Les contes musicaux de Bona
À peine plus d’un an après son projet en trio avec Lokua Kanza et Gérald Toto, le Camerounais Richard Bona a pris la direction du Brésil pour son quatrième album intitulé Tiki. À la fois accessible, harmonieux et chaleureux, l’univers du bassiste chanteur se laisse également explorer dans African Tale, un DVD qui lui est consacré.
Nouvel album du bassiste indomptable
À peine plus d’un an après son projet en trio avec Lokua Kanza et Gérald Toto, le Camerounais Richard Bona a pris la direction du Brésil pour son quatrième album intitulé Tiki. À la fois accessible, harmonieux et chaleureux, l’univers du bassiste chanteur se laisse également explorer dans African Tale, un DVD qui lui est consacré.
Sur scène, Richard Bona est un artiste facétieux. Jovial, avec un sourire qui en dit long sur sa décontraction, il a cette faculté de créer en un instant une incroyable proximité avec le public. Ses blagues font rire autant que ses prouesses musicales font applaudir. Personnage extraverti ? Cela ne faisait aucun doute. Depuis Scenes From My Life, son premier album paru en 1999, le prodige venu du Cameroun n’est plus seulement le bassiste remarqué aux côtés de Manu Dibango, Joe Zawinul, le cofondateur de Weather Report, ou du chanteur Harry Belafonte, la légende du calypso. À 38 ans, il fait partie de ce cercle d’artistes-références naviguant entre jazz et musiques du monde.
On croyait connaître son histoire : celle d’un musicien précoce qui joue du balafon à cinq ans dans l’église de Minta et se fabrique sa propre guitare ; l’adolescent happé par les clubs de jazz où il passe tout son temps, puis les années européennes qui servent de tremplin avant le départ pour les Etats-Unis, en 1995. Tout cela est vrai, mais il manquait quelques clés pour déchiffrer celui qui se voit d’abord comme “un conteur” et oublie – par pudeur ? – de raconter son propre conte. Vincent Lepon a eu l’idée d’en faire la colonne vertébrale du DVD African Tale ("Un conte africain").
Ceux qui ont vu grandir Richard Bona se souviennent de lui comme d’un enfant timide, discret, ne jouant jamais avec les autres, à l’opposé de l’image qu’il véhicule aujourd’hui. Il confirme : sur son emploi du temps, il n’y avait de la place que pour la musique. “Quand je voulais faire quelque chose, je ne faisais que cela, je m’y mettais à 1000%”.
Le jour où, à seize ans, il entend l’Américain Jaco Pastorius sur un 33 tours, il pense que la platine ne tourne pas à la bonne vitesse, qu’il n’est pas possible de jouer de la basse avec une telle rapidité. Lorsque le propriétaire du disque lui confirme que tout fonctionne normalement, il ne s’en remet pas : "Je me suis dit : je veux pouvoir jouer de la basse comme ça, je vais jouer de la basse comme ça. Et du jour au lendemain, j’ai abandonné la guitare et les autres instruments que je pratiquais". Plus de vingt ans après, il voue la même admiration au maître "Pasto" et reprend l’un de ses morceaux, Three Women, pour son nouvel album, Tiki.
D’autres liens, tout aussi déterminants, n’ont pas été affaiblis par le temps, à l’image de ceux que le bassiste camerounais entretient encore par la pensée avec son grand-père. “C’est le premier musicien qui m’a marqué. Chaque fois que je peux, j’essaie de me souvenir de certaines choses qu’il me racontait. Et tout de suite, ça m’inspire, les mélodies reviennent”, explique-t-il. Les proches décrivent une complicité quasi fusionnelle entre le petit-fils et son aïeul, chanteur traditionnel. C’est lui qui intervient pour que la famille prenne le don de l’enfant en considération : inquiet pour l’avenir de son fils trop absorbé à ses yeux par la musique, le père de Richard venait de casser la guitare sur la tête de sa progéniture ! Sur Tiki, l’artiste a tenu à transmettre en partie ce patrimoine ancestral dont il avait été dépositaire : Ida Bato est un morceau qu’il connaît depuis ses huit ans et que son grand-père tenait lui-même de son grand-père. “C’est une très vieille chanson, il y a certains passages que je ne comprends pas car ils devaient utiliser d’autres termes à l’époque. Mais j’ai mis exactement les paroles qu’il chantait, sans rien changer”, souligne-t-il.
L’essentiel, pour lui, ne repose pas sur la compréhension du texte mais sur la musique des mots, même si cela peut paraître paradoxal pour un conteur. “J’ai essayé d’écrire en français, en anglais, mais ma musique sonne toujours beaucoup mieux dans ma langue d’origine”, affirme le chanteur, d’une grande exigence avec lui-même : “J’ai écouté ou joué avec des chanteurs-conteurs français comme Higelin, Nougaro. Quand tu les écoutes, c’est de la poésie. Et si je ne peux pas chanter à ce niveau, I just don’t want to do it. Tout ce que je fais, je veux être sûr de le faire à un très bon niveau.” C’est justement parce qu’il n’aime pas l’à peu près qu’il a abandonné au dernier moment l’idée de faire son quatrième album en Inde, où il estimait ne pas avoir suffisamment de contacts pour que tout se déroule dans la simplicité. Du projet, il ne reste que la présence de la chanteuse Susheela Raman sur un morceau dont subsistent quelques couleurs indiennes derrière celles du baïon brésilien. Car c’est au Brésil que Richard Bona a décidé de partir pour enregistrer en grande partie Tiki. Là-bas, il a son réseau d’amis musiciens, connaît les studios…
Plus qu’un lieu, il recherche une atmosphère, un environnement dont il puisse capter les essences naturelles. “Sa musique va bien plus loin que sa façon de jouer”, commente dans le DVD le trompettiste américain Randy Brecker, moitié des Brecker Brothers. “Les instruments qu’il touche se mettent à chanter”, dit à son sujet le chanteur français Jacques Higelin que Bona a accompagné dans le passé. “Il est habité par la musique”, résume son compatriote Manu Dibango. “Il aurait pu jouer du piano ou de la guitare, ç’aurait été pareil !” Qui en douterait ?
Richard Bona Tiki (Emarcy / Universal Music France) 2005
En concert le 19 décembre à l'Olympia à Paris