Jacques Dutronc
La sortie d'un album de Jacques Dutronc est toujours un évènement. Madame l'existence n'échappe pas à la règle. Pour l'occasion, RFI Musique retrace une partie de sa carrière discographique et brosse le portrait de l'homme aux lunettes fumées. Pour l'émission la Bande Passante sur RFI, Alain Pilot a pu lui poser quelques questions.
Treizième album de l'artiste.
La sortie d'un album de Jacques Dutronc est toujours un évènement. Madame l'existence n'échappe pas à la règle. Pour l'occasion, RFI Musique retrace une partie de sa carrière discographique et brosse le portrait de l'homme aux lunettes fumées. Pour l'émission la Bande Passante sur RFI, Alain Pilot a pu lui poser quelques questions.
C’est un joujou extra qui fait crac boum hue, son plus bel album, sans doute depuis 23 ans et le légendaire Guerre et pets fruit de la collaboration avec Gainsbourg (six titres)… et Jacques Lanzmann. Brouille? Chemins de traverses? Hasard de la vie, Jacques (Dutronc) retrouve enfin Jacques (Lanzmann) pour le meilleur… et le meilleur, puisque l’écrivain signe ici la majorité des titres de ce captivant Madame l’existence, capturé entre Monticello et Paris. Avec ses jeux de mots en ping-pong verbal exercé et toute la séduction de Dutronc !
Sur la pochette de son disque précédent, un Best Of cyniquement baptisé 33 ans de travail, Jacques Dutronc osait afficher la définition du mot "travailleur, euse" ; sacrée gageure pour un personnage hors norme qui publie un album tous les sept ou huit ans. Mais Jacques Dutronc n’a-t-il pas su toujours manier l’arme de la dérision ?
Intitulé Madame l’existence, son treizième album en 40 années d’une carrière inlassablement hédoniste est enfin publié et coïncide avec les 60 bougies soufflées le 28 avril dernier par, sans doute, l’un des chanteurs les plus populaires dans le coeur des Français. Dutronc en demi-Dieu du swing, avec son cigare et son costar de dandy n’a t’il pas traversé avec une rare prestance toutes ces décennies? Il est taillé de cette étoffe qui font les héros avec les Coluche, les Gainsbourg, les Ferrer… sauf que lui est bien vivant.
"Des prises de position, je n’en ai pas vraiment. Ma position est souvent couchée", avait un jour répliqué Dutronc à un journaliste. Vrai ou faux dilettante ? Twistant avec goût entre la chanson et le cinéma, raflant à chaque fois les lauriers mérités (César en 92 et Victoire de la musique en 93), l’homme au cigare sait manifestement se préserver, cultivant sa sérénité dans son jardin secret. Pourtant, depuis Montand, il est un des rares à savoir embrasser ces deux arts avec une telle constance, dans la grâce et l’allégresse.
En un peu plus de dix ans, Jacques Dutronc a tourné huit long métrages pour le cinéma, choisissant scrupuleusement scenarii et réalisateurs, de Pialat (Van Gogh en 91) à Michel Blanc (Embrassez qui vous voulezen 2002) en passant par Chabrol (Merci pour le chocolat 2000) ou Patrick Grandperret (Le maître des éléphants 95, Les victimes 96) ou encore Nicole Garcia (Place Vendôme 98). Alors entre Françoise Hardy, sa muse au foyer, et la douceur émeraude de son fief de Monticello en Corse, entre le vin et le cigare, les tentations ne manquent décidément pas.
