Le monde entre les mains d’Aïwa
Le Caire-New York-Kingston en quatre minutes, oui c’est possible ! Pas besoin de prendre l’avion, il suffit d’écouter El Nar, le deuxième album du groupe rennais Aïwa. Un objet musicalement non identifié entre hip hop, électro, dub et influences orientales. Attachez vos ceintures, décollage immédiat.
El nar, disque cosmopolite
Le Caire-New York-Kingston en quatre minutes, oui c’est possible ! Pas besoin de prendre l’avion, il suffit d’écouter El Nar, le deuxième album du groupe rennais Aïwa. Un objet musicalement non identifié entre hip hop, électro, dub et influences orientales. Attachez vos ceintures, décollage immédiat.
Wamid et Naufalle, les deux frères fondateurs d’Aïwa sont des habitués de la grande vitesse. Un peu plus d’un an après sa naissance, le groupe se produit aux Transmusicales de Rennes 2000. Pied au plancher, les Rennais enchaînent sur les Découvertes du Printemps de Bourges, le Jazz Festival de Montreux et le festival Fusion Culture de Marrakech. L’engouement est immédiat autour de ce mélange audacieux entre musique orientale, rap en arabe et drum’n’bass efficace.
Un début sur les chapeaux de roues alors que le groupe était encore en rodage, selon les dires même de Wamid, bassiste chaleureux et loquace : "A l’époque on cherchait encore la bonne formule. On avait deux DJs, ce qui était trop. On travaillait avec un vidéaste et des visuels sur scène. La batterie était systématiquement doublée d’une machine. Nous sommes revenus à une forme d’expression plus simple." Certes un peu brouillonne, l’effervescence d’Aïwa suscite très vite l’intérêt. Un label électro canadien, Wikkid records, décide de les signer. Il suffira d’un accord oral pour sceller le pacte.
Avec son premier album, Aïwa embraie sur une centaine de dates entre 2003 et 2004, se produisant entre autres à Prague, Budapest, en Angleterre et en Italie. Pour enregistrer El Nar, le groupe décide de se poser un an. Après quelques mouvements, la formation se stabilise à 7 membres, un DJ, un flûtiste et deux chanteurs accompagnant l’habituel trio guitare-basse-batterie. Cette fois-ci, l’approche est différente : "Notre premier disque était un instantané de notre répertoire scénique, explique Wamid, nous avons appris à composer de la musique à écouter sur CD. Nous avons maquetté 15 titres pendant 3 mois avant d’aller en studio deux semaines et demi."
Le regard dirigé vers l’est
Moins de 20 jours, pour enregistrer une heure de musique aussi dense relève de l’exploit. Vos oreilles n’auront jamais autant voyagé entre le très Portishead Ibn Sina, le ragga tendance Alger de Madness et une pause jazzy avec Entronic. Aïwa n’hésite pas à déposer les machines pour livrer quelques titres uniquement acoustiques. "Non mais quel souk !" vous dites vous. Et bien non, tous ces titres coulent aisément, portés par le flow captivant de Naufalle et les expérimentations vocales de Séverine.
Le titre El nar, jonglage hip hop dub au refrain soul résume très bien l’esprit de l’ensemble. Wamid confirme : "c’est le premier morceau composé. Pour nous, c’est le symbole de l’équilibre enfin trouvé. El nar, ça veut dire le feu en arabe, mais ça s’applique aussi à l’ambiance d’une soirée. Par extension, c’est devenu un des mots désignant l’enfer. La chanson parle des souffrances d’une population qui subit sans relâche crises, guerres, embargo." Sans avoir à trop chercher, on pensera assez vite à l’Irak, le pays d’origine des deux membres fondateurs d’Aïwa. Wamid devient alors intarissable : "Je suis né là-bas. Mon père était très francophile, il a décidé de venir ici pour poursuivre ses études. Nous sommes partis quand j’avais trois ans. Au début, nous devions juste rester quelques temps mais à la fin des années 70, la situation s’est vite détériorée. Ça fait 20 ans que je n’y ai pas remis les pieds. Je suis toujours en contact avec des membres de ma famille là-bas mais même eux nous déconseillent de venir. Si j’étais resté, c’est sûr ma vie n’aurait pas été la même. "
Accueil enthousiaste en Angleterre
Sa vie dans les prochains mois ? Repartir sur les routes avec notamment une nouvelle tournée programmée en juin en Angleterre. "Ça m’étonne toujours qu’on ait du succès là-bas ! Nous sommes très fans des groupes anglais comme FunDaMental ou Transglobal Underground, qui mélangeaient instruments ethniques et machines. Et là, on va chez des gens qui ont créé cette scène et qui sont en général assez réticent à la musique française. Mais l’accueil est enthousiaste. On a fait des interviews avec la BBC, The Independent, des gros médias alors qu’en France, les quotidiens comme Le Monde ne s’intéressent pas à nous." L’album sort sur le marché britannique début avril et devrait être distribué dans une vingtaine d’autres pays.
Aïwa aimerait bien approcher le monde arabe mais le chemin semble encore long. "Mon frère chante en dialectal irakien, une langue très proche de l’arabe classique, comprise très largement. Mais le hip hop n’est pas vraiment implanté là-bas et pour beaucoup le rap n’est pas une manière de chanter. En revanche au Maghreb, il y a une réelle ouverture." Le summum serait de jouer un jour à Bagdad. Wamid en a tellement envie qu’il n’ose y penser sérieusement.
Aïwa El Nar (Wikkid Records/Fairplay) 2006