Les combats de Passi
Nouvel opus, nouvelles ambitions. Avec des matériaux sonores de plus en plus éclatés, l'ex-meneur du Ministère A.M.E.R, désormais transfuge du Secteur Ä, largue de plus en plus les amarres avec le rap français à sens unique. Son vœu le plus sincère: aller de plus en plus loin, tout en tenant compte de la diversité du monde qui nous entoure.
L'ascension continue
Nouvel opus, nouvelles ambitions. Avec des matériaux sonores de plus en plus éclatés, l'ex-meneur du Ministère A.M.E.R, désormais transfuge du Secteur Ä, largue de plus en plus les amarres avec le rap français à sens unique. Son vœu le plus sincère: aller de plus en plus loin, tout en tenant compte de la diversité du monde qui nous entoure.
L'album s'appelle Genèse. Seize titres, sauf pour ceux qui ont le bonus track de l'édition limitée. Seize missives qui ambitionnent de dresser une passerelle entre le mythe de la création du monde et l'épopée naissante du troisième millénaire, avec une morale pleinement inscrite dans la société actuelle: "Guette/ Vise/ prends ta part du gâteau". Non pas que la philosophie de Passi tienne seulement dans cette phrase aux contours ambigus. Mais il semble qu'à force de subir les reproches de la critique bien-pensante sur sa tendance pop, l'ex-Ministère Amer a eu besoin de rappeler quelques vérités. La vie est un long combat, où le plus fort déchire le plus faible ("C'est écrit comme ça/ Notre heure viendra… L'homme est un loup/ Pour l'homme/ Act 21 verset 2000-03-05"). Il vaut mieux rester sur ses gardes, bien choisir ses amis ou sa famille pour éviter de se planter ("Sache avec qui tu bouges et avec qui tu vis…"). Cette société va mal ("Progrès haine et autodestruction") et même les émeutes n'y peuvent rien ("Ça va pas bien loin"). Seuls s'en sortent ceux qui fixent leurs ambitions au-delà de la moyenne. Car voilà le vrai message de cet album: l'avenir est à ceux qui s'en donnent les moyens. Or les moyens, quels sont-ils, si ce n'est la puissance de l'argent et les privilèges qu'elle génère ?
On a beaucoup dit et beaucoup écrit sur les dérives possibles du rap français. Après avoir longtemps trimé au service des maisons de disques sous l'œil accusateur de l'institution, les rappeurs ont voulu durant ces dernières années se prendre réellement en main, profiter de leur réussite pleinement et contrôler leur business. Issu d'une des mouvances les plus influentes du hip hop hexagonal (le Secteur Ä), Passi fait partie de cette vague offensive. Il a commencé par s'offrir un premier opus solo plutôt grand public: Les Tentations. Un album qui a gravi les charts à une vitesse inattendue et qui a largement débordé le champ du disque platine. De la part d'un enfant de l'underground hardcore, porte-voix consacré du Ministère A.M.E.R, l'enjeu était risqué. Certains l'ont soupçonné de vouloir rapper commercial, lui s'est contenté de séduire un plus large public. La nuance a bien sûr son importance dans ce débat. Par la suite, il a récidivé avec l'aventure collective du Bisso na Bisso: huit parisiens de parents congolais qui retrouvent leurs racines ancestrales, à travers le hip hop et les musiques urbaines de l'Afrique contemporaine. Banco! Le public s'est laissé happer par la lame de fond. Et comme on ne lâche pas une affaire qui gagne, le poète parti de Sarcelles la grise a dû tirer une conclusion de circonstance: plus haut tu montes, mieux le message passe. Pour cela, il vaut mieux être accusé d'ouverture que d'être taxé de génie obtus. C'est toute cette aventure que raconte Genèse, sous couvert de raconter le monde actuel. D'où les nombreux passages consacrés "à la pseudo-société du rap" sur l'ensemble de l'album.
