Vincent Baguian gagne sa vie avec les mots
Passé de la pub à la chanson, Vincent Baguian cultive l’art du contre-pied. Il publie un troisième album, Ce soir c’est moi qui fais la fille, mêlant fausse naïveté et jeux de mots rarement gratuits. En concert en juin au Zèbre de Belleville à Paris.
Troisième album, Ce soir c’est moi qui fais la fille
Passé de la pub à la chanson, Vincent Baguian cultive l’art du contre-pied. Il publie un troisième album, Ce soir c’est moi qui fais la fille, mêlant fausse naïveté et jeux de mots rarement gratuits. En concert en juin au Zèbre de Belleville à Paris.
Vincent Baguian n’a pas fait que la fille, comme pourrait le laisser penser le titre de son album, (Ce soir c’est moi qui fais la fille) ou le chanteur. Boulanger, vendeur à la Fnac (chaîne de magasins culturels), garde d’enfants… tout juste majeur et pas encore vacciné, le jeune Vincent répond à une annonce qui décide de son avenir professionnel. Il devient coursier pour une agence de publicité parisienne. Pour épater son petit monde, il dit qu’il travaille dans la pub, cela fait toujours bien.
Côté musique, si papa et maman l’ont baigné dans les symphonies et les sonates, il a bien sûr jeté le bébé avec l’eau du bain pour plonger dans le rock avec son groupe au lycée. Même si leurs seuls faits d’armes sont des mariages, tendance tango langoureux plutôt que pogos douloureux. Vincent, qui a appris la guitare au Conservatoire, ne la laissera jamais vraiment tomber, même pendant ses heures de gloire dans le monde de la publicité. Devenu concepteur-rédacteur à 20 ans, tout va très vite. En cinq ans, il devient l’un des mieux payés de la place de Paris, et plusieurs de ses campagnes publicitaires sont primées.
Trouver sa voix
Pas vraiment dans le besoin donc, il se fait rémunérer par une maison de disques, pour laquelle il concocte des pubs, en heures de studio. Premiers enregistrements, premier disque, publié par Fnac Music en 1991. Il préfèrerait l’oublier : "ce fut un échec, tant mieux. Je ne voulais pas être reconnu pour ce disque. Je n’avais pas encore trouvé ma voix. Comment chanter ? Comme Bashung parce que je l’aime bien ? En studio, on a l’impression de bien chanter… c’était une catastrophe. Dans la variété, on a pourtant le droit de chanter même lorsque l’on ne sait pas. D’autres l’ont fait… "
Le déclic, ce seront les rencontres d’Astaffort, organisées par Francis Cabrel. Il se retrouve en 1995 dans ce petit village du Lot-et-Garonne avec d’autres auteurs compositeurs interprètes. Ses chansons personnelles n’intéressent personne, en revanche, il fait bien rire avec les textes qu’il a pu écrire pour d’autres ("J'irai voir le Pape à Noël /Et tu descendras du ciel"). Son créneau est trouvé, la voie est tracée, mais le cheminement n’est pas si simple pour Vincent : "Je suis bien sûr ravi que les gens rigolent. Mais lorsque j’écris, je le fais sérieusement. Le prix de l’Académie Charles-Cros, que j’ai reçu, m’a extrêmement fait plaisir, car cela veut dire que l’on m’a pris au sérieux. "
Concis et caustique
Car Vincent Baguian est un équilibriste, toujours sur le fil du rasoir, balançant entre le premier et le second degré, entre la naïveté et le cynisme, le rire et les larmes. "Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer" disait Figaro (le Barbier de Séville de Beaumarchais). Faire rire c’est très sérieux, d’autant que les jeux de mots, même un peu faciles, ne sont jamais gratuits et interpellent ses auditeurs. Calembours, art de prendre les choses à l’envers, d’arriver là où on ne l’attend pas… Sa façon d’écrire, il la tient sans doute de ses 20 années passées dans la pub, avec une pratique quotidienne du texte, précis et concis. Il peut être un peu lubrique : "Mais n’ayant pas été conçu pour l’amour platonique / un rien me turlupine et mon corps cède à la panique / Pour éviter, vaincu, que tout converge, à l’obsession / Je me suis tourné vers de saines passions " (la chanson J’ai inventé la scie sauteuse).
Il sait être aussi caustique, dans Je gagne ma vie avec les morts ("Quand y’en a plus, tiens en voilà encore / Les braves gens disparaissent / Et ça remplit mes caisses"), mais comme l’était sur le même sujet Les Funérailles d’Antan de Georges Brassens, une référence dans la culture musicale de notre chanteur, qui confie : "Dans un premier temps, j’aurais bien aimé être Brel". Il chantera dans un second album désenchanté, officiellement son premier (Pas Mal en 1996) : "J'suis sous Souchon, sous Gainsbourg / J'suis moins bon qu'eux, c'est cruel, à côté d'Jacques, j'suis qu'une brèle".
Transformiste
À ces poètes-interprètes, on pourrait ajouter Aznavour, qui affirmait : "On ne peut rien écrire de nouveau ; on peut seulement essayer de l’écrire autrement. Une chanson, c’est une question d’angle ", une citation que Vincent Baguian a fait sienne, à l’exemple de cette chanson qu’il aime du grand Charles, Comme ils disent, qui ose l’identification ("Je suis un homo, comme ils disent"). Les deux chanteurs, d’origine arménienne, ont aussi chanté leur peuple oublié : avec son amie Zazie, Baguian a écrit Je suis une tombe.
Équilibriste et un peu transformiste, le démon du précédent album (Mes Chants) a laissé la place à un Vincent Baguian mi-homme mi-femme, qui pousse le contre-pied jusqu’à écrire une anti-chanson d’amour glaçante, Je ne t’aime pas. Heureusement, à ceux qui seraient tentés de lui en dire autant, il s’est aussi écrit On t’aime Vincent Baguian. En voilà un qui aime faire sa pub.
Ecoutez un extrait de
Vincent Baguian Ce soir c’est moi qui fais la fille (Mercury/Universal) 2008.
En concert au Zèbre de Belleville (Paris) les 16/23/30 juin 2008.