La fête à Henri Salvador
Le Palais de Congrès d'Issy-les-Moulineaux, dit PACI, en proche banlieue parisienne, a été le théâtre samedi 24 d'un hommage rendu à Henri Salvador par de nouveaux talents francophones. Organisée dans le cadre du festival Chorus des Hauts-de-Seine, cette soirée a moyennement rempli son contrat "Hommage à", mais a magnifiquement réussi son opération visant à faire découvrir des artistes peu ou pas connus.
Soirée hommage ou soirée découverte ?
Le Palais de Congrès d'Issy-les-Moulineaux, dit PACI, en proche banlieue parisienne, a été le théâtre samedi 24 d'un hommage rendu à Henri Salvador par de nouveaux talents francophones. Organisée dans le cadre du festival Chorus des Hauts-de-Seine, cette soirée a moyennement rempli son contrat "Hommage à", mais a magnifiquement réussi son opération visant à faire découvrir des artistes peu ou pas connus.
Prévue bien avant le regain de succès du chanteur octogénaire à l'automne dernier (album 15ème du Top album au classement Snep/Ifop cinq mois après sa sortie, Victoire de la musique du Meilleur artiste et du Meilleur album de l'année), cette soirée tombe à pic. Le répertoire d'Henri Salvador, renfermant quelques perles admirables à l'image de Syracuse, est effectivement une excellente raison pour le faire vivre via des artistes en pleine éclosion.
Ce soir-là, ils sont une dizaine, auxquels il a été demandé de préparer deux à trois titres de leur répertoire et un à deux titres de Henri Salvador. L'affiche "Hommage à Henri Salvador" est donc aussi, et finalement, une soirée prétexte à déceler ceux qui vont occuper l'espace musical dans les années à venir. Et là, la perspective est assez excitante.
Dans la salle, Julien, alias DJ Rare, accueille le public derrière sa platine qui diffuse de vieux Salvador période Ray Ventura ou Boris Vian. Ce monsieur Loyal un rien zazou, fil rouge de la soirée, est par ailleurs un des organisateurs : "Les Chorus m'ont contacté parce que je m'occupe de jeunes artistes. Ils voulaient des nouveaux talents et pas des stars", confie le patron de Life Live, écurie associative de quelques-uns des participants de ce soir. Ce DJ a ceci de rare que son terrain de chasse est plus le bal guinguette que la boîte branchée. Plein de courage, il tente de mettre de l'ambiance, questionne les spectateurs, comble l'attente, dans une salle qui n'a rien d'un dancing, quand enfin, démarre la soirée.
Les prestations sont très courtes, les changements de plateaux heureusement rapides, le tout dans un joyeux cafouillage, d'où parfois, l'impression d'assister à un radio-crochet… Mais l'affiche est franchement satisfaisante, la plupart d'entre eux, en rien des débutants, étant déjà bien rôdés à la scène. Les groupes ont en particulier des univers propres, des prestations au point, à commencer par Le Facteur, un groupe de cinq… facteurs et une factrice, jupe fendue et couettes sous la casquette, et leurs très inattendus rythmes latino ou youyous nord-africains… Chez les suivants, les Troubadours du Désordre, on est tout de suite fixé. Mlle Chomb au chant et son compagnon Dom Kiris ont tapé dans le tube : une Chanson douce et Minnie petite souris, "une chanson que j'avais tout le temps en tête quand j'étais petit, raconte Dom Kiris. Salvador souvenir d'enfance ? C'est le point commun que l'on retrouve chez la plupart d'entre eux, nés à vue de nez entre 1965 et 1975, époque où Henri travaillait pour Disney.
Les Joyeux Urbains, quatuor au look années 40, créent le reggae-swing dans Dîner mondain, où ils rendent hommage aux stars du genre, Bob Marley, Peter Tosh et… Tonton David. Puis recentrent le sujet en interprétant Une Bonne paire de claques, époque Vian quand Salvador s'appelait Henri Cording. Mais le plus grand décalage de la soirée, c'est avec Frer 200 qu'il s'opère. Ce trio de rappeurs d'Issy-les-Moulineaux, à la fois les plus débutants et les plus applaudis, ont choisi une reprise carrément audacieuse en rappant sur Jardin d'hiver, extrait du tout dernier album d'Henri, symbole de leur ancrage dans le présent. "Je connaissais la personne qui rigole mais pas trop les chansons", avoue Adrien, l'un d'entre eux. "On a été surpris de savoir qu'on avait pensé à nous." Franchement décalés, ils assurent cependant hardiment leur set.
Mais les vraies bonnes surprises viennent - c'est un hasard - des artistes en solo. Bien sûr, on retrouve Clarika avec plaisir, sans doute la plus "connue" ce soir, la jeune femme sortant son troisième album à l'univers toujours aussi espiègle pour une chanteuse, comédienne de formation, habituée à jouer avec son répertoire. Pour la soirée, elle a choisi audacieusement un titre méconnu de 1968, Fais semblant. "C'est dans ses titres les plus lents qu'il m'émeut, explique-t'elle. "J'écoutais ça tout petite et affectivement, ça me parle."
Enchantement de la découverte en revanche avec la Grande Sophie, grande fille qui sort pourtant son deuxième album ces jours-ci et qui après sept à huit ans de scènes en tous genres, vient de signer cher Sony. Sorte de pendant féminin de Tété, dernier chouchou de la major japonaise, Sophie et sa guitare, songwriter à la française marche sur les traces d'une Suzanne Vega. En beaucoup plus gai… Son contact avec le public est excellent, elle est radieuse et sa voix claire ne fait que mettre en valeur des compositions au potentiel évident. Pour Henri, elle a choisi C'est pas la joie, un titre de 1991 : "J'ai hésité avec Petit Lapin, ne va pas à Paris… Il fait partie de mon enfance. Je trouve son parcours vachement bien. D'ailleurs, je n'aime pas le mot "hommage". Je préfère "fête". On fête sa carrière."
Après la (grande) fille, les trois derniers coups de cœur vont vers des hommes, trois univers à suivre de près dont le point commun est leur passeport belge. Jean-Jacques Nyssen d'abord, qui apparaît avec une fabuleuse version, drôle et théâtrale, du Blues du dentiste. C'est le seul à intégrer de l'électronique dans son répertoire, laquelle s'accorde à merveille avec son univers minimaliste auquel, fait inhabituel avec cette musique, il ajoute une sacrée dose d'humour et de tendresse.
Tendresse aussi chez Daniel Hélin, sorte de clown rock'n'roll, comédien de l'autodérision, qui débarque avec Ma vache, histoire de nous mettre dans l'ambiance d'un répertoire qui refuse de se prendre au sérieux.
Enfin, sorti de nulle part, arrive Dimitri, assis au piano, torse nu et lunettes noires, sorte de Boris Vian du XXIème siècle, dont les chansons sont incroyablement belles à l'instar de sa voix. Dans un esprit qui rappelle les tout premiers CharlElie Couture, il clôt le spectacle avec un Syracuse à la hauteur de ce qu'aurait pu être cet hommage, cette fête à Henri Salvador, parfois en deçà de l'enjeu. Manque d'unité que font oublier ces artistes dont la plupart sont, c'est certain, le futur de la chanson francophone. Sinon, je n'y comprends plus rien !
Catherine Pouplain