Il ne faut donc guère s’étonner que son précédent album studio remonte au siècle dernier. Cette année 95, en effet, marque le grand retour de Dutronc à la musique. Car malgré la parenthèse du live Dutronc au Casino de 92, son prédécesseur, le 10ème 33-tours du grand Jacques, CQFDutronc,datait de 1987. Brèves rencontres, malgré quelques titres attachants comme le simple folk cool A part çaet le duo ensoleillé avec Daho Tous les goûts sont dans ma nature n’est pas le plus grand des Dutronc. Ecrit avec David Mc Neil, Jean Fauque, Linda Lé et son fils Thomas Dutronc, l’album ne trouve pas son rythme. Peut-être souffre-t-il justement de cette diversité de plume ? Depuis toujours Jacques Dutronc n’a-t-il pas confié sa musique aux mots d’un seul auteur central? Comme Gainsbourg qui a taillé sur mesure pour lui la plupart des titres fulgurants de son Guerre et pets (80). Ou Jacques Lanzmann, dont l’encre a tracé tous les premiers tubes : Et moi, et moi, et moi, Les Play-boys, J’aime les filles, Il est cinq heures Paris s’éveille, l’Opportuniste et tant d’autres, projetant de ses mots tout le cynisme, l’humour mi-amer, le panache du personnage Dutronc.
En 65, l’année de leur rencontre, Lanzmann est rédacteur en chef du mensuel sexy Lui. Ses bureaux chez Fillipachi sont juste au-dessus du Drugstore-Champs-Elysées à Paris, où se retrouvent tous les jeunes gens modernes de l’impétueuse nouvelle vague. Fils de pub, Lanzmann saura injecter leur vocabulaire et leurs travers dans les chansons qu’il écrit pour Dutronc. Castel, Régine, Megève, Saint-Tropez, les "cons de Parisiens" et quelques calembours en forme de slogans publicitaires détournés vont ainsi percuter la légende sur la voix suave de Dutronc.
Enfant du yéyé et contemporain des Stones, troisième mousquetaire du rock français derrière ses deux potes twisteurs des années Golf Drouot, Johnny (Hallyday) et Eddie (Mitchell), l’ex-guitariste leader d’El Toro et les Cyclones affichera son anticonformisme en arborant d’élégants costumes trois pièces de tombeur. Comme dans la tornade de la libération sexuelle, il restera inexorablement fidèlement attaché à Françoise, sa compagne de toujours (qu’il a finalement épousé en Corse le 30 mars 81). A contre-courant, sans jamais craindre de paraître désuet, cette prestance de gentleman spadassin de la culture populaire lui colle toujours à la peau. Pourtant après Guerre et pets, le chemin des deux Jacques se sépare. "Je ne sais pas pourquoi on a arrêté de travailler ensemble. Le cinéma est une des explications pour moi et lui, il faisait ses marches dans le désert. On n’était pas fâchés!" déclare aujourd’hui Dutronc à Musique Info Hebdo. "Il a un peu essayé de tuer le père" explique Lanzmann au même magazine !
La crise d’adolescence musicale semble bien terminée, Jacques a dit:"Je ne joue plus" mais sans jamais renoncer, rassurez-vous, à son rôle d’aficionado du jeu de mots. Sur les séquences synthétiques et les arrangements d’Alain Lubrano, qui accompagne les chansons de Françoise Hardy depuis le tournant des années 90, entre violons et douce violence rock, il interprète onze chansons inédites, dont deux reprises : la nostalgique de 54, Un jour tu verras de Mouloudji (et G.Van Parys) et L’homme et l’enfant que chantait Eddie Constantine en 1955. Et une surprenante histoire sans parole, Sainte Suzanne, qu’il fredonne aux confins de l’album.
Dès la chanson-titre Madame l’existence, entre blues halluciné et Velvet Underground dégingandé, Dutronc pose sa voix si caractéristique de désabusé, scandant en talk-over à la Gainsbourg un texte sarcastique qui invoque la République. C’est le retour du fils de L’opportuniste! De même, dans La vie en live sur le thème de l’obsession médiatique du quidam qui vit par procuration à travers son écran TV, il chante: "Alors il fait son chèque de 30 euros" comme un écho au: "Comme un con de Parisien/j’attends mon chèque de fin de mois" de son légendaire Et moi, et moi, et moi. Comme les cyniques énumérations déclamées de l’écolo relax Face à la merderenvoient aux frasques potaches de Merde in France et aux "A dada prout prout cadet/à cheval sur mon bidet" de Fais pas ci, fais pas ça. Dutronc énumère ainsi sa liste noire de tous les fumiers qui nous empoisonnent la Terre, des violents aux jaloux (sic !). Tout doit disparaître, comme un slogan publicitaire dérisoire, sous sa voix les guitares se tordent les tripes en distorsions rauques, protestant ainsi au funeste sort que nous réservons à notre planète.
