Les compagnons africains de Real World
Depuis plus de dix ans, le label de Peter Gabriel regarde toujours vers l'Afrique. Après les succès de Youssou N'Dour, Geoffrey Oryema ou Papa Wemba, une nouvelle génération de musiciens africains bénéficient des soins de la production british arc-en-ciel. C'est le cas du groupe Tama, du duo Pape et Cheikh ainsi que du groupe Afro Celt qui signe pour sa part, un quatrième album.
Tama, Pape et Cheikh et Afro Celt
Depuis plus de dix ans, le label de Peter Gabriel regarde toujours vers l'Afrique. Après les succès de Youssou N'Dour, Geoffrey Oryema ou Papa Wemba, une nouvelle génération de musiciens africains bénéficient des soins de la production british arc-en-ciel. C'est le cas du groupe Tama, du duo Pape et Cheikh ainsi que du groupe Afro Celt qui signe pour sa part, un quatrième album.
L'un des cœurs des musiques du monde bat au sud de Londres. Grâce à la rock star britannique Peter Gabriel, la ville de Bath incarne aujourd'hui l'univers Real World. Ce moulin du XVIIe est à la fois le lieu de vie de l'ex-Genesis, un studio d'enregistrement mythique, les bureaux d'une maison de disques hors norme et des festivals WOMAD (World of Music Art and Dance).
Quelques célèbres voix de l'Afrique se sont posées sur ce label aux pochettes composées d'une photo sans légende. Sur la centaine de références d'un catalogue où se côtoient Nusrat Fateh Ali Khan, Totò La Momposina ou Doudou N'Diaye Rose, plus de 35 albums ont des racines africaines. Ce que la graine devient une fois la musique plantée dans le décor de bois et de verre du studio anglais est une autre histoire...
Un vrai monde à part
Ce cadre bucolique a scellé des unions inattendues entre musiciens traditionnels et ingénieurs du son élevés au son urbain et numérique. Mais "quelle que soit la musique, quelle que soit la technologie, les bons disques sont avant tout de bonnes performances" rappelle Peter Gabriel. Se souvenant que sa découverte du son congolais via Bo Diddley qui s'inspirait lui-même d'un rythme traditionnel, Gabriel s'empresse de devancer les critiques sur la distorsion que son label peut infliger au patrimoine africain. "La musique est liée à la vie, à l'environnement, aux rencontres martèle le rocker, la pseudo-pureté musicale est bonne pour les musées ou les vitrines".
Aujourd'hui, les premiers protégés africains de l'ange Gabriel ont quitté son giron, mais assument la sonorité mondiale flatteuse. Depuis, Youssou N'Dour a prêté sa voix à des expériences occidentales (avec Obispo ou Neneh Cherry), tandis que Papa Wemba a rencontré un public international. Quant à Geoffrey Oryema, il revendique les influences des Dylan, Hendrix et autres Rolling Stones écoutés en Ouganda. Fashion mais pas victime tient-il lui-même à préciser : "Malgré les arrangements anglais de Bath, quel que soit le label, ma musique vient du cœur. Je ne veux pas être enfermé dans un ghetto Tiers Monde où je ne serais défini que par un genre de musique, je veux être universel".
Tama en marche
Autre pari transcontinental, dans un style plus acoustique, Tama (marcher en bambara) s'est formé autour de musiciens d'univers variés tous aimantés par Paris. Le groupe est né de la rencontre entre le malien Tom Diakité (chanteur mais aussi acteur), le londonien Sam Mills (guitariste) et le bissau-guinéen Djanuno Dabo (percussionniste). De coïncidences en amitiés diverses, ils ont été réunis par le maître bengali Paban Das Paul, qui avait lui-même joué avec Diakité à l'issue d'une pièce de théâtre. Depuis trois ans, leur trio instaure des causeries inédites entre le donso ngoni, le piano, le violoncelle, l'oud, la guitare et la kora.
Pour leur deuxième album, intitulé Espace, les trois garçons ont accueilli la voix de la diva malienne Mamani Keita qui a entre autres, participé au projet Electro Bamako de Marc Minelli. Elle a souvent rejoint Tama sur scène avant de faire sa première apparition en tant que membre du groupe pour un morceau de l'album Real World contre le SIDA. Comme Tom et Djanuno, qui a vécu à Lisbonne et à Madrid, Mamani a finalement émigré en France. C'est pourtant en Angleterre que l'album a été enregistré. "Là-bas, tu n'as pas l'impression de faire quelque chose d'inhabituel raconte Sam Mills, auteur d'une thèse sur le mysticisme sufi au Bengladesh. C'est comme la viande et les pommes de terre, c'est un mélange quotidien ". Pour l'occasion, d'autres "Parisiens" célèbres sont venus cuisiner cette acoustique finement ciselée : l'accordéoniste malgache Regis Gizavo, la chanteuse Susheela Raman, le flûtiste Magik Malik, le violoncelliste Vincent Segal ou encore Djeli Moussa Kouyate... sans céder au surchargé.
