ART ROCK BRETON
Saint-Brieuc, le 22 mai 2002 - Les quatre jours du festival breton Art Rock se sont achevés dans l’odeur des crêpes, les dernières notes de musique et sous un soleil qui a daigné enfin se montrer. Ils ont été 29.000 à en profiter entre une quarantaine de concerts, les spectacles d’art contemporain et les averses généreuses. La diversité était le mot d’ordre : rock, world, électronique, chanson actuelle, rap, reggae… Tout y était.
Festival pluvieux, festival heureux.
Saint-Brieuc, le 22 mai 2002 - Les quatre jours du festival breton Art Rock se sont achevés dans l’odeur des crêpes, les dernières notes de musique et sous un soleil qui a daigné enfin se montrer. Ils ont été 29.000 à en profiter entre une quarantaine de concerts, les spectacles d’art contemporain et les averses généreuses. La diversité était le mot d’ordre : rock, world, électronique, chanson actuelle, rap, reggae… Tout y était.
Un début et une fin
Les premiers à inaugurer cette 19ème édition ont été les membres du groupe Luke. Sur la place Poulain-Corbion de la cité bretonne, un immense auvent a été monté, ouvert sur les baraques à frites et à bière. Il accueille ce jour-là les Briochins curieux qui arrivent en famille ou en grappes d’amis. Il faut dire que le concert est gratuit. Toutes les difficultés semblent donc réunies pour les cinq jeunes espoirs du rock français : le lancement des festivités, la grande scène extérieure et la gratuité qui appelle les badauds… Rajoutez à cela les cinquante minutes imposées et le tableau est complet. Mais rien ne semble troubler le groupe : «On a l’habitude ! C’est normal, on est un petit groupe, on commence. Etre invité sur ce genre de festival aujourd’hui nous fait vraiment plaisir. Puis psychologiquement, ce n’est pas rien de pouvoir dire "Bonjour ! Le festival est ouvert !" Quant aux cinquante minutes imparties cela ne nous pose pas de problème. C’est dur de faire tout un concert avec un seul album ! Les contraintes artistiques ne sont pas malhonnêtes, c’est important d’en avoir. Elles t’obligent à être meilleur. Souvent quand on a du temps, on dit beaucoup de conneries.».
Du coup, Thomas, le chanteur, ne s’étend pas en bavardage. Juste assez pour présenter brièvement une reprise de Jean-Louis Murat, une autre des Béruriers noirs… Paradoxal de la part d’un auteur aux paroles fleuves et substantielles : «Les textes ne sont pas si importants. La chanson doit exister en dehors du sens. Elle doit toucher d’abord par la musique qui, elle, en contient déjà du sens !» Luke joue donc, sans être gêné par les bavardages du public ou les allées et venues, et assure son rôle inaugural en jouant de belle manière quoiqu’un peu statique. De toute façon, comme le conclue leur optimiste batteur Ludovic, «les gens vont certainement se rappeler de ceux qui commencent et de ceux qui clôturent, non ?»
Justement, celui qui clôture trois jours plus tard, c'est Bénabar, dans la grande salle du village Robien. Le jeune homme survolte le millier de personnes présentes, avec humour, simplicité et talent. Du slow pastiché à la valse, de l’électronique bon enfant à la chanson réaliste, les hanches se dandinent dans tous les sens. Une belle manière de terminer un Art Rock même si le chanteur n’avait cure d’être cet ultime : «Je ne suis pas sûr que l’on se pose des problèmes de hiérarchie, on ne se demande pas qui passe avant ou après. Le fait de finir a de bons côtés et de moins bons. Les gens sont chauds ou fatigués. Ce qui me plaît en revanche dans les festivals c’est que le public vient pour découvrir. Il y a un côté très utile pour nous et très gratifiant d’essayer de rencontrer et de séduire de nouvelles personnes. Et puis il y a un autre avantage aux festivals comme celui-ci : le mélange des genres. Il y a deux jours on partageait l’affiche de Mass Hystéria par exemple, je trouve cela bien et sain. Plus c’est large et plus je suis content.»
Programmation polymorphe
La diversité est en effet très présente à Art Rock. Entre Luke et Benabar, des dizaines d’artistes se succèdent, des nombreux pays se représentent. Les Anglais d’Archive enlèvent la palme de la qualité et de l’émotion. Sinclair remporte le prix des entrées les plus nombreuses. NoJazz prouve que l’électronique et le jazz se marient dans la réussite. L’Algérienne Biyouna délivre la fête et la tolérance dans des mots souvent faciles mais toujours nécessaires. Kery James offre son rap aux jeunes de la MJC de Saint-Brieuc avec qui il a discuté une bonne partie de la journée. Llorca et U.H.T s’occupent d’animer la nuit électro. Dominique A s’ennuie seul avec sa guitare. Sanseverino fait mourir de rire des Briochins désormais conquis. Mory Kanté met le feu aux poudres. L'Algéro-Nigérien Guem fait de son orchestre de percussions un coup de cœur incontournable...
Le lien entre tous ces genres, c'est Jean-Michel Boinet, le directeur artistique et programmateur de Art Rock. Avec son regard clair et sa quarantaine d'années, il trône heureux au milieu de tout ce beau monde. Son téléphone portable greffé à l’oreille, les jambes toujours prêtes à se précipiter pour régler les petits contretemps de l’organisation, il nous explique : «Tout cela est le monde de la musique actuelle au sens le plus large du terme, c’est celui-là que l’on défend. Je m’intéresse à tous les styles, mais il y a des choses que je n’aborde pas, très curieusement comme le "métal" par exemple.» D’autres s’en sont donc occupé. Un vieux wagon est devenu depuis quelques années le centre nerveux d’un squat punk. C’est également l’endroit où se déroule un contre-festival destiné à protester face aux multiples subventions versées au grand frère officiel. Au programme : métal, hard, punk…
Pour constituer sa propre programmation le directeur artistique écume les routes tout au long de l’année : «Je me promène, je vais voir des festivals, des spectacles, des concerts… J’ai une équipe autour de moi qui me renseigne souvent sur ce qu’il faut voir et je vais jeter un coup d’œil. Quand on commence l’aventure d’un festival on ne sait jamais si cela s’arrêtera le lendemain. Donc dix-neuf ans plus tard, le seul constat que je peux dresser c’est que ça continue, curieusement. Tout a démarré avec la simple expérience d’une organisation de concert, d’une envie de défendre les musiques actuelles. Puis l’intérêt était aussi d’avoir un festival pluridisciplinaire, avec du spectacle de rue, de la danse, du théâtre, à l’art contemporain en général. Mais c’est vrai que la musique reste la part la plus importante. Peut-être que c’est parce que c’est l’élément le plus fédérateur du public. On espère que ceux qui se rassemblent autour d’un concert se rendront juste à côté, voir des spectacles un peu plus pointus, un peu moins habituels pour eux.»
La dernière note envolée, la dernière galette-saucisse avalée, les dernières adresses échangées, les artistes ont tous quitté la Bretagne… Ils seront encore plus nombreux l’année prochaine, vingtième anniversaire oblige. Jean-Michel Boinet a d’ailleurs une ultime phrase en forme de promesse : «On attend forcément une programmation plus surprenante et de multiples déclinaisons me viennent déjà à l’esprit.»
Marjorie Risacher