Subjuguant sous son tapis somptueux de violons, Voulez-vousjouer marque un peu le retour du Gentleman cambrioleur, le crooner et l’enjôleur, le charmeur au joli coeur de Les Play-boys. Et le "Voulez vous" répété à l’infini participe au charme jusqu’au paroxysme d’un impétueux duo où Dutronc s’abandonne même à l’anglais dans la tempête conjuguée des cordes et des riffs de guitares. Ironique et politique, le néo-twist L’air de rienswingue délicatement sur son petit bijou de texte nihiliste. Il retrouve aussi son vieux complice David Mc Neil l’espace d’une chanson aux judicieuses allitérations, Transat en solitaire, un éloge à cette volupté épicurienne à laquelle il excelle depuis toujours.
Histoire d’amour intemporelle, C’est peut-être ça, fait couler quelques rivières d’émotions dans la douceur rétro d’une France idyllique à la Amélie Poulain. Dutronc siffle sa mélodie, c’est toujours craquant. Mais lorsqu’il chantonne et fredonne Sainte Suzanne sa composition suivante sur une simple guitare acoustique et une poignée de violons, c’est carrément la chair de poule.
Enfin cet album unique s’achève sur la douceur candide de Dou dou dou nostalgique ballade au texte aigre-doux et à la tendresse aussi désuète que charmeuse; on ne peut s’empêcher de songer à Montand, comme lui Mister D est un comédien né pour le chant ou un chanteur né pour la comédie? Dutronc comme Janus a souvent parié et raflé la mise sur cette schizophrénie artistique. Cette précieuse collection de chansons le prouve de manière cinglante. Madame l’existence, en compagne attachante n’a pas fini de faire chanter nos vies.
Gérard BAR-DAVID
Madame l'existence (Sony/Columbia) 2003
Merci de nous recevoir dans cette suite d'un palace parisien que vous semblez affectionner...
Oui, le bar est assez sympa. On y rencontre beaucoup de gens - même trop - de ce métier. Avant c'était plus littéraire. Donc, j'ai abandonné le bar pour venir ici.
On va évoquer ce nouvel album. Nouveau, nouvel, vous n'aimez pas vraiment ce terme ?
Si mais quand on dit le dernier, ça donne une chance de ne pas en refaire donc ça m'arrangeait aussi. Nouvel, ça sonne bien, nouveau ça a un côté Beaujolais…
Dans Transat en solitaire, David Mc Neil évoque l'île de la Jatte, un des endroits les plus chics de la région parisienne. Vous, vous avez choisi une autre île, la Corse ?
Oui, j'y vais plus de la moitié de l'année. Je n'aime pas y aller parce que je sais que je n'aimerais pas en revenir. Huit jours se transforment en huit mois, le temps n'est pas le même, ni la qualité de vie. Il y a un rythme totalement différent et lorsque l'on est bien quelque part pourquoi aller ailleurs pour se faire chier ?
L'album est sorti le 19 mai, était-ce un jour comme les autres pour vous ?
Oui mais j'espère que ça a été différent pour les acheteurs.
Est-ce que ça vous amuserait de savoir qu'on vole votre album ?
C'est bon signe ! On a tous volé des disques…
Parmi les auteurs de Madame l'Existence, il y a David Mc Neil dont vous dites "comme tous les fainéants, il écrit très bien". Vous le connaissez depuis 33 ans…
Oui, c'est Françoise (Hardy, ndlr) qui le connaissait. Mais ce n'est pas un vendeur de chansons, c'est un écrivain, il chantait bien aussi.
La première fois que vous avez écrit ensemble, vous tourniez en Afrique et il vous envoyait les textes par fax-satellite ? Comment avez-vous travaillé cette fois-là ?
Le fax d'Afrique, c'était mon bureau en Corse…
C'est important pour vous de ne pas communiquer beaucoup avec vos auteurs parce que Mc Neil dit qu'en 25 ans, vous avez du échanger dix phrases ?…
Oui, c'est mieux sinon on va élaborer des choses et je préfère la spontanéité de chacun.
