'en sortir. Dans une longue carrière de musique, j'ai envie d'écrire un roman. A la fin d'un roman, j'ai envie de sauter sur scène.
L'écriture pour d'autres (Enzo Enzo, Michel Fugain, Johnny Hallyday, Zazie) est une autre corde à votre arc. Qu'est-ce que cela vous apporte ?
Si j'étais demandeur, il faudrait que je m'adapte. Là, des gens sont venus me voir pour que j'écrive pour eux par rapport à ce qu'ils connaissaient de moi. Je ne suis pas un auteur pour d'autres : je suis un auteur qu'on vient chercher. Je ne peux pas écrire à la commande : il faut que je rencontre la personne, que je sache ce qu'elle attend de moi… Ecrire pour d'autres, c'est bien pour mon CV mais ça ne me marque pas. Je n'ai plus envie d'écrire pour les autres, ou alors paroles et musique. Un suivi musical m'intéresserait plus.
Votre album précédent Métropolitain était une tentative poussée vers l'électronique, le dernier est un retour plus classique. Etait-ce un coup de tête ?
J'ai eu envie de le faire, et je l'ai fait, c'est tout, contre l'avis de ma maison de disques au début. Barclay ne voyait pas pourquoi j'allais nuire à mon image avec un disque pareil, d'autant plus qu'après j'ouvrais une parenthèse avec Enzo Enzo qui allait encore m'éloigner de mon actualité solo. Mais la vie d'un chanteur qui fait toujours les mêmes disques, c'est chiant. Je veux m'amuser. La musique offre des tas de possibilités, je travaille au quart des miennes, j'ai envie que ça cesse.
Kent Cyclone (Barclay/Universal) 2000
En tournée française à partir du 13 octobre 2000