LES RENCONTRES MUSICALES DE YAOUNDE
Yaoundé, le 4 mai 2000- C'eut été un comble. Imaginez que la venue inopinée de Kofi Annan au Cameroun, le 1er mai dernier, a bien failli faire capoter la deuxième édition des REMY, Rencontres Musicales de Yaoundé !
Tout va mal, puis tout va bien...
Yaoundé, le 4 mai 2000- C'eut été un comble. Imaginez que la venue inopinée de Kofi Annan au Cameroun, le 1er mai dernier, a bien failli faire capoter la deuxième édition des REMY, Rencontres Musicales de Yaoundé !
Comment le secrétaire général de l'ONU, apôtre de la paix par définition, a-t-il pu bien malgré lui semer la zizanie au pays du bikutsi ?
C'est le résultat d'un complexe jeu de domino dont on dira simplement, pour résumer, que tous les officiels -ministre en tête- qui devaient inaugurer les REMY se retrouvèrent sur le pont pour accueillir Kofi. Et que, du coup, il n'était plus question de commencer le festival le 2. Va donc pour le 3 mai. Sauf que tous ces artistes invités, qui de Paris, qui de Johannesbourg, qui de Hararé, n'ont pas que ça à faire et que, de modification en modification, le programme a pas mal évolué…
Si hier on pouvait encore nourrir les pires craintes sur la bonne tenue de cette deuxième édition, on peut aujourd'hui être rassurés: le superbe concert inaugural qui, au Capitole, a finalement réuni hier soir Toup's Bebey, Sally Nyolo, et les Mahotella Queeens, est de bon augure pour la suite.
Mais reprenons dans l'ordre, voulez-vous ?
Nous sommes mardi après-midi, sous les bananiers du bel espace African Logik, à Bastos. La presse attend avec impatience l'arrivée de Manu Dibango, parrain de ces deuxièmes REMY. La rumeur qui court, alimentée par le parrain lui-même, dit que Grand Manu n'a pas joué au pays, avec son orchestre, depuis trente ans. Rapide petit calcul: cela nous ramène à 1970, avant "Soul Makossa" ? Possible, après tout. En tout cas, ce n'est un secret pour personne que Dibango était fâché avec le Cameroun depuis plus de dix ans. Ce retour est donc un événement, même pour toute une génération qui ne le connaît que de réputation.
Manu arrive, l'adrénaline grimpe. Olivier Poivre d'Arvor, patron de l'AFAA, met d'emblée les pieds dans le plat, en regrettant que personne n'ait invité Kofi Annan au concert inaugural; ce qui aurait, d'après lui, arrangé les affaires de tout le monde. Le représentant du ministère de la culture encaisse, avec le sourire. En rétorquant que les REMY, jeune entreprise, devaient faire un peu plus leurs preuves avant qu'on puisse prendre le risque d'y inviter le secrétaire général de l'ONU.
Dibango dit sa joie d'être de retour… puis brandit une lettre signée d'un collectif d'auteurs camerounais expatriés, dénonçant les dysfonctionnements graves qui, selon eux, gangrènent la Socinada (Société des Droits d'auteurs du Cameroun). Précisant bien qu'il n'intervient que comme messager, souhaitant seulement que les deux parties se mettent autour d'une table pour discuter. Mais c'est dit, et la vengeance de la Socinada ne tardera pas: dès le lendemain, aux répétitions du Capitole, elle débarquera avec huissiers et militaires, faisant débrancher la sono jusqu'à ce qu'on lui paye -d'avance- les sommes dûes selon elle par les REMY. Ambiance…
C'est donc avec perplexité qu'on se rendit hier vers 16h00 au Centre culturel Français où devaient enfin démarrer ces REMY 2. Mais, le miracle africain finissant toujours par s'accomplir, la machine se mit doucement en route. Crispo Epole, jeune chanteur qui se réclame de la tendance Lokua Kanza -prévu lui aussi aux REMY mais retenu à Paris pour cause de bras cassé, au sens propre- puis Les Lésés de la Capitale, nouveau groupe de bikutsi émule des Têtes Brûlées; et enfin Faadah Kawtal, groupe de Garoua, au nord Cameroun.