Sur la pochette de l'album, on voit une étiquette avec le code barre et "Artiste : Jacques Dutronc". Artiste, c'est le terme qui vous va le mieux ?
Je ne sais pas, on est tous des artistes, enfin j'espère. Pour casser le mot artiste, il faut mettre artiste de variété… C'est ce que j'ai mis une fois sur mon passeport. Concernant le code, je trouvais que la photo avec la fumée, ça faisait encore "une fois de plus, il se cache". La personne qui s'occupe du marketing m'a montré un tas de projets et il y avait ça, avec le code barre. Je l'ai simplement fait mettre un peu de travers comme si ça avait été collé par un mec un peu pressé.
Tout le monde salue vos retrouvailles avec Jacques Lanzmann (son auteur privilégié dans les années 60. Ils ont cessé de travailler ensemble à la fin des années 70, ndlr). Johnny Depp a dit de vous deux que vous étiez les premiers punks. Etes-vous d'accord ?
Il a du être influencé par Vanessa Paradis qui est une fan. Mais punk, je ne crois pas… Si ça lui fait plaisir, je veux bien, c'est un compliment de sa part mais nous, on ne gerbait pas sur tout… On était ironiques.
En 1991, Lanzmann vous lance déjà un appel pour écrire à nouveau ensemble et pour faire un hommage à Gainsbourg. Vous n'avez pas répondu ?
Pour l'hommage à Gainsbourg, non. On ne va pas s'amuser à faire des soldes derrière lui. Il est encore dans ma mémoire et ma vie mais de là à faire une sorte d'hommage, non, non, non. Il y a bien un con qui va faire une comédie musicale… Il faudrait prendre Arthur H pour le rôle… Le mimétisme est assez bizarre.
Apparemment, vous n'avez jamais travaillé côte à côte avec Lanzmann mis à part peut-être à Valberg dans les années 60 ?
Oui, c'est une petite station au-dessus de Nice. Mais on ne s'est rien dit, chacun sa chambre et ses heures de bar. C'est la seule fois et je crois qu'on n'a rien ramené. Si, l'Hôtesse de l'air parce que j'en avais rencontré une.
Pour ce disque-là, il a écrit chez vous, en Corse, à Monticello ?
Oui, il s'est installé près du potager. Le directeur artistique faisait le coursier entre lui et moi près du comptoir… Le soir, on dînait parfois dehors et là, on parlait de tout sauf des chansons. Donc ça fonctionnait bien comme ça.
Au début, vous aviez envisagé un album de reprises. Pourquoi ça ne s'est pas concrétisé ?
La base des reprises, c'était avec Tony Bennett au départ. On devait reprendre des standards et deux ou trois chansons de moi. Mais ça ne s'est pas fait donc ça a un peu bloqué les esprits. Et maintenant tout le monde fait des reprises… Mais j'ai gardé Un jour tu verras (de Mouloudji) et L'Homme et l'enfant. Mouloudji était un homme formidable, c'était un Monsieur.
Dans le livret, on retrouve un petit photo-montage avec des objets. C'est vous qui avez choisi tout ça ?
Ce sont des éléments de l'œuvre de Bernard Pras, du fameux portrait qu'il a fait de moi avec tous ces objets…
...dont une cannette de bière, un vinyle, un cigare, des chats en porcelaine…
Mes chats à moi ne sont pas en porcelaine.
Vous en avez 40 ?
45
On n'en entend pas un d'ailleurs dans le dernier morceau ?
Si, si, c'est Le Chef.
La scène ?
Je ne sais pas. Si je voulais, j'ai pas mal de dates, trop. C'est trop de sport pour moi en ce moment. D'ailleurs je voulais me faire opérer sur scène. En levé de rideau, une petite appendicite…
Propos recueillis par Alain Pilot
Vous retrouverez cette entrevue dans son intégralité les 11 et 12 juin dans l'émission la Bande Passante, à 14h40 TU, 12h40 heure de Paris.
