Médéric Collignon joue Gershwin
Médéric Collignon s’est imposé au tournant du nouveau millénaire comme l’un des virtuoses iconoclastes qui affole et dont raffole le jazz français. Après avoir pratiqué toutes les scènes, du style new-orleans aux expériences les plus contemporaines, le jeune homme à la trompette (de poche) doublé d’un maître chanteur publie enfin, à 36 ans, son premier disque sous son nom. Autour de la pièce maîtresse de George Gershwin, Porgy And Bess, avec dans l’ombre le tutélaire Miles Davis…
Il reprend Porgy and Bess
Médéric Collignon s’est imposé au tournant du nouveau millénaire comme l’un des virtuoses iconoclastes qui affole et dont raffole le jazz français. Après avoir pratiqué toutes les scènes, du style new-orleans aux expériences les plus contemporaines, le jeune homme à la trompette (de poche) doublé d’un maître chanteur publie enfin, à 36 ans, son premier disque sous son nom. Autour de la pièce maîtresse de George Gershwin, Porgy And Bess, avec dans l’ombre le tutélaire Miles Davis…
RFI Musique : Pourquoi reprendre Porgy and Bess plutôt que de proposer une œuvre originale ?
Médéric Collignon : J’avais envie d’attaquer un standard. Evidemment, j’ai dû écouter beaucoup de versions avant de me lancer. Celle originelle de l’opéra, en format classique, reste la base. Il y a aussi celle entre Ella Fitzgerald et Louis Armstrong, qui est monstrueuse ! Mais celle que j’avais en tête était la version référence, avec Miles et Gil Evans. C’est-à-dire en noir et blanc. Ensemble, ils font un concerto de jazz en s’appuyant sur Gershwin. Porgy and Bess est en fait une œuvre qui réunit le classique et le jazz, deux univers que j’ai beaucoup pratiqués : le premier pendant mes quinze ans de formation académique ; le second par la suite, en variant les plaisirs avec des gens pour qui j’ai tout donné. Ce premier disque, c’est donc en quelque sorte une synthèse.
Pourquoi ne pas avoir repris l’emblématique Summertime ?
Justement, parce qu’il l’est. Quoi faire après la version qu’en donne Gil Evans avec Miles ? ! Après le solo ultime de ce dernier ? ! L’un de ceux qui ont réussi à en offrir une autre voie, c’est Albert Ayler. Là, ça devient une espèce de blues habité, d’une extrême finesse, et lui a tout un orchestre dans son saxophone ! Alors, j’aurais peut-être dû l’enregistrer tel quel, et puis après tout manipuler, comme un DJ, et la placer en plage fantôme…
Pour cet album, il y a d’ailleurs beaucoup de travail de post-production…
En quatre jours, nous avons enregistré les treize morceaux qui constituent le steak de cet album. Ensuite, il y a eu deux jours de re-recording, mais surtout deux semaines de mix étalées sur un an… J’ai mixé mon disque en pensant pop-rock, en réfléchissant les acquis de Björk et de Radiohead par exemple, en allant donc au-delà du son du quartet. D’ailleurs j’ai prévenu mes musiciens que j’allais tout manipuler. Ils m’ont fait confiance, comme sur scène. J’ai aussi beaucoup réenregistré, et surtout fait des empilements de pistes avec mon bugle. Jusqu’à huit !
Le tour de force était de partir d’une œuvre classique, qui se joue à une vingtaine, alors que l’on est quatre ! Il me fallait donc réaliser un son spectral. C’est pourquoi il y a eu tout un travail de post-production avec les machines et effets, comme peut le faire un bon scratcheur. Et là encore, il m’a fallu improviser à partir de ce que me redonnaient les machines. Ce qui fait qu’au final l’interprétation est - me semble-t-il - très moderne… Mais attention : sans aucun rapport avec le jazz electro !
J’intègre juste de tels procédés comme tout musicien de ma génération. Je peux ainsi être bassiste avec mon bugle, dont une note filtrée est la dernière note de Bess, You Is My Woman Now. Je peux avoir un son de violon avec ma voix, ou prendre des airs de flûte alto en jouant sans mon embouchure. Dans un autre morceau, Gone, l’introduction sonne comme s’il y avait trois guitaristes hard-rock : en fait, il s’agit d’une guitare jouet, enregistrée à plusieurs vitesses pour superposer les pistes… Tout ça pour dire qu’on peut aisément leurrer l’oreille.
Pourquoi avoir attendu autant de temps pour ce premier disque ?
Parce que je voulais sans doute être sûr d’avoir quelque chose d’original à raconter. Et puis parce que je suis actif depuis des années, avec les autres et dans tous les sens. Dans des formations pour lesquelles j’arrangeais déjà sur le tas… sans être forcément crédité comme tel ! Après si je me retrouve souvent devant, c’est une question de caractère. Aujourd’hui, j’ai choisi de me consacrer plus à mes projets. Je quitte par exemple Slang, un collectif avec lequel j’ai beaucoup joué et grandi, parce que les directions ne sont plus les mêmes.
Mais vous continuez à figurer dans les formations de Louis Sclavis, Michel Portal et Andy Emler. Que vous apportent-ils ?
Leur connaissance du métier. Bien plus longue que la mienne. Après, je vois des qualités distinctes chez chacun : Sclavis m’apporte une maîtrise du propos et de la forme, avec une intelligence du casting très rare et une humanité, une culture générale, exceptionnelles. Portal fonctionne différemment. C’est un grand enfant, avec ses moments de doute et ses instants de génie. Là ça dépasse l’entendement ! Enfin, Emler, c’est l’humour et la générosité qui se traduisent dans sa musique. Avec lui, les musiciens sont toujours des invités. Et ses orchestrations, ce sont toujours de beaux cadeaux qu’il nous fait. Je me réjouis déjà de savoir que je vais enregistrer prochainement avec son MegaOctet.
Justement, quels sont vos projets après ce disque ? Qu’en est-il de votre relecture de Il était une fois la révolution ?
Avec Jus de Bocse, mon quartet, nous devrions enregistrer un album pour 2007. Cette fois autour de deux autres disques de Miles : Bitches Brew et In A Silent Way. Il y a aura quatre cors en plus, et sans doute toute une réflexion que je mène actuellement autour de l’image. C’est ce répertoire que nous jouons désormais sur scène. C’est ce que je compte aussi faire pour Il était une fois la révolution, qui a simplement été une création pour le festival Banlieues Bleues avec mon septet Septik. Le projet est encore vert, et cela coûte malheureusement très cher à monter. Il est question de le produire pour une série de concerts au Mexique, le lieu idéal pour cette œuvre très spéciale d’Ennio Morricone. Si c’est le cas, nous pourrons le faire tourner, le roder à l’ancienne, avant de le coucher en studio. Pour moi, c’est essentiel : le disque, c’est l’aboutissement d’une histoire. Pas l’inverse !
Médéric Collignon - Jus de Bocse Porgy and Bess (Minium/Discograph) 2006
En concert le 8 décembre à Tours et le 14 aux Lilas