Au départ, était le quartier. Au final, il n'y a qu'une envie pour les mômes sortis de banlieue de la génération Passi : s'en sortir. Entre les deux, il y a ceux à qui la chance sourit parce qu'ils savent se battre dans les règles de l'art et il y a ceux qui terminent en prison. "Avec le recul, on se rend compte que nous faisions du journalisme, en racontant ce qui se passait autour de nous. En même temps, on a toujours dit : nos parents ont fait le voyage d'Afrique à Sarcelles pour changer le niveau de vie. Il faut que nous, on le fasse de Sarcelles à ailleurs pour être encore mieux. Nous on le fait avec la musique. Il faut que d'autres le fassent avec les études et ainsi de suite… " explique Passi. Rap Bizness, Ce qu'ils veulent, Pour mes supporters sont autant de charges qui viennent rappeler le bon sens de la démarche entreprise par notre homme. Le but avoué nivelle forcément par le haut ("On va de l'avant"). Donc il assume: "Je sais que c'est tabou de parler d'argent en France. Mais quand les rockers viennent et vendent des disques, cela ne gêne personne. S'ils génèrent du business, on ne les critique pas. Tandis que le rappeur, c'est toujours le mec louche qui vient de banlieue. Et quand il commence à entrer dans les hautes sphères, à être respecté, à être reconnu, là ça pose problème. C'est toujours l'image du sportif noir ou arabe, du chanteur noir ou arabe qui réussit et qui gêne. Ce n'est pas pour ça qu'ils vont nous empêcher de faire du business et de nous installer économiquement." Passi est en guerre (cf. le titre Mes supporters). Une guerre aux allures économiques pour racheter sa dignité. Au nom des années passées à galérer, malgré sa passion hip hop.
Adopter les règles du monde de l'argent, ne dispense cependant pas de rester fidèle à une éthique du rap. Le côté "passionnel" , selon lui. Le côté le plus essentiel pour l'artiste. Genèse reste fidèle à l'évolution du genre. Certes, il donne l'impression de passer du rap érudit au rap cannibale qui bouscule tout sur son passage. Certes, il puise à plusieurs sources, des cordes napolitaines aux chœurs de l'Armée Rouge, en passant par le fameux tube samplé de Manu Lima (Bané), sur lequel posent en featuring les membres du Bisso. Certes, il éclate son univers sonore, en juxtaposant par exemple le travail des sons hardcore de White & Spirit avec les audaces du dandy Kaysha ou en multipliant les artistes auxquels on ne s'attendait pas (avec Rita Marley notamment). Mais la devise reste la même, du premier titre au dernier : "Je pense qu'on a passé l'âge d'aller piocher dans les disques soul. Et c'est pour ne pas rester justement dans le boum tchak boum boum tchak boum habituel que je vais puiser ailleurs. Bien sûr qu'il en faut… Mais il faut d'autres morceaux où l'on respire, où l'on montre que l'on peut conquérir d'autres univers. Le message vient d'en bas pour aller conquérir, pour prendre du terrain, pour s'installer et pour faire passer le message. Donc c'est normal que l'on progresse, que l'on s'élargisse et que l'on prenne des sonorités à droite à gauche pour réaliser des trucs encore plus ambitieux. Il me faut à chaque fois aller me ressourcer ailleurs, prouver que je peux dépasser mes propres limites, aller encore plus loin".
Avis aux éternels grincheux, Passi ne déroge pas à la règle du bon hip hop. A preuve, l'album à la scène sera interprété à l'ancienne. Des dj's, des platines, des mc's. Mais respecter la tradition du rap, n'est pas figer le genre dans une tendance révolue. Il faut le faire évoluer parfois, au risque de se tromper: "Je trouve qu'en France, on n'ose pas assez. Moi j'aime le faire. Si ça marche, c'est bon. Si ça ne marche pas, tant pis. Je n'aurais pas eu cet état d'esprit, jamais je ne me serais battu pour le Bisso Na Bisso. On ne peut pas toujours revenir avec le même truc. Le rap, c'est comme à l'époque du break. Il y a un rond. Il y en a un qui donne une figure de style, l'autre qui vient après doit donner une figure encore plus complexe et ainsi de suite. C'est un jeu où l'on essait de monter toujours de plus en plus haut". En n'oubliant pas d'y entraîner les plus jeunes (les Sénégalais de Bideew Bou Bess, que Passi vient de prendre en licence, sont sur le titre Ex-nihilo) à sa suite.
Passi Genèse (Issap Productions / V2) 2000