Les belles histoires de Laurent De Wilde

Avec son nouvel album Stories, le pianiste Laurent de Wilde poursuit ses explorations électro acoustiques. Le jazz demeure cependant la matière brute, mille fois travaillée par les filtres des programmateurs Akimov et DJ Ben. Il en ressort un diamant finement ciselé pour le plus grand plaisir d’un auditoire friand, ces dernières années, des mariages électro jazz façon St Germain ou No Jazz. Explications.

Un nouvel album pour le jazzman français.

Avec son nouvel album Stories, le pianiste Laurent de Wilde poursuit ses explorations électro acoustiques. Le jazz demeure cependant la matière brute, mille fois travaillée par les filtres des programmateurs Akimov et DJ Ben. Il en ressort un diamant finement ciselé pour le plus grand plaisir d’un auditoire friand, ces dernières années, des mariages électro jazz façon St Germain ou No Jazz. Explications.

Votre nouvel album s’appelle Stories. Quelles sont ces histoires ?
C’est une référence à une entrevue que j'ai faite du saxophoniste Wayne Shorter pour Jazz Magazine il y a quelques années. Il m’avait dit cette chose extraordinaire:"La musique doit raconter des histoires. Mais, c’est comme si on met du papier peint sur des murs dans une pièce. Selon les couleurs que l’on choisit et la pièce où on le met, cela habite l’espace et cela change toute l’ambiance. Cela raconte une histoire". J’avais trouvé cette réflexion très forte. Par la suite, j’ai réalisé qu’effectivement, c’est une démarche que j’essayais d’avoir inconsciemment. C’est-à-dire de faire raconter une histoire à la musique, soit par une dimension d’ambiance, de couleur, soit par l’interaction des musiciens et des machines qui donne un mouvement vers quelque chose. J’ai réalisé que c’était ça raconter des histoires.

Quel est donc le "papier peint" que vous avez utilisé pour ce nouvel enregistrement ?
Ce sont des gros travaux d’intérieur, beaucoup de ponçages, d’équipements. L’aspect passionnant de la musique électronique, c’est qu’elle est faite parfois par des artistes qui ne sont pas musiciens au sens classique du terme. C’est-à-dire qu’ils ne jouent pas d’instruments et qu’ils se contentent de prendre de la musique déjà existante. Du coup, l’approche de cette musique est complètement latérale et sonore, c’est-à-dire qu’on a des ingénieurs du son qui deviennent des musiciens.
Ma quête est de me rapprocher du son le plus possible en tant que musicien et donc tout ce qui est susceptible de favoriser cette évolution est bienvenue. D’où mon travail avec Smadj qui est un ingénieur du son et qui est également musicien puisqu’il joue du oud. Cette rencontre a été très enrichissante pour moi. J’ai travaillé également avec Akimov et DJ Ben. En musique électro, comme en musique acoustique, cela ne devient intéressant que lorsqu’on est plusieurs et que l’on peut confronter nos expériences et nos inspirations.

Le reproche que l’on fait à la musique électro est qu’il ne s’agit souvent que d’un copier-coller de musique déjà enregistrée par d'autres. Comment concilier cela avec la musique d’improvisation et de spontanéité qu’est le jazz ?
C’est le procès des photographes contre le cinéma! Ou plutôt des comédiens de théâtre qui se moquent du cinéma. Si vous réfléchissez, le cinéma est un mensonge éhonté. En racontant des mensonges constants on fait croire au spectateur qu’on est dans une ville en carton-pâte, qu’on vole dans l’espace, qu’on se bat contre des monstres. Au théâtre, on est dans une dimension en temps réel de jeu qui est tout à fait similaire à un concert. Effectivement, un concert de jazz et un disque d’électro c’est comme un film et une pièce de théâtre. Il y a une certaine ambiguïté dans la musique électro qui restitue des instants de vérité qui sont des solos de sax ou de piano. De plus, faire des rencontres entre machines et instruments acoustiques oblige à des concessions des deux côtés. La dynamique acoustique doit être un peu plus lisse et les machines doivent être plus évolutives, plus improvisatrices. J’essaie de faire rencontrer deux mondes qui sont à priori opposés.

L’album s’ouvre sur French Elections, c’est une allusion aux dernières élections présidentielles ?
Dans le livret de l’album, j’explique que dans les démocraties occidentales, il est interdit d’exercer la peur sur son peuple. Cela dit la peur de l’autre reste un aiguillon extrêmement efficace pour orienter l’opinion. En ce moment, la campagne de Bush concernant Saddam l’illustre parfaitement. Et je pense que les élections françaises se sont jouées sur le même modèle. Une espèce d’intoxication massive, la peur de l’autre qui a, en quelque sorte, poussé l’électorat vers une frilosité, une peur…

Vous êtes musicien, pas chanteur. N’est-ce pas parfois un regret de ne pouvoir exprimer plus directement vos opinions à travers votre art ?
Je ne suis pas là pour faire de la politique car je pense que je dirais beaucoup de bêtises et je crois que je viens d’en dire déjà pas mal, mais cette pensée analytique m’est venue au moment où mon Fender Rhodes (marque de piano électrique) a capté une fréquence d’une radio internationale où j’entendais "French elections are officialy on the way". A l’époque, on était en pleine passion pour ce qui se passait pour le second tour, les manifs, les débats, etc. C’est cette coïncidence qui m’a frappé et ce déclic émotionnel m’a conduit à l’écriture de ce morceau. C’est cet aiguillon-là que j’ai à l’esprit quand je joue ou jouerai ce morceau, il suffit de le savoir.

Sur cet album, on entend la chanteuse du Malawi, Malia, le flûtiste cubain Orlando Maraca Valle, un mélange d’électro et de jazz. Vous n’avez pas peur de perdre votre auditoire dans ce fourre-tout musical ?
Non, d’ailleurs je trouve que le résultat est beaucoup mieux que le disque précédent. A la base, je suis un jazzman. Dans un concert, il est fréquent de passer d’une balade à un bœuf débridé de fin de set et donc de balayer très large dans les rythmes et les genres bossa, reggae. Je trouve que c’est un crime de se priver de cela parce qu’on passe dans l’électronique. Je n’ai pas fait tomber un mur pour me casser le nez sur un autre. Je pense que c’est difficile de trouver un son et c’est à cela que je travaille. Ce qui permettrait de balayer tous les tempos : de l’impro instrumentale à l’interaction avec les machines.

Vous verra-t-on jouer sous cette formation à l’étranger ?
J’ai déjà des dates arrêtées en Allemagne. Il paraît qu’en Inde la qualité d’écoute est extraordinaire et j’aimerais découvrir ce pays. A Singapour, j’ai fait une sorte de master-class devant un parterre de chinois absolument muets. A bout de salive, au bout de quarante-cinq minutes, je dis: "Bon, on va faire une pause" et le commissaire politique qui était assis au fond sort fumer une clope. A peine avait-il le dos tourné que j’avais quinze personnes qui viennent me voir et m’inondent de questions du genre:"Mais qui est Miles Davis?"

Stories (Warner Jazz France), sortie le 4 mars.