Gainsbourg par ses interprètes

En quatre CD et quatre-vingt dix-huit titres, Mister Melody fait connaître l’œuvre de Gainsbourg par ses interprètes, des Frères Jacques à Etienne Daho. L’histoire d’un auteur-compositeur prolifique, généreux et habile.

Sortie du coffret Mister Melody

En quatre CD et quatre-vingt dix-huit titres, Mister Melody fait connaître l’œuvre de Gainsbourg par ses interprètes, des Frères Jacques à Etienne Daho. L’histoire d’un auteur-compositeur prolifique, généreux et habile.

Sommet des célébrations discographiques du quinzième anniversaire de la mort de Serge Gainsbourg, le coffret Mister Melody permet une nouvelle traversée de son œuvre, à la fois avec des tubes et des trésors inconnus, des chansons légendaires et des paradoxes curieux. En quatre CD et quatre-vingt-dix-huit titres présentés de manière chronologique, on entend l’auteur-compositeur conciliant avec les canons esthétiques et commerciaux du moment, l’explorateur de formes nouvelles, le Gainsbarre impérial des dernières années.

Le casting des premiers interprètes de Gainsbourg ressemble au carnet d’adresses idéal du jeune auteur de l’époque : on trouve là quelques-uns des plus sûrs découvreurs de talents, des plus gourmands consommateurs de formes et d’écritures nouvelles, comme Michèle Arnaud, protectrice de ses débuts, Pia Colombo ou Catherine Sauvage. Ainsi les Frères Jacques : interprètes de Prévert et Kosma, de chansons d’auteurs prestigieux et sporadiques comme Raymond Queneau ou Henri-Georges Clouzot, de fantaisies absurdes comme La Confiture, de chansons paillardes, ils ne chantent que ce qui peut se mettre en gestes et en mouvements. C’est par eux plus que par son auteur, encore marginal, que le public connaîtra Le Poinçonneur des Lilas, en 1958. Ainsi encore Juliette Gréco : elle chante Sartre, Queneau, Desnos, Mauriac, prend des chansons à des débutants nommés Jacques Brel, Guy Béart ou Serge Gainsbourg. C’est elle qui sera la première à sortir un disque tout entier de ses chansons, le fameux Gréco chante Gainsbourg, en octobre 1958, avec Il était une oie, Les Amours perdues, L’Amour à la papa et La Jambe de bois (Friedland), presque tout entier censuré par le Comité d’écoute de la radiodiffusion française. Suivront pour elle Accordéon en 1962 et La Javanaise en 1963 – deux des futurs plus grands classiques de Gainsbourg.

Ces premières années, les chansons de Gainsbourg se fondent volontiers dans le paysage du moment. Il faut entendre Mes petites odalisques en 1959 par un Hugues Aufray qui n’est pas encore complètement folk, dans une ambiance très jazz avec vibraphone et section de cuivres, ou Jean-Claude Pascal qui chante Les Oubliettes un peu comme Yves Montand interprète Les Feuilles mortes en 1961, ou Vilaine fille, mauvais garçon en country-variétés par Petula Clark en 1962…

Les premières années 60 le voient approcher de plus près les sommets du succès, notamment avec France Gall (Laisse tomber les filles, Poupée de cire, poupée de son, Attends ou va-t-en, Baby Bop, Teenie Weenie Boppie) et Brigitte Bardot (Je me donne à qui me plaît, La Belle et le Blues, L’Appareil à sous, Harley Davidson, Contact et ses duos avec Gainsbourg). Mais il conserve la même morgue misogyne que dans ses premiers disques, que ce soit avec la muflerie étudiée de Quand tu t’y mets par les Mercenaires (“C’que tu peux être belle quand tu t’y mets/Tu t’y mets pas souvent pourtant quand tu t’y mets/Tu peux pas savoir”), les sommets de cynisme des Petits boudins par Dominique Walter (“C’est bon pour c’que j’ai, ça m’fait du bien/Les petits boudins/C’est facile et ça n’engage à rien/Les petits boudins”) ou l’agressivité de l’inattendu funk Hip hip hip hurrah par Claude François (“Je pratique la politique de la femme brûlée”).

Cette compilation, qui s’achève par Comme un boomerang, dans sa création posthume par Etienne Daho et Dani, est intéressante notamment parce qu’elle replace Jane Birkin dans un continuum d’interprètes, sans méconnaître son rôle pour l’œuvre de Gainsbourg (neuf chansons, de Jane B à Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve). Mais on regrettera de n’entendre ici qu’une seule chanson écrite pour Jacques Dutronc (le très méconnu et pourtant délectable Bras mécanique) et rien des collaborations avec Alain Chamfort, probablement en raison de difficultés liées à la construction d’un coffret transcendant les frontières de labels discographiques.

Çà et là sont dispersés des joyaux incroyables, comme trois chansons interprétées par Jean-Claude Brialy et une par Eddy Mitchell pour la comédie musicale Anna, l’enregistrement de la chanson du film Strip-tease par Nico (peut-être très chic mais vocalement désastreux), la version anglaise de Comic Strip avec Gainsbourg et Bardot, des chansons par Mireille Darc ou quelques instrumentaux comme un extrait de la bande originale du film Les Volets verts qui annonce la mélodie de Je t’aime moi non plus… Le complément naturel de l’intégrale de Serge Gainsbourg, que tout honnête homme (ou femme) possède dans sa discothèque.

Serge Gainsbourg Mister Melody (Mercury/Universal) 2006