L'avis des internautes :
Terrible nouvel, allez non, dernier album (surtout pas!), terrible parce que très lourd, electrique, cinglant et définitif... On le dirait déprimé, désespéré du monde actuel. Même dans ses remerciements, on dirait un testament... Mais que de belles chansons, belles et tristes comme souvent... Et sa façon de chanter en anglais est... Il n'y a pas de mots, mais j'adore ! Merci Monsieur Dutronc ! Encore !
Dan Warnant, Belgique.
En 65, l’année de leur rencontre, Lanzmann est rédacteur en chef du mensuel sexy Lui. Ses bureaux chez Fillipachi sont juste au-dessus du Drugstore-Champs-Elysées à Paris, où se retrouvent tous les jeunes gens modernes de l’impétueuse nouvelle vague. Fils de pub, Lanzmann saura injecter leur vocabulaire et leurs travers dans les chansons qu’il écrit pour Dutronc. Castel, Régine, Megève, Saint-Tropez, les "cons de Parisiens" et quelques calembours en forme de slogans publicitaires détournés vont ainsi percuter la légende sur la voix suave de Dutronc.
Enfant du yéyé et contemporain des Stones, troisième mousquetaire du rock français derrière ses deux potes twisteurs des années Golf Drouot, Johnny (Hallyday) et Eddie (Mitchell), l’ex-guitariste leader d’El Toro et les Cyclones affichera son anticonformisme en arborant d’élégants costumes trois pièces de tombeur. Comme dans la tornade de la libération sexuelle, il restera inexorablement fidèlement attaché à Françoise, sa compagne de toujours (qu’il a finalement épousé en Corse le 30 mars 81). A contre-courant, sans jamais craindre de paraître désuet, cette prestance de gentleman spadassin de la culture populaire lui colle toujours à la peau. Pourtant après Guerre et pets, le chemin des deux Jacques se sépare. "Je ne sais pas pourquoi on a arrêté de travailler ensemble. Le cinéma est une des explications pour moi et lui, il faisait ses marches dans le désert. On n’était pas fâchés!" déclare aujourd’hui Dutronc à Musique Info Hebdo. "Il a un peu essayé de tuer le père" explique Lanzmann au même magazine !
La crise d’adolescence musicale semble bien terminée, Jacques a dit:"Je ne joue plus" mais sans jamais renoncer, rassurez-vous, à son rôle d’aficionado du jeu de mots. Sur les séquences synthétiques et les arrangements d’Alain Lubrano, qui accompagne les chansons de Françoise Hardy depuis le tournant des années 90, entre violons et douce violence rock, il interprète onze chansons inédites, dont deux reprises : la nostalgique de 54, Un jour tu verras de Mouloudji (et G.Van Parys) et L’homme et l’enfant que chantait Eddie Constantine en 1955. Et une surprenante histoire sans parole, Sainte Suzanne, qu’il fredonne aux confins de l’album.
Dès la chanson-titre Madame l’existence, entre blues halluciné et Velvet Underground dégingandé, Dutronc pose sa voix si caractéristique de désabusé, scandant en talk-over à la Gainsbourg un texte sarcastique qui invoque la République. C’est le retour du fils de L’opportuniste! De même, dans La vie en live sur le thème de l’obsession médiatique du quidam qui vit par procuration à travers son écran TV, il chante: "Alors il fait son chèque de 30 euros" comme un écho au: "Comme un con de Parisien/j’attends mon chèque de fin de mois" de son légendaire Et moi, et moi, et moi. Comme les cyniques énumérations déclamées de l’écolo relax Face à la merderenvoient aux frasques potaches de Merde in France et aux "A dada prout prout cadet/à cheval sur mon bidet" de Fais pas ci, fais pas ça. Dutronc énumère ainsi sa liste noire de tous les fumiers qui nous empoisonnent la Terre, des violents aux jaloux (sic !). Tout doit disparaître, comme un slogan publicitaire dérisoire, sous sa voix les guitares se tordent les tripes en distorsions rauques, protestant ainsi au funeste sort que nous réservons à notre planète.
