8e édition du festival Mawazine

Du 15 au 23 mai, les quartiers de Rabat, au Maroc, vibrent aux rythmes du festival Mawazine : à mi-parcours, retour sur les temps forts de l’événement, entre raï, musique berbère métissée et hip-hop radical.

Métissage en folie

Du 15 au 23 mai, les quartiers de Rabat, au Maroc, vibrent aux rythmes du festival Mawazine : à mi-parcours, retour sur les temps forts de l’événement, entre raï, musique berbère métissée et hip-hop radical.

Kylie Minogue, Ennio Morricone, Steevie Wonder, Johnny Clegg, Amadou et Mariam, Ali Campbell (ex UB 40) …Voilà quelques-unes des stars à l’affiche du festival Mawazine : neuf jours, dix scènes, une centaine d’artistes. Nous sommes à Rabat, non loin du Palais du roi Mohamed VI, et cela se voit. A mi-parcours, programmation ostentatoire et moyens délirants donnent déjà un peu le tournis … Heureusement, les nuits sont belles et certains concerts d’intenses succès populaires.

Pari gagné d’avance pour Khaled, le roi du raï, qui a joué samedi 16 mai devant près de 60000 personnes, au cœur du quartier populaire de Qamra. Un chiffre invérifiable tant les avenues, les terrasses, arbres et moindres espaces étaient bondés : toute une partie de la ville a littéralement migré vers la scène pour acclamer son nouveau roi. Khaled, dopé par cet accueil, a donné un concert d’anthologie, un drapeau marocain noué sur les épaules. Un détail à forte charge symbolique alors que les relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie n’en finissent pas de se tendre.

Le lendemain, sur une petite scène du centre ville, la nuit fut berbère, avec le groupe maroco-hollandais Imetlaâ, Abdlewahed Hajjaoui et la doyenne de la chanson amazigh (berbère, ndlr) de la région marocaine du Souss, Fatima Tabaamraat. Jolie découverte du festival, les musiciens d’Imetlaâ ont presque tous grandi en Hollande, de parents émigrés du Rif (Nord du Maroc) dans les années 1960, en écoutant du funk, du reggae, du rock’n’roll et la poésie Izran, un genre de blues rifain que chantaient leurs mamans… Aujourd’hui, fonctionnaires, ouvriers, concierges ou agents d’assurances, les "vagabonds" d’Imetlaâ  proposent sur scène une relecture métissée de la tradition rifaine – ils sont par exemple le premier groupe amazigh à utiliser le saxophone. Pas anecdotique du tout, pour une musique restée très régionale …

Le phénomène Bigg

Enfin, lundi soir, gros plateau hip-hop, avec les groupes Fez City Clan et Casa Crew et l’énorme show de Bigg, l’enfant terrible du hip-hop marocain. A en croire l’affluence des deux scènes – plus de 55 000 personnes au total –  le hip-hop ne va pas si mal au Maroc. En roue libre (pas de labels ni de structures de diffusion), les rappeurs ont eu depuis les années 2000, le temps d’inventer un langage qui parle à la rue, sans aucune considération commerciale.

Sur scène, l’énergie communicative du Fez City Clan raconte une jeunesse combative. Mais celui qui a définitivement tiré son épingle du jeu, c’est Don Bigg, parrain autoproclamé du hip-hop marocain. Phénomène passionnant sorti de nulle part en 2006, avec un album dont il grave mille copies avec ses propres moyens, Bigg, 25 ans, rassemble trois ans plus tard un public aussi nombreux que tonton Khaled. Sa recette ? Un discours construit, qui surfe sur les clichés bling-bling du rap East coast américain (deux énormes quatre-quatre Hummer rutilants l’attendent derrière sa loge) et qui s’intéresse à l’actualité marocaine, aux affaires qui secouent le pays, au fonctionnement de l’Etat… "Le rap, il faut que ça parle aux gens et faut que ça paye" : tel est le crédo radical de ce jeune rappeur ambitieux. Producteur d’instrus, il s’imagine déjà futur Dr Dre du Maroc… "Non, Dr Big ! ", corrige-t-il.

Trois questions à … Batoul Marouani, diva sahraouie

Venue de Laâyoune, Batoul Marouani a enflammé hier soir la scène de la place Moulay Al Hassan, de sa voix puissante et rauque. Volubile, chaleureuse, elle a répondu à RFI Musique juste avant de monter sur scène…

RFI Musique : Comment se pratique aujourd’hui la musique hassani, traditionnellement jouée par le peuple sahraoui ?
Elle se jouait à l’époque au clair de lune jusqu'au petit matin, dans le désert. Aujourd’hui, le hassani se joue dans les mariages et soirées. La tradition continue mais de façon plus moderne. De la même façon, les poèmes qui forment le cœur de la musique hassani ont évolué. Avant, on chantait la nature et surtout l’amour. Dans notre société, la femme occupe une place très importante : c’est elle qui tient le foyer, car l’homme s’absente souvent très longtemps. Pour cette raison, les grands poètes du désert comme Day Esalami et Mohamed Maarouf ont toujours chanté la valeur de la femme sahraouie et leur amour pour elle.

Les femmes sahraouies dansent souvent, mais peu chantent. Comment vous êtes-vous mise à chanter ?
Je suis née artiste. J’ai commencé à chanter à l’âge de cinq ans : mon père avait une troupe dans les années 1970 et ma mère dansait en robe traditionnelle à ses côtés. Il a été l’un des premiers à chanter le Sahara comme faisant partie intégrante du Maroc. J’étais l’aînée de la famille, j’ai donc appris la musique tout naturellement avec mes frères. D’ailleurs, mon père m’a laissée beaucoup de poèmes que j’adapte aujourd’hui, à ma façon, entre le moderne et le traditionnel.

Vous sentez-vous proche des autres musiques du Sahara ? 
Nous avons une base culturelle commune, et nous avons tous ce rapport fort au désert, à la nature, à la poésie. Mais chaque pays a développé son propre style et nous nous inspirons mutuellement. En dehors de cela, j’écoute beaucoup de musique berbère et l’histoire de la culture amazigh m’intéresse. Dans le Sahara, certaines villes portent des noms amazigh comme par exemple Tagant et, dans le désert, il y a des peintures rupestres peintes en langue berbère. Nous avons les mêmes racines, et je l’entends dans la musique.