Dee Dee Bridgewater au New Morning

Au New Morning à Paris du 18 au 20 septembre, la chanteuse de jazz Dee Dee Bridgewater et le musicien Cheikh Tidiane Seck s’essayent à des répétitions publiques de leur "Malian Project", une rencontre entre jazz et musique mandingue, à mille lieux de tout "jazz touristique". Reportage lors de la première soirée de cet ambitieux triptyque.

Retour aux sources mandingues

Au New Morning à Paris du 18 au 20 septembre, la chanteuse de jazz Dee Dee Bridgewater et le musicien Cheikh Tidiane Seck s’essayent à des répétitions publiques de leur "Malian Project", une rencontre entre jazz et musique mandingue, à mille lieux de tout "jazz touristique". Reportage lors de la première soirée de cet ambitieux triptyque.

Devant le New Morning, à Paris, une longue file d’attente se forme. Belles femmes en boubous, messieurs en costume, musiciens de jazz et habitués du "New" sont là pour assister aux répétitions publiques de Dee Dee Bridgewater et de "sa nouvelle famille malienne". Pendant trois soirs consécutifs, la grande dame s’est entourée des meilleurs musiciens maliens pour opérer un retour aux sources du jazz, du blues et de sa propre histoire.
Dans l’entrée de la célèbre salle de jazz parisienne, où Dee Dee Bridgewater, "africaine américaine" comme elle se définit elle-même, a donné son premier concert parisien il y a plusieurs dizaines d’années, on croise des grandes voix de la musique mandingue. Mamani Keita, Mama Kouyate ont mis leurs tenues les plus chatoyantes pour accompagner Dee Dee et Cheikh Tidiane Seck dans leur beau projet. Sur la scène aussi, des musiciens de style : Moriba Koita au n’goni, Baba Sissoko au tamani, Minino Garay aux percussions, Yacouba Sissokho à la kora, Ali Wage à la flûte peule...
En ouverture de la répétition - qui prendra plus l’allure d’un concert traditionnel, excepté quelques paroles non écrites et juste scattées - le morceau Afro blue de Mongo Santamaria avec les textes d’Oscar Brown Junior, arrangé par le pianiste de Dee Dee, Edsel Gomez. Toute la soirée, on fait des allers-retours entre sud des Etats-Unis et coeur de l’Afrique de l’ouest, entre audacieux réarrangements de morceaux très jazz - reprise enivrante de Four Women de Nina Simone, composition de Wayne Shorter - et de morceaux traditionnels du répertoire mandingue du XIIème siècle.

"Rythmes sources"

Pour Dee Dee, le besoin de se tourner vers l’Afrique s’est fait sentir il y a une dizaine d’années après l’enregistrement en 1995 de l’album  A tribute to Horace Silver. Et puis il y a eu la belle rencontre avec Cheikh Tidiane Seck, que tous deux racontent comme immédiate, absolue, subjugante de vérité. Puis, ces voyages au Mali en 2004 et 2006, où Cheikh a servi de grand frère et de guide, entre les restaurants, les studios de Bamako, Ségou et la grande famille mandingue. Pleine d’une énergie communicative, Dee Dee raconte son aisance à se glisser dans ces "rythmes sources" : "J’ai trouvé une place tout de suite dans cette musique même sans connaître les mélodies, je pense que c’est dû à ma faculté d’improvisation et à mon passé de chanteuse de jazz, mais pas seulement... Aller au Mali c’était une façon pour moi de compléter ma musique, d’opérer mes retrouvailles avec mon pays".

Pour Cheikh Tidiane Seck, l’expérience n’est pas nouvelle. Il a en effet emmené le grand musicien de jazz Hank Jones vers les rythmes anciens du Mandé dans l’album Sarala et a enseigné les rapports entre jazz et musique mandingue à l’université de UCLA aux Etats-Unis. Et pourtant... Chaviré par la beauté de "ce juste retour des choses", Cheikh, submergé par l’émotion, s’excusait la veille en interview de ne pouvoir continuer à parler du projet et quittait la pièce, pour revenir les yeux humides un moment plus tard.

Magie

La beauté de l’entreprise tient sans doute au fait qu’il s’agit finalement pour Dee Dee et pour Cheikh de la quête de toute une vie. Cheikh rappelle : "J’ai toujours été très proche des africains-américains. Dans les années 1970, alors qu’en Afrique tous les orchestres arrangeaient leurs morceaux façon salsa, nous, on jouait du rythm and blues. Ce retour aux sources a du sens car des libertés ont été prises et chez Dee Dee la facilité rythmique, la voix ont traversé les âges". Sur scène en effet, si l’on ferme les yeux, certains morceaux en duo avec Mamani Keita ou Mama Kouyate arrangés par Cheikh Tidiane Seck ont un effet troublant. On ne sait plus tout à fait qui chante, qui scatte et où nous sommes...

Dee Dee Bridgewater souhaitait à travers ce triptyque de concerts montrer les différentes étapes de la création (qui semble déjà bien avancée) avant d’enregistrer mi-octobre à Bamako, au studio Bogolan, le studio de feu Ali Farka Touré et Philippe Berthier, un album riche de moments "illuminatoires" selon Cheikh Tidiane Seck. Il insiste, "il n’y a pas une seule répétition où ne naît pas une histoire d’amour entre un des musiciens et Dee Dee... C’est très fort, très beau, on ne peut pas exprimer cela... L’expérience ne fait que commencer mais dans ce projet, il n’y a que de la magie".

Dee Dee Bridgewater’s Malian Project au New Morning, à Paris, jusqu'au 20 septembre 2006.