Subjuguant sous son tapis somptueux de violons, Voulez-vousjouer marque un peu le retour du Gentleman cambrioleur, le crooner et l’enjôleur, le charmeur au joli coeur de Les Play-boys. Et le "Voulez vous" répété à l’infini participe au charme jusqu’au paroxysme d’un impétueux duo où Dutronc s’abandonne même à l’anglais dans la tempête conjuguée des cordes et des riffs de guitares. Ironique et politique, le néo-twist L’air de rienswingue délicatement sur son petit bijou de texte nihiliste. Il retrouve aussi son vieux complice David Mc Neil l’espace d’une chanson aux judicieuses allitérations, Transat en solitaire, un éloge à cette volupté épicurienne à laquelle il excelle depuis toujours.
Histoire d’amour intemporelle, C’est peut-être ça, fait couler quelques rivières d’émotions dans la douceur rétro d’une France idyllique à la Amélie Poulain. Dutronc siffle sa mélodie, c’est toujours craquant. Mais lorsqu’il chantonne et fredonne Sainte Suzanne sa composition suivante sur une simple guitare acoustique et une poignée de violons, c’est carrément la chair de poule.
Enfin cet album unique s’achève sur la douceur candide de Dou dou dou nostalgique ballade au texte aigre-doux et à la tendresse aussi désuète que charmeuse; on ne peut s’empêcher de songer à Montand, comme lui Mister D est un comédien né pour le chant ou un chanteur né pour la comédie? Dutronc comme Janus a souvent parié et raflé la mise sur cette schizophrénie artistique. Cette précieuse collection de chansons le prouve de manière cinglante. Madame l’existence, en compagne attachante n’a pas fini de faire chanter nos vies.
Gérard BAR-DAVID
Madame l'existence (Sony/Columbia) 2003
Merci de nous recevoir dans cette suite d'un palace parisien que vous semblez affectionner...
Oui, le bar est assez sympa. On y rencontre beaucoup de gens - même trop - de ce métier. Avant c'était plus littéraire. Donc, j'ai abandonné le bar pour venir ici.
On va évoquer ce nouvel album. Nouveau, nouvel, vous n'aimez pas vraiment ce terme ?
Si mais quand on dit le dernier, ça donne une chance de ne pas en refaire donc ça m'arrangeait aussi. Nouvel, ça sonne bien, nouveau ça a un côté Beaujolais…
Dans Transat en solitaire, David Mc Neil évoque l'île de la Jatte, un des endroits les plus chics de la région parisienne. Vous, vous avez choisi une autre île, la Corse ?
Oui, j'y vais plus de la moitié de l'année. Je n'aime pas y aller parce que je sais que je n'aimerais pas en revenir. Huit jours se transforment en huit mois, le temps n'est pas le même, ni la qualité de vie. Il y a un rythme totalement différent et lorsque l'on est bien quelque part pourquoi aller ailleurs pour se faire chier ?
L'album est sorti le 19 mai, était-ce un jour comme les autres pour vous ?
Oui mais j'espère que ça a été différent pour les acheteurs.
Est-ce que ça vous amuserait de savoir qu'on vole votre album ?
C'est bon signe ! On a tous volé des disques…
Parmi les auteurs de Madame l'Existence, il y a David Mc Neil dont vous dites "comme tous les fainéants, il écrit très bien". Vous le connaissez depuis 33 ans…
Oui, c'est Françoise (Hardy, ndlr) qui le connaissait. Mais ce n'est pas un vendeur de chansons, c'est un écrivain, il chantait bien aussi.
La première fois que vous avez écrit ensemble, vous tourniez en Afrique et il vous envoyait les textes par fax-satellite ? Comment avez-vous travaillé cette fois-là ?
Le fax d'Afrique, c'était mon bureau en Corse…
C'est important pour vous de ne pas communiquer beaucoup avec vos auteurs parce que Mc Neil dit qu'en 25 ans, vous avez du échanger dix phrases ?…
Oui, c'est mieux sinon on va élaborer des choses et je préfère la spontanéité de chacun.
Sur la pochette de l'album, on voit une étiquette avec le code barre et "Artiste : Jacques Dutronc". Artiste, c'est le terme qui vous va le mieux ?