On retrouvera Faadah Kawtal avec plaisir au prochain "Musiques Métisses" d'Angoulème. A mi-chemin entre Youssou N'dour et Alpha Blondy, son chanteur ne manque pas de charisme. Et si le répertoire, encore inégal, a quelques faiblesses, des titres comme le savoureux "Corruption, quand tu nous tiens" (en français) pourraient connaître un bel avenir.
Pas le temps de manger, il faut filer au "Capitole" où se prépare le premier gros morceau des REMY. Apparemment, la Socinada a dû être payée, car tout commence (presque) à l'heure.
Connu pour son caractère très entier (il lui arrive de ne pas laisser terminer un artiste qui ne lui plait pas) le public camerounais aurait pu être désorienté par l'afro-jazz assez cérébral de Toup's. Mais la mayonnaise prend, et la maîtrise instrumentale du groupe va séduire une salle combe, qui s'y connaît en bons musiciens. Le fils de Francis n'avait jamais joué dans son pays d'origine et attendait cette première avec un mélange de joie et d'appréhension. Examen réussi, pourra revenir !
Arrive Sally. De mauvais poil. A sa décharge, il est vrai qu'elle ne devait pas jouer ce soir. Mais, bon, ici il faut savoir s'adapter, elle devrait le savoir. Après avoir exigé de passer en fin de spectacle, en vedette, elle décide finalement de chanter avant les Mahotella Queens, craignant que la soirée ne s'éternise (sous-entendu: qu'il n'y ait plus grand monde dans la salle quand son tour viendra).
Un peu diva, ce soir, Miss Nyolo ! Pas grave: le public l'attend avec ferveur et, professionnelle jusqu'au bout des foulards, elle ne laissera sur scène rien paraître de ses humeurs. Et triomphe à l'arrivée pour ce petit bout de femme qui, décidément, est un concentré de pur talent énergétique.
Après le passage de la star, qu'allait-il rester du public pour les sud-africaines, mal connues ici ? La question ne s'est pas posée plus de quinze secondes. En trois minutes d'un a capella prodigieux, les vétéranes de Soweto ont mis le feu au Capitole, et embarqué tout un peuple immédiatement subjugué par ces trois déesses. Expliquant sobrement que le groupe existait depuis trente-six ans, Hilda évoqua la disparition de Mahlatini, l'année dernière, tandis que ses sœurs se retournaient pudiquement pour sécher une larme.
Mais la nostalgie ne dure pas, chez les Reines. Sur un rythme époustouflant, elles mettent la salle debout. Un "Are You Married ?" fuse dans le public. "Bien sûr, répond Hilda. J'ai des enfants et des petits enfants. J'ai 58 ans." Délire dans la salle, qui s'approprie aussitôt les trois grands-mères. Les Nubians, de passage en touristes, se ramassent sur les épaules deux spectateurs survoltés qui dégringolent de leur siège.
Avec "Kazet", qu'elles devront "bisser" -comme on dit ici- deux fois les Queeens signent l'apothéose. Il est deux heures du matin, et personne n'a pensé à s'en aller.
Jean-Jacques Dufayet
Photos: Pierre René-Worms
Aujourd'hui aux REMY
CCF: Janvier Daak / Korongo Jam / André Njikam
Palais des Congrès: Kayou Band / Douleur / Manu Dibango
Demain
CCF: Nabask / Takam II / Gino Sitson
Capitole: Macase / Rokia Traore / Lagbaja/Chiwoniso
Samedi
CCF: Pro'ho Thek Thoor / Negressim / Bantou Pô Si / Umar
Capitole: André-Marie Tala / Ndaï Ndaï / Saintrick / Pierre Akendengué