Thomas fersen

Observateur malin du singe sur sa planète, Thomas Fersen enchante. Avec son cinquième album, Pièce montée des grands jours, il cherche cependant à s’écarter des sentiers qu’il a lui-même battus. Le bestiaire prend donc fissa la route de l’abattoir et la Pièce Montée des Grands Jours (Tôt Ou Tard) s’enrichie d’accents rock judicieusement mesurés. En un tour de main à la pâte, Fersen passe de maître-chanteur à maître-patissier. A table !

Pièce Montée des Grands Jours

Observateur malin du singe sur sa planète, Thomas Fersen enchante. Avec son cinquième album, Pièce montée des grands jours, il cherche cependant à s’écarter des sentiers qu’il a lui-même battus. Le bestiaire prend donc fissa la route de l’abattoir et la Pièce Montée des Grands Jours (Tôt Ou Tard) s’enrichie d’accents rock judicieusement mesurés. En un tour de main à la pâte, Fersen passe de maître-chanteur à maître-patissier. A table !

Les albums précédents se succédaient au rythme métronomique d’un tous les deux ans, pourquoi celui-ci arrive-t-il quatre ans plus tard ?
Le live¹ m’a demandé beaucoup de travail. Trier, mixer, choisir les 28 chansons des trois CDs, c’est lourd. A cela tu ajoutes les 150 concerts pour la tournée de Qu4tre. L’envie de changer m’a aussi demandé du temps, je voulais refaire l’instrumentation et mes propres arrangements. Jusqu’au quatrième album, je ne m’en occupais pas, seulement des paroles et de la musique. SurQu4tre, j’y ai touché pour Les Malheurs du Lion, La Chandelle, mais c’est beaucoup de travail pour un seul homme.

Justement, n’as-tu pas eu peur d’être dépassé ?
Non, chaque chose se fait naturellement. Mais c’est en suivant les conseils de Joseph Racaille sur les précédents disques que j’ai beaucoup appris et là, j’ai senti que j’étais capable de le faire.

C’est un vrai besoin aujourd’hui d’être le seul architecte de ton univers ?
C’est parfois indispensable. Parfois on ne peut pas s’en remettre aux autres. C’était déjà un peu le cas avec Qu4tre, où j’ai tout repris en main quand ça pataugeait. Et dans ce genre de situation, c’est à moi de le faire. Pareil pour le live.

Toute cette simplicité de façade dans tes histoires et ton personnage est finalement régie par une sophisticationtrès stricte ?
J’ai besoin de préciser ma pensée et chasser le flou, le grand problème de cette époque. La perte de vocabulaire fait qu'on est tous dans le flou. Quelqu’un te raconte quelque chose et tu comprends de travers. C’est quand même mieux de pouvoir dire exactement ce que tu penses. Le contraire est une régression.

D’où vient ce goût presque obsessionnel pour la justesse du mot ?
Je ne travaille pas tant mes textes que ça. La précision vient assez facilement chez moi, la bonne tournure d’une phrase, sa structure… Je couche mes idées sur le papier, d’un seul jet, puis je retravaille le tout. Il faut que cela aille vite sans perdre l’auditeur en route, garder une cohérence même si elle est parfois surréaliste. Je ne fais pas par exemple un collage d’images qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. Chez moi, tout cela raconte quelque chose, t’amène quelque part.

La fantaisie de ton univers n’est-elle pas une manière pudique d’aborder les sujets graves ?
Non, mais ce que je veux obtenir et ce que j’ai toujours fait, c’est la gravité avec humour et cocasserie. Je fais attention à ne pas être uniquement un comique.

Qu’elle soit folk, électrique, saturée, la guitare est très présente. Par amour de l’instrument ou par souci de changement ?
Les tournées usent tes plaisirs. Je n’aurais vraiment pas refait un disque acoustique, je devais changer l’instrumentation. Il y avait déjà un peu de guitare auparavant mais elle est ici beaucoup plus rêche. C’est aussi une manière de dire que je connais aussi l’ensemble guitare/basse/batterie : j’ai commencé comme ça.

Comment travaillez-vous la musique en évitant qu’elle ne soit qu'un simple accompagnement à tes textes ?
Quand j’écris, j’ai aussi conscience de la musicalité. Si une phrase sonne, je le sens. En général, mes chansons ne sont jamais complètement terminées, ce serait trop rigide, ne serait-ce que dans le nombre de pieds. Je cherche la musique d’après la musicalité du texte et ensuite j’adapte. J’ai très rarement la musique avant le texte. Avant je ne travaillais que comme ça, depuis les deux derniers albums la tendance s’est inversée.

Pourquoi ce titre Pièce Montée des Grands Jours ?
La nourriture est le thème récurrent de cet album. Tout ce langage participe à ce souci de métaphore propre à la langue française. Au départ c’était une intention plus ou moins consciente et puis quand ça s’est révélé sur deux-trois chansons j’ai volontairement orienté le reste. En fait cela vient d’assez loin, du temps où ma tante, pour les réunions de famille, allait chez le coiffeur et venait avec une coiffure terrible. On disait alors : "C’est le pièce montée des grands jours".

Sur la pochette, quel est alors le rapport du gâteau avec la tête de cochon ?
Je n’allais quand même pas mettre un gâteau sur ma pochette ! Jean-Baptiste Mondino n’illustre jamais directement ses sujets, c’est lui qui a décidé de la tête de cochon. D’un autre côté j’étais embêté. Je fais beaucoup d’efforts pour m’écarter des métaphores avec les animaux et une fois de plus, je m’en colle une. En même temps j’aime cette continuité entre les pochettes. Elle prend de la valeur.

Devenir le sujet de son univers, c’est un peu comme rentrer dans tes chansons ?
Il n’y a qu’avec Mondino que je fais ça. Je ne lui donne que le titre, puis il conçoit. Il est excellent pour ça. Tout se fait très vite, il arrive, regarde, trouve une idée, puis il me faxe quatre dessins. Ces moments de création sont très ludiques, mais de qualité. Pour l'album Les Ronds de Carottes, j’étais assis dans un fauteuil au départ, pourLe Jour du Poisson il avait prévu le poisson à la cravate, pareil pour Qu4tre où la pochette initiale est à l’intérieur du livret, celle où je suis couché à côté d’un cheval. Il avait aussi prévu d’autres choses, plus trash. Une où je suis torse nu, avec des saucisses autour du cou, dont une est manifestement un pénis, sur l’épaule. Très belles, mais trop décalées pour la chanson. C’est bon pour un livre d’art.

Tu chantes le titre Pièce Montée des Grands Jours en duo avec Marie Trintignant, pourquoi cette collaboration ?
A ma demande, elle est venue chanter Je suis dev’nuela bonne à une émission de radio. Je trouvais que mes chansons iraient bien avec son personnage. Mais cela n’avait rien d’un projet. J’en ai ensuite écrit plusieurs qu’elle a chantées. Celle-ci était compliquée à interpréter seul, car dans la narration il faut passer d’un personnage à un autre, le duo était tout indiqué.

Thomas Fersen Triplex Tôt ou Tard (2001)