Le rap au stade

Le concert Urban Peace est l'évènement rap/R'n'B de cette rentrée. L'affiche est exceptionnelle puisqu'elle rassemble sur la même scène du Stade de France, quelque cinquante artistes hip hop dont Pit Bacardi, Kery James, la Fonky Family, Arsenik, Joey Starr, le 113, Matt… Lady Laistee, reine du rap français et Kool Shen, demi NTM, donnent leurs sentiments sur l'événement du 21 septembre auquel ils participent.

Interview de Lady Laistee et Kool Shen avant le concert du 21 septembre à Paris.

Le concert Urban Peace est l'évènement rap/R'n'B de cette rentrée. L'affiche est exceptionnelle puisqu'elle rassemble sur la même scène du Stade de France, quelque cinquante artistes hip hop dont Pit Bacardi, Kery James, la Fonky Family, Arsenik, Joey Starr, le 113, Matt… Lady Laistee, reine du rap français et Kool Shen, demi NTM, donnent leurs sentiments sur l'événement du 21 septembre auquel ils participent.

C'est la première fois que le hip hop bénéficie d'un aussi grand espace d'expression. Qu'en pensez-vous ?
Lady Laistee
: C'est une grande évolution ! Quand le rap a commencé à grandir en France, il y a une dizaine d'années, on n'aurait jamais imaginé qu'on pourrait un jour chanter dans le Stade de France ! C'est une manière de montrer que cette culture est florissante.
Kool Shen : Ça veut dire que le hip hop s'est aujourd'hui, installé comme une musique majeure. En tous les cas, il fait vraiment partie du paysage musical français. Ce n'était pas juste l'intrusion de gamins venus s'amuser il y a quelques années. C'est même un style quasi-majoritaire pour une grande partie de la jeunesse.

Ce concert participe d'un phénomène de "dé-ghettoïsation" du rap ?
KS
: Je n'ai pas vraiment l'impression qu'on l'a mis dans un ghetto. On l'a simplement pris comme un truc qui n'était pas réellement une musique parce qu'il ne faut pas forcément savoir jouer d'un instrument pour faire du rap. On a donc mis ça un peu à part, mais pas nécessairement parce que c'est une musique qui vient des banlieues. Aujourd'hui, d'autres styles comme les musiques électroniques prennent également une place de plus en plus importante.

On peut vous rétorquer que ce phénomène de méfiance ne s'est pas produit avec les musiques électroniques…
KS
: Parce qu'elles ne contiennent pas le même message, social en l'occurrence. Le rap représente une certaine catégorie de la population qui avait un peu été mise à l'écart. Forcément, la portée n'était pas la même qu'avec la techno où l'on ne trouve pas spécialement de message.

Si les concerts rap se faisaient rares il y a quelques années, c'est aussi parce qu'ils étaient plus ou moins officieusement proscrits des salles, à cause du public, supposé dangereux, qu'ils pouvaient drainer…
LL
: C'est un peu un combat que chaque artiste a en lui-même… Quand on écrit des albums, on a l'ambition de pouvoir les interpréter sur scène, de pouvoir partager ce qu'on fait avec le public. C'est vrai que les manifestations rap étaient rares jusqu'à il y a encore peu. Des artistes comme IAM ou NTM ont réussi à développer ça.
KS : A la limite, au Stade de France, tout va être fait pour que ça soit sécurisé à 2000% ! Ceci dit avec NTM, on a fait pas mal de dates sans incident ! Je pense qu'il n'y aura pas de souci à se faire.

Cette soirée est également une marque de professionnalisation du rap…
LL
: Le rap vend beaucoup de disques en France, c'est une économie non négligeable. Le courant musical est bel et bien là, le public est demandeur, il est donc important de le satisfaire et de lui apporter un divertissement en live. J'espère que cette manifestation pourra montrer aux organisateurs qu'il n'y a pas lieu d'avoir peur, et qu'on peut être positif de temps en temps !