Je ne sais pas, on est tous des artistes, enfin j'espère. Pour casser le mot artiste, il faut mettre artiste de variété… C'est ce que j'ai mis une fois sur mon passeport. Concernant le code, je trouvais que la photo avec la fumée, ça faisait encore "une fois de plus, il se cache". La personne qui s'occupe du marketing m'a montré un tas de projets et il y avait ça, avec le code barre. Je l'ai simplement fait mettre un peu de travers comme si ça avait été collé par un mec un peu pressé.
Tout le monde salue vos retrouvailles avec Jacques Lanzmann (son auteur privilégié dans les années 60. Ils ont cessé de travailler ensemble à la fin des années 70, ndlr). Johnny Depp a dit de vous deux que vous étiez les premiers punks. Etes-vous d'accord ?
Il a du être influencé par Vanessa Paradis qui est une fan. Mais punk, je ne crois pas… Si ça lui fait plaisir, je veux bien, c'est un compliment de sa part mais nous, on ne gerbait pas sur tout… On était ironiques.
En 1991, Lanzmann vous lance déjà un appel pour écrire à nouveau ensemble et pour faire un hommage à Gainsbourg. Vous n'avez pas répondu ?
Pour l'hommage à Gainsbourg, non. On ne va pas s'amuser à faire des soldes derrière lui. Il est encore dans ma mémoire et ma vie mais de là à faire une sorte d'hommage, non, non, non. Il y a bien un con qui va faire une comédie musicale… Il faudrait prendre Arthur H pour le rôle… Le mimétisme est assez bizarre.
Apparemment, vous n'avez jamais travaillé côte à côte avec Lanzmann mis à part peut-être à Valberg dans les années 60 ?
Oui, c'est une petite station au-dessus de Nice. Mais on ne s'est rien dit, chacun sa chambre et ses heures de bar. C'est la seule fois et je crois qu'on n'a rien ramené. Si, l'Hôtesse de l'air parce que j'en avais rencontré une.
Pour ce disque-là, il a écrit chez vous, en Corse, à Monticello ?
Oui, il s'est installé près du potager. Le directeur artistique faisait le coursier entre lui et moi près du comptoir… Le soir, on dînait parfois dehors et là, on parlait de tout sauf des chansons. Donc ça fonctionnait bien comme ça.
Au début, vous aviez envisagé un album de reprises. Pourquoi ça ne s'est pas concrétisé ?
La base des reprises, c'était avec Tony Bennett au départ. On devait reprendre des standards et deux ou trois chansons de moi. Mais ça ne s'est pas fait donc ça a un peu bloqué les esprits. Et maintenant tout le monde fait des reprises… Mais j'ai gardé Un jour tu verras (de Mouloudji) et L'Homme et l'enfant. Mouloudji était un homme formidable, c'était un Monsieur.
Dans le livret, on retrouve un petit photo-montage avec des objets. C'est vous qui avez choisi tout ça ?
Ce sont des éléments de l'œuvre de Bernard Pras, du fameux portrait qu'il a fait de moi avec tous ces objets…
...dont une cannette de bière, un vinyle, un cigare, des chats en porcelaine…
Mes chats à moi ne sont pas en porcelaine.
Vous en avez 40 ?
45
On n'en entend pas un d'ailleurs dans le dernier morceau ?
Si, si, c'est Le Chef.
La scène ?
Je ne sais pas. Si je voulais, j'ai pas mal de dates, trop. C'est trop de sport pour moi en ce moment. D'ailleurs je voulais me faire opérer sur scène. En levé de rideau, une petite appendicite…
Propos recueillis par Alain Pilot
Vous retrouverez cette entrevue dans son intégralité les 11 et 12 juin dans l'émission la Bande Passante, à 14h40 TU, 12h40 heure de Paris.
L'avis des internautes :
Terrible nouvel, allez non, dernier album (surtout pas!), terrible parce que très lourd, electrique, cinglant et définitif... On le dirait déprimé, désespéré du monde actuel. Même dans ses remerciements, on dirait un testament... Mais que de belles chansons, belles et tristes comme souvent... Et sa façon de chanter en anglais est... Il n'y a pas de mots, mais j'adore ! Merci Monsieur Dutronc ! Encore !
Dan Warnant, Belgique.