Pape et Cheikh
C'est aussi une impression de pureté qui émane du premier opus signé par le sympathique duo sénégalais Pape et Cheikh. Pour Pape, le passage par l'Angleterre sous la houlette du producteur Ben Findlay n'a pas altéré l'authenticité de leur cassette produite au Sénégal en 1999. "Au contraire, en retravaillant les morceaux avec les Anglais, on s'est aperçu qu'on avait un peu surchargé la musique avec trop de basses, de clavier et de percus : l'acoustique était derrière, car au Sénégal cela ne se vend pas très bien, raconte le chanteur. C'est le m'balax ou rien ".
Grâce à Youssou N'Dour, les deux amis d'enfance ont été introduits chez Real World, après avoir étudié au conservatoire et chanté des succès de Cabrel ou d'Adamo dans les hôtels du pays. Leurs chansons avaient finalement réussi à s'imposer face au m'balax local en rythmant la campagne électorale sénégalaise de 2001. Yatal Gueew (l'élargissement du cercle), un titre en faveur de la tolérance entre les différents groupes ethniques a eu un tel impact qu'Abdoulaye Wade, l'actuel Président a décidé de l'utiliser. Wade a d'ailleurs reconnu que cette chanson a joué un rôle non négligeable dans sa victoire.
Si leurs chansons et ballades folk teintées d'influences sérères (ndlr : peuple du Sénégal vivant dans la région de Kaolack, au sud-est de Dakar) ont vite séduit le public du très chic Barbican Center de Londres, puis celui des concerts de Tracy Chapman, Pape et Cheikh tiennent à garder la tête froide. Ils préfèrent toujours la campagne et restent attachés à leur village, Kaolack où ils ont écouté les cassettes de Dylan, Cat Stevens, Pink Floyd, Simon & Garfunkel ou Marley. Aujourd'hui, ils sont en train d'y lancer un vaste projet de production, en partenariat avec la Banque Mondiale et le FMI. Même si Cheikh ne se leurre pas sur les actions du FMI, il veut encore croire à la possibilité de développer des structures de production en Afrique. "Les musiciens ne sont pas organisés, déplore-t-il, en vérité s'il y avait plus de Youssou cela changerait les données et on attendrait moins de l'Europe".
Afro Celt sans le 'sound system'
Placé aussi sous le signe de l'universalité, Afro Celt incarne une des orientations que développe Real World qui ne se contente plus d'unir production anglaise et artistes africains, mais aussi des musiciens de divers continents. Comme son nom l'indique, le collectif Afro Celt créé en 1995, a marié danses celtes et rythmiques afro : succès inespéré et 200.000 albums vendus. Parfois piégé par les synthétiseurs, le groupe possède une efficacité festive redoutable. Flûte, bodhran (tambourin) et cornemuses irlandaises entraînent kora ou tambours d'aisselle (tama) ouest africains. Dans ce quatrième album, les Afro Celt Sound System ont laissé le clin d'œil jamaïcain pour ne devenir qu'"Afro Celt ". "A l'origine, nous n'avions pas l'intention de renoncer à la formule du Sound system, analyse Emmerson, guitariste et producteur, mais au fil des enregistrements et des live, nous avons développé un son différent de celui d'un DJ qui travaille sur des boucles. Nous avons fini par devenir un vrai groupe". Alors que les African Diva de Galliano ou les expériences électriques maliennes sentent encore les collages, Afro Celt affiche l'unité, tout en offrant une diversité d'instruments, à priori difficiles à concilier. Plus organique, Seed (le dernier album) est plus axé sur les compositions et les performances des instrumentistes que sur les samples ethniques.
Le trio de producteurs celtes, (Simon Emmerson, James McNally et Martin Russel) est encore à la base des compositions, mais les chanteurs comme N'faly Kouyate ont apporté leur sensibilité très tôt dans l'écriture des morceaux. Fort de quelques succès et de collaborations vocales témoignant de l'intérêt de l'aventure (Peter Gabriel, Sinead O'Connor, Robert Plant), le groupe a pris confiance et explore d'autres horizons, comme le flamenco ou la musique brésilienne, avec la participation de violonistes virtuoses. Une habitude que cultive avec succès le label Real World.
Albums : AfroCelts Seed, Pape et Cheikh Mariama, Tama Espace.