Studio Sound’Art, laboratoire de son

Ruben Binam aux manettes

Quartier Fuda à Yaoundé, au Cameroun, Ruben Binam, leader du groupe Macase, et producteur audacieux, nous ouvre les portes de son home studio. Sound’Art propose aux musiciens traditionnels, mais aussi à ceux qui proposent des fusions de rythmes camerounais et de jazz, d’enregistrer et de se développer. Une démarche résolument originale dans le paysage musical camerounais.

En cette fin de saison des pluies, d’impressionnants nuages gris s’accrochent aux collines de Yaoundé. Le taxi jaune s’arrête en face du Mansel Hôtel. Les indications sont précises : ouvrir le portail, traverser la cour, faire le tour de la maison et entrer sans frapper.

La porte est ouverte : Ruben Binam, clavier et leader du groupe Macase est installé derrière ses machines. Il joue quelques accords sur son piano droit. Le groupe Black Roots enregistre cet après-midi ses dernières prises de voix de Mélodie Tropicale, un morceau inspiré des polyphonies pygmées de la forêt du sud du pays.

Perspectives

Ruben Binam a ouvert son studio mi-2005 au retour de la dernière grande tournée de Macase. Formation talentueuse, Macase a voyagé aux quatre coins de la planète pour faire découvrir sa version d’une musique camerounaise métissée et ouverte sur le monde. Lauréat du prix Découvertes RFI en 2001, Macase a subi les affres d’une industrie musicale camerounaise mal structurée. Suite à une obscure affaire de production, le groupe a dû renoncer à sa victoire et à ses avantages....

Alors que les portes du succès international semblaient s’ouvrir, il a fallu repartir de zéro. Posément, Ruben Binam prend le temps de raconter la tumultueuse histoire du groupe, ses espoirs, ses déconvenues et les leçons qu’il en a tiré. Il explique que Sound’art  est directement issue de son expérience au sein du groupe. "J’ai eu la chance d’être le leader d’un groupe camerounais qui a vécu une expérience à l’extérieur, peut-être que cet ailleurs, ces ailleurs, me permettent d'avoir quelque chose de différent à proposer dans mon pays. Et puis…tout le monde n’a pas eu le cursus tourmenté du groupe Macase… "

C’est ce passé qui l’incite à vouloir proposer aux artistes un cadre artistique, administratif, juridique, et surtout des perspectives. Sur Alizés Equateur, sa structure de production, Ruben Binam a déjà sorti quelques albums et développe plusieurs artistes talentueux comme le groupe de fusion Black Roots, le superbe duo Didi et Claraime, ou Guy Samé, un tout jeune artiste à la voix renversante… "Mon principe de travail, c’est de m’occuper des artistes qui ne sont pas intéressants pour le contexte du Cameroun. C’est à dire ceux qui font des musiques du patrimoine, traditionnelles, world music ou qui s’ouvrent au jazz. Leur point commun : elles n’intéressent pas les producteurs locaux".

Laboratoire

L’autre souhait de Ruben : ne dépendre de personne. Tout faire en famille. Le pays de Francis Bebey, Manu Dibango ou Richard Bona regorge d’artistes de qualité. Il manque par contre cruellement de structures musicales, de producteurs de confiance. La majorité des studios d’enregistrement se trouve à Douala, capitale économique du Cameroun. Les producteurs et  usines de pressage et de duplication y sont également localisés. Mais pour Ruben, "l’argent ne règle pas tous les problèmes et encore moins les problèmes artistiques… A Douala, les studios qui existent sont là pour faire du fric, pas pour produire durablement des artistes…"

Malgré ses petits moyens, Ruben parle de développement de carrière et assure : "on ne laisse pas partir quelqu’un avec une belle chanson. On se dit qu’il en faut cinq ou six autres, jusqu’à faire un album…". Sound’Art est un laboratoire. Après une année 2007 bien chargée, plusieurs sorties sont prévues début 2008. Le troisième album du groupe Macase est d’ailleurs attendu dans le courant de l’année… "On a fait un pas, on peut désormais enregistrer un album chez nous, de bonne qualité. Nous sommes autonomes dans la production. A propos de l’album, on peut dire que nous resterons fidèles à l’esprit du groupe, avec plus d’influence africaine :  on va être plus bantous, plus soudano-sahéliens, plus camerounais-mondiaux… L’album va s’appeler Fly Away…"

Culture "pays"

Mais au Cameroun, pays frontalier du géant nigérian, champion de l’Afrique de toutes les contrefaçons et du piratage, il est difficile de vivre de sa musique. Pour contourner les piètres réseaux de distribution, véritable boulevard pour les pirates, Ruben Binam a monté au sein d’un collectif de jeunes artistes et producteurs, Culture Mboa, la culture "du pays". Ce réseau de distribution, développé à Yaoundé et Douala permet aux disques des artistes affiliés à Culture Mboa de se vendre dans certaines boutiques, centres culturels ou grands magasins. Si le prix reste pour l’instant bien supérieur à celui des disques piratés, les chiffres de ventes prouvent qu’il existe une vraie demande…Ruben Binam est confiant. Il compte bien redonner au Cameroun sa fierté musicale.

Eglantine Chabasseur