On parle beaucoup au sujet d'Urban Peace d'évènements extra artistiques : problèmes de sécurité, autorisations préfectorales fragiles… Ça énerve ?
KS
: Ça fait dix ans que ça dure donc… On a prouvé que l'on peut faire des concerts hip hop en France, que cette musique a été représentée dans pas mal de salles sans pour autant qu'il y ait plus de violence que dans d'autres concerts.
LL : Ça m'énerve parce qu'on est en train de créer une ambiance qui n'a pas lieu d'être. Chaque concert peut générer des problèmes de sécurité, même si effectivement le public rap peut se montrer un peu turbulent ! Je pense que les jeunes se rendent bien compte que c'est avant tout l'opportunité de voir sur scène des artistes qu'ils apprécient. Si on commence à introduire cette espèce de peur, ça va forcément inciter les gens à faire des bêtises ! Tous les concerts ont besoin de sécurité. Je me rappelle qu'à tous les concerts de NTM, il y avait tellement de cars de CRS qu'on ne voyait plus l'entrée ! Tout s'est toujours bien passé ! On commence à faire peur aux gens alors que le concert n'a pas encore eu lieu. Urban Peace est un évènement comme un autre.

Appeler cette soirée Urban Peace, la Paix Urbaine, c'est une manière de désamorcer ces critiques ?
LL
: Tout à fait. Récemment, dans tous les médias, on assimilait les problèmes d'insécurité à la banlieues et à ses jeunes - donc quelque part au rap ! Appeler cette soirée "Urban Peace", c'est justement une façon de prouver le contraire. Si malheureusement une bagarre éclate, il ne faudra pas y voir un lien avec le rap, même si l'incident risque d'être monté en épingle… Alors qu'il peut y avoir des bagarres pendant un concert de Johnny Hallyday sans qu'on en entende parler ! Ma plus belle revanche serait que tout se déroule sans incident, et que le public soit content.

Vous vous inscrivez dans un mouvement Urban Peace ?!
KS
: Je ne monte pas sur scène pour faire la guerre : je fais de la musique ! Moi ce qui me dérange le plus dans ce concert, c'est le procédé qui consiste à ramener énormément de monde pour remplir le Stade de France, alors qu'artistiquement, il aurait été plus intelligent de ramener quatre ou cinq groupes phares et de les voir se donner pendant une heure chacun. Samedi, certains groupes joueront cinq, dix, voire quinze minutes pour les plus connus.

C'est la sélection du Reader's digest version hip hop !
KS
: C'est un peu ce qui est dérangeant…

Ça sera le Woodstock de la génération XXL et pantalons baggy ?!
LL
: C'est un peu ça. C'est le même genre de rassemblement, même si les jeunes qui écoutent du rap sont plus "échauffés" parce que c'est une musique qui vient des cités, et qui représentent les gens qui la chantent et l'écoutent. Elle est aussi révélatrice d'un certain nombre de malaises sociaux sur lesquels il serait bon de se pencher.
KS : Le côte marketing de l'histoire n'a rien à voir avec l'élan réel d'une jeunesse, d'une envie… Cela dit, ça ne m'empêchera pas de faire ce que je veux sur la scène, même si je ne joue pas assez longtemps. Ce qui me dérange le plus, c'est qu'il s'agit d'une sélection de toutes les musiques qui passent à la radio : chacun va venir jouer son tube. Je préfère les manifestations où les mecs viennent vraiment faire un concert. Maintenant, on se doit d'être présent, parce que les autres ont répondu à l'appel, et qu'il va y avoir peut-être 50.000 personnes. Et puis j'aime la scène, et je n'aurais pas souvent une telle occasion ! Ces derniers temps, on n'a pas fait énormément de tournées (avec le IV My People, ndlr). C'est donc l'occasion de renouer avec la scène.

