SACRÉS FRANÇAIS

Sorties respectivement en Grande-Bretagne et au Japon, puis en France, Le Nouveau Rock’n’roll français et Camembert et Sushi sont des compilations surprenantes qui donnent un aperçu inhabituel de ce que peut attendre le public non francophone des productions musicales françaises.

La musique tricolore vue par les Anglais et les Japonais

Sorties respectivement en Grande-Bretagne et au Japon, puis en France, Le Nouveau Rock’n’roll français et Camembert et Sushi sont des compilations surprenantes qui donnent un aperçu inhabituel de ce que peut attendre le public non francophone des productions musicales françaises.

Damned ! Il y aurait de vrais rockers en France, et c’est à un Anglais que l’on doit cette découverte d’importance. Promoteur de soirées rock’n’roll à Londres, le DJ Sean Mc Lusky décide, il y a trois ans, d’exporter son concept dans les nuits parisiennes. Il cherche alors des groupes locaux à programmer en première partie. Outre-Manche, le rock’n’roll hexagonal est un sujet de plaisanterie mais il se rend bien vite à l’évidence qu'il existe une scène. Avec son associé Ludovic Merle et un autre français, Jean-Baptiste Guillot, ils décident de réparer l’injustice. Le Nouveau Rock’n’Roll français présente vingt-deux groupes qui, à quelques exceptions près (AS Dragon, Prototypes), sont restés superbement ignorés des labels nationaux. Parmi les bonnes découvertes figurent les Cheeraks, un mélange détonnant entre Cramps et John Spencer Blues Explosion, Barth à l’électro-pop aérienne ou encore Fancy, très influencé par les Américains d’At the Drive in.

 

Applaudi du bout des doigts en France, le projet a enthousiasmé les Anglais. Pour le magazine de référence Mojo, cette compilation ne serait rien de moins que la deuxième révolution française ! John Kennedy, animateur sur la radio londonienne XFM, a lui aussi été séduit, au point de passer près de la moitié des groupes dans son émission. Amateur de musique française (Les Négresses vertes, Manu Chao), il s’avouait jusque-là assez réticent à notre adaptation nationale."Pour nous, c’est une musique qui est un peu à mi-chemin entre le rock et la chanson, le texte est trop mis en avant et, évidemment, on ne comprend rien…" Mais, pour lui, la référence absolue reste l’électronique. De fait, seul ce style musical a vraiment réussi à traverser avec succès la Manche comme le prouvent les résultats commerciaux obtenus par Air, Laurent Garnier ou Jean-Michel Jarre. Présent sur la compilation Le Nouveau Rock’n’Roll français bien que ses quatre membres – dont deux seulement sont français – vivent à Londres, le groupe Mono Taxi résume assez bien le sentiment général : "La France garde toujours ce côté chic. Une musique belle, sophistiquée avec beaucoup d’idées. Le rock, c’est pour nous, les Anglais. Ne vous occupez pas de ça, ne suez pas trop. Ce n’est pas la peine, vous êtes Français !"

Gainsbourg revisité en japonais

 

 Ce côté glamour est également plébiscité à plusieurs milliers de kilomètres de là. Selon Tatsuji Nagataki, journaliste japonais, auteur de plusieurs livres sur la culture française, les seuls artistes à avoir vraiment percé au Japon sont Serge Gainsbourg, Michel Polnareff et France Gall. Il cite une étude menée dans les années soixante à l’Université de Tokyo : "À la question : quelle est votre musique préférée ? 90% des étudiants, l’élite de l’époque, répondait : la chanson française." Un goût qui reste, semble-t-il, encore assez figé aujourd’hui, d’après Thierry Wolf, patron du label français FGL. "La population est effectivement très attachée à ce qui a été certainement un âge d’or de notre musique. Avec une sorte d’image un peu néo-romantique portée par la littérature baudelairienne, le cinéma de Godard, Lelouch. Pour eux, c’est ça l’archétype de la France. Quand ils viennent à Paris, c’est ce qu’ils recherchent : Saint-Germain-des-Prés, prendre un café sur une terrasse. Leur culture les encadre très strictement, ils recherchent donc ce sens de la frivolité, de la révolte, du je-m'en-foutisme à la française."

Thierry Wolf surfe sur cette (ancienne) vague avec la compilation Camembert et Sushi, on ne peut plus française, puisque distribuée dans un emballage de fromage : une boite de Coulommiers ! Sur le premier CD, Kenzo Saeki offre des reprises plus ou moins décalées de Serge Gainsbourg ou Nino Ferrer. Avec humour et inventivité, il revisite, en Japonais Couleur café, Les Cornichons ou Le Poinçonneur des Lilas tandis que Sea, Sex And Sun se transforme en une tentative de drague des plus pitoyables sur un air d’orgue de barbarie. Le deuxième CD regroupe des artistes pop offrant d’autres hommages. Les Cappuccino, quatuor de la ville de Kobé, reprennent le thème du film Les Tontons flingueurs dans une version kitchissime mais de grande qualité. Certains s’adaptent à la langue de Molière, telle la chanteuse Noriko Kato, avec une réinterprétation jubilatoire d’un titre de Boby Lapointe, La Maman des poissons. Cima Cima ose même une composition directement en Français, Ma Belle Mamie, un hommage sautillant et enfantin à sa grand-mère. Loin d’être indigeste, ce mélange des deux cultures se révèle fort savoureux. Même si on peut déplorer une vision quelque peu surannée de la musique française au pays du soleil levant.

Le Nouveau Rock’n’Roll français (V2/Chronowax) 2004
Camembert et Sushi (Mantra/Wagram) 2004