Perret réédité

Pierre Perret, outre une nouvelle compilation de ses plus grands succès, sort une forme d'intégrale originale : en quinze CDs, il réédite tous ses 33-tours avec leurs pochettes et leurs tracklistings originaux, augmentés de livrets détaillant toutes les paroles des chansons.

Ma vie dans le rétroviseur

Pierre Perret, outre une nouvelle compilation de ses plus grands succès, sort une forme d'intégrale originale : en quinze CDs, il réédite tous ses 33-tours avec leurs pochettes et leurs tracklistings originaux, augmentés de livrets détaillant toutes les paroles des chansons.

Vous regrettez le vinyle?
L'émotion tactile, l'odeur du vinyle, la photo sur la grande pochette, ça m'a toujours plus séduit qu'un CD.

Quand vous sortez un nouveau disque, vous aimez l'instant où enfin vous tenez l'objet fini entre les mains?
Quand on sait qu'on va y arriver, tout ce qu'on fait n'est qu'une question de soin et de temps. Quand j'ai fini d'écrire mes chansons, que j'ai déjà en tête toutes les couleurs sonores et ce que je vais demander à l'orchestrateur, je sais qu'un mois ou deux après, j'entendrai ce que j'entendais déjà en écrivant mon texte et ma musique. Le plus grand plaisir, c'est l'écriture, qui est aussi le plus lent et le plus douloureux.

Avec le temps et l'expérience, vous n'avez pas trouvé une méthode plus efficace?
C'est justement parce que je suis plus efficace que je mets plus de temps. Je suis devenu plus exigeant quant à la musicalité des paroles, à la justesse du mot. Je ne plaque pas des mots sur de la musique, paroles et musique me viennent en général ensemble, puis je pinaille sur tout, avec des retours en arrière, des recherches dans tous les sens, des substitutions de mots, de sonorités, de charnières...

Mais vous ne vous dites pas qu'après tout, vous y êtes déjà arrivé et qu'il n'y a pas de raison que ça s'arrête?
Ce n'est pas du tout mon tempérament. Je sais que la vie ne va pas s'arrêter, que je n'en suis pas à un disque de plus ou de moins, mais je ne pars avec le stylo en pogne que pour écrire quelque chose d'exceptionnel. Sinon, à quoi ça m'avancerait d'écrire des choses que je déjà dites, ou d'une façon que j'ai déjà pratiquée.

Vous êtes de plus en plus exigeant.
Vous savez, tout le monde peut faire des chansons. Quand Georges Brassens habitait l'impasse Florimont et moi le boulevard Edgar-Quinet, j'allais le voir pour parler de chansons. On se connaissait depuis des années, sans qu'il soit question que je chante, quand j'ai débuté. Et il m'a dit: "Quand tu as fini une chanson, c'est là que le travail commence." C'est pour ça que je vous dis qu'une chanson n'est pas difficile à faire : il faut faire rimer quelques vers, y mettre une petite mélodie... C'est après qu'il faut être exigeant.

Vous n'essayez pas de temps en temps d'échapper à votre manière d'écrire, au style Perret?
C'est un souci constant. J'essaie d'éviter à tout prix la sclérose, les recettes réchauffées, tout ce que j'aurais pu acquérir par manie. Là où je suis le plus catastrophé, c'est quand je trouve un air qui me rappelle une autre de mes chansons.

Mais ne vous arrive-t-il pas, inconsciemment, de répéter une expression, une image, d'une chanson à l'autre?
Non mais, en revanche, ce que j'ai regretté et sur lequel je n'ai pu mettre le doigt au moment où j'ai commis la "faute", c'est d'avoir écrit dans Blanche : "Ses cuisses fuyaient comme deux truites vives". Or, il y a une image de truites chez Lorca, une image très forte qui a du me marquer quand, à dix-huit ans, je faisais mes lectures des poètes. Le jour où un copain à la radio m'a dit: "Tu sais Pierrot, tu as piqué ces vers-là à Lorca", j'étais catastrophé - si au moins j'ai une honnêteté vis à vis de moi-même, c'est de boire dans ma tasse. Si je m'étais rendu compte de quelque chose, j'aurais passé des semaines à trouver une image cousine. Je me suis botté le cul rétrospectivement.

Et vous n'avez jamais fait de redite?
Je ne crois pas. Et comme il y a eu des études très sérieuses faites en université sur mes chansons, je pense que ce serait remarqué. Mais je crois qu'il y a tout le temps, chez moi, un certain surréalisme dans les images, qui laisse la porte ouverte au rêve.

D'ailleurs, si on trouve du Brassens chez vous, c'est peut-être dans vos personnages qui évoquent les héros de son roman La Tour des miracles.
En effet, il y a très peu d'images surréalistes ou abstraites chez Georges, qui est toujours très terrien, avec une rhétorique très classique, alors que je pars souvent dans les cintres de façon très calculée, très dirigée. J'en ai besoin, ça correspond à l'espèce d'anarchie intérieure qui est la mienne.

Justement, en réécoutant et relisant toutes vos chansons pour ces rééditions, vous n'avez pas eu de repentirs?
Ce qui est drôle, c'est que je voyais à mesure les autres choses que j'aurais pu dire. Mais voilà, à l'époque, je n'avais pas la même maturité, les mêmes armes, le même recul, la même ouverture sur la vie. Il était logique que j'écrive cela alors que je ne savais pas ce que je sais maintenant. Si je devais réécrire ces chansons aujourd'hui, elles seraient peut-être meilleures sur certains plans, mais elles ne seraient pas témoins de l'âge et de la maturité qui étaient les miens. Mais j'ai trouvé, rétrospectivement, qu'il était assez gonflé d'écrire des chansons comme celles du tout premier disque : Le Poulet, chanson complètement anarchiste avec le poulet qui pisse sur le drapeau pendant la minute de silence, ou Le Prince passe, qui aurait pu être dans mon dernier disque ("Le prince passe/Il va nous donner du pain/Le prince passe/Et leur donne du gourdin"). C'est déjà tous les thèmes et les valeurs que j'ai défendus par la suite: l'opprimé, la femme, l'injustice, le racisme, la xénophobie...

Propos recueillis par Bertrand DICALE