Le rassemblement de samedi est-il une façon de casser le cliché "esprit de clan" du rap, qui veut que l'humeur d'un rappeur de Marseille soit incompatible avec celle d'un rappeur de Seine-Saint-Denis ?
LL
: Encore une fois, c'est un cliché ! Quand on est invité à un concert, les artistes se retrouvent la plupart du temps dans les coulisses, tous regroupés sous un même nom, parce que l'on est avant toute chose rappeur. Les artistes ne vont pas venir en se disant "je suis du 9-3, donc je ne te parle pas !" Ce qu'ils aiment, c'est être avec le public, et on viendra tous à Saint-Denis dans cet esprit. Bien sûr, il y a des divergences d'opinion, de style : nous ne sommes pas des clones ! Chacun a sa personnalité, et donc ses idées. Mais je pense que nous sommes tous conscients qu'il s'agit d'un rassemblement dans un but positif, et qu'il faut mettre de côté ses éventuels griefs, ses idéaux… Ce rassemblement est une marche en avant.
KS : Que chacun se réclame de son endroit, c'est un peu normal. On est un peu comme des animaux, on essaie de marquer notre territoire ! Mais ça ne va pas plus loin. On est tout à fait conscient que ce qui se passe dans le 9-3¹ se passe aussi dans le 9-4¹, et qu'il n'y a pas de réelles frontières entre les départements. Les états d'esprits sont les mêmes, et si on était né dans la cité du voisin, on serait probablement potes. Je ne pense pas qu'il y ait de réelles rivalités. Dans le rap, il y a un côté clash : c'est de la joute verbale. A un moment, tu dois te montrer plus fort que ton voisin !

Est-ce que le côté auberge espagnole de l'entreprise - mélanger rap et R'n'B par exemple - ne vous a pas rendus sceptiques ?
LL
: Au contraire, je trouve que le public rap et R'n'B se rejoignent, parce que les chanteurs R'n'B et les rappeurs ont de plus en plus de feelings ensemble, et se rendent compte que le R'n'B pourrait être un dérivé du rap, ou une de ses filières si l'on peut dire. Ce qui me rendait plus sceptique, c'est le fait de donner le Stade de France à des rappeurs ! Pour moi, seuls Johnny Hallyday, Céline Dion et quelques autres pouvaient y aller ! Ensuite, quand j'ai vu qu'on avait laissé aux rappeurs le droit de monter sur cette scène, j'ai dit "ok, vogue la galère !". J'en fais partie.
KS : Par rapport au R'n'B, sans citer de noms, je ne vois pas d'inconvénient quand c'est bien fait. Ce sont effectivement des musiques issues de la même culture musicale - tout ce qui est soul, funk - après ça a été "aromatisé" différemment. On s'aperçoit aujourd'hui que de plus en plus de sons hip hop ressemblent au R'n'B et inversement. Moi, ça ne me dérange pas du tout.

L'affiche est-elle représentative de la scène rap-R'n'B, si tant est qu'il s'agisse d'une scène commune ?
LL
: Pas tout à fait, car il manque pas mal de groupes pour des raisons que j'ignore, ne faisant pas partie de l'organisation. C'est représentatif d'une partie de ce courant, en particulier les artistes les plus connus du public.
KS: Il manque quand même quelques artistes, dont beaucoup sont plus performants que certains de ceux qui seront sur scène samedi. En un sens, c'est la vitrine radiophonique, je ne vais pas dire que c'est la crème du hip hop ! Loin de là…

Une vitrine radiophonique avec une éventuelle compilation à la clé !
KS
: Exactement, avec DVD et tout !

Quand vous avez commencé votre carrière avec Suprême NTM, vous ne pensiez pas un jour participer à un tel événement. C'était une sorte de but à atteindre ?
KS
: C'est sûr que l'on ne pouvait pas imaginer ça. Ceci dit, on a fait le Zénith de Paris assez tôt dans notre carrière, en 92, soit deux ans après notre premier disque. Bien sûr, on pensait qu'il y allait avoir une relève, une émulation autour des quatre-cinq groupes qui tenaient le truc dans les années 90. De là à se dire qu'on allait faire le Stade de France avec autant de groupes, et que les groupes qui étaient là il y a quelques années allaient se mettre à produire, qu'il ne s'agissait pas juste d'un jeu, mais de gens qui ont une passion qu'ils ont envie de transmettre… Quand c'est drainé par la musique, et pas par la violence, c'est intéressant.

¹ Départements 93, Seine-Saint-Denis, et 94, Val-de-Marne.

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