Zazie en Asie (4)

Finir une tournée asiatique à Singapour n'est pas une bonne idée. D'abord, parce que lâcher quinze fondus de technologie dans les galeries marchandes qui constituent la seule distraction de la cité-état, est un crime organisé contre notre balance commerciale : il fallait voir le sourire épanoui du vendeur indien d'Orchard Road pour comprendre que le Zazie Team venait de dévaliser son stock : au hit-parade des achats du jour, le DVD portable de chez Sharp, suivi de près par le nouveau caméscope de JVC !

Et qu'est-ce qu'elle en dit, Zazie ?…

Finir une tournée asiatique à Singapour n'est pas une bonne idée. D'abord, parce que lâcher quinze fondus de technologie dans les galeries marchandes qui constituent la seule distraction de la cité-état, est un crime organisé contre notre balance commerciale : il fallait voir le sourire épanoui du vendeur indien d'Orchard Road pour comprendre que le Zazie Team venait de dévaliser son stock : au hit-parade des achats du jour, le DVD portable de chez Sharp, suivi de près par le nouveau caméscope de JVC !

Ensuite, parce Singapour pourrait en deux jours vous faire oublier le charme des villes précédentes. Il fallait donc se presser d'interviewer Zazie avant que le spleen ne s'installe. Ce sera chose faite dans les loges du glacial " Rock " -la clim à fond-, avant l'antépénultième concert de cette tournée réussie.

- RFI / MUSIQUE : Au fait, elle est vraiment réussie ?
- ZAZIE : Plus que ça encore. C'est une première expérience que je ne demande qu'à renouveler. Et je crois que c'est une thérapie nécessaire pour quiconque aurait tendance à prendre ses petits problèmes pour des choses importantes ; quand on voit comment les gens vivent ailleurs, on ne peut que redescendre sur terre. Les gamines qui se prostituent à Phnom Penh n'ont pas beaucoup de temps pour les états d'âme, elles. Ma première satisfaction, sur une telle tournée, c'est d'avoir pu apporter un peu de plaisir à des gosses qui n'en ont pas beaucoup.

- R/M : Quels ont été les moments les plus forts ?
- Z : C'est difficile de faire une hiérarchie parce que, au-delà du mot 'Asie', tous ces pays ont des réalités bien différentes. Mais je crois que j'ai été profondément touchée par les Birmans qui, de tous ceux que j'ai rencontrés, sont ceux qui sont le plus privés de fenêtres sur le monde. Et il y a une telle attente de leur part qu'il ne faut pas les décevoir. A Yangon, le concert a été magique, bien que réalisé dans des conditions difficiles. Mais il y a une telle volonté de tout le monde de se mettre en quatre pour vous faire plaisir que ce qui est essentiel chez nous -le confort technique de l'artiste et des musiciens- devient ici secondaire. Un exemple ? A quelques minutes du concert, on s'aperçoit que les projecteurs sont dans la foule, sans protection, et qu'ils risquent de ne pas finir debout. Avec des risques de brûlure pour le public. On fait gentiment la remarque : dans l'instant qui suit, on a coupé quelques bambous, sorti un pot de peinture blanche (un luxe, ici), et confectionné de jolies barrières solides autour des projos. Même si quelques spectateurs en gardent des traces sur leur chemise, c'était sacrément efficace !

- R/M : Il n'empêche que, tombant en pleine semaine de la francophonie, ta tournée avait un petit côté 'ambassadrice de la culture française'. Ça t'a gêné ?
- Z : Oui et non. Je ne représente que moi-même, et je n'aime pas trop me sentir investie d'une mission. Et puis, je ne suis pas nationaliste. Dîner avec des ambassadeurs ne me dérange pas, ce sont souvent des gens intéressants. Mais j'ai parfois du mal à me sentir solidaire de mes compatriotes : au Vietnam, par exemple, j'ai été consternée par l'état d'esprit des Français. Ils font, pour la plupart, un tel rejet de ce pays que je me demande pourquoi ils y restent. Leurs vies, c'est l'apartheid. On sent bien que ce pays ne s'ouvre pas comme prévu, et qu'y vivre est plus difficile que d'y passer, comme je le fais. Mais après avoir battu et les Français et les Américains, peut-on leur reprocher de ne pas vouloir se laisser à nouveau coloniser ? Ils ne nous tendent pas les bras, et cela vexe nos 'investisseurs'. Il suffit pourtant de visiter le musée de la guerre, à Saïgon, pour comprendre que les cicatrices sont encore fraîches. Le napalm et les bombes à billes, on voit concrètement ce que ça faisait, sur le corps des enfants.

- R/M : On a senti partout ton envie de rencontrer les gens. Quand tu chantes " Sucré Salé ", ici, tu descends de scène et te mêles au public. Tu ne fais jamais ça, en France.
- Z : C'est vrai qu'ici, ça m'est venu naturellement. En France, cela pourrait être pris pour de la démagogie. N'oublions pas qu' ici il y a souvent l'obstacle de la langue, d'où la nécessité de faire un spectacle très interactif. Tu as vu comme il facile de les faire chanter avec toi ? Cela aussi, au pays, cela peut être pris pour de la démagogie. Ici, c'est un moyen d'augmenter la communication. C'est avec le même souci que j'ai intégré deux morceaux disco de Donna Summer et des Bee-Gees dans mon spectacle asiatique : pour ne pas laisser de côté ceux qui ne comprennent rien au français. Je crois que ça a été efficace.

- R/M : Dans toutes ces rencontres, il y en a une qui te laissera un souvenir impérissable ?
- Z : Deux ! Un Français de Yangon, Guy de la Chevalerie (ndlr : directeur de l'Alliance Française). Lui, c'est un grand monsieur qui ne traverse pas en touriste les pays où il est nommé. Il y a tant d'humanité et de profondeur en lui. Et puis, à Angkor, deux petites filles comme il y en a beaucoup autour des temples, à vendre des bricoles aux touristes. On s'est échangé des grimaces pendant un quart d'heure, puis elles m'ont offert une bague. Pas pour me vendre quelque chose, juste pour me remercier d'avoir rigolé avec elles pendant un moment.

- R/M : Demain, retour à Paris. Et de nouveau la scène ?
- Z : Non ! C'était un beau final. Mais maintenant je dois me mettre au boulot pour mon prochain album. Sinon je vais me faire engueuler par ma maison de disques.

- R/M : On risque d'y trouver de nouvelles chansons inspirées par l'Asie ?
- Z : Sans doute. Mais cela ne sera pas forcément perceptible. Cela m'étonnerait que je fasse une chanson sur Angkor Wat, bien que cela ait été l 'un des chocs de ma vie. Non, ce sera plutôt autour d'un regard, d'une émotion. Et là, j'ai du stock !

Propos recueillis par Jean-Jacques Dufayet