Le nouveau visage de la pop malgache

A l’image du Malgache Tizy Bone, membre du duo Tragédie actuellement en tête des ventes de singles en France, Madagascar a accouché d’une nouvelle génération d’artistes – rap, reggae, chanson - qui bouscule les habitudes musicales.

Révolution musicale sur l'île de l'océan Indien

A l’image du Malgache Tizy Bone, membre du duo Tragédie actuellement en tête des ventes de singles en France, Madagascar a accouché d’une nouvelle génération d’artistes – rap, reggae, chanson - qui bouscule les habitudes musicales.

Mais que s’est-il donc passé sur la Grande Île? En moins de cinq ans, le paysage musical malgache a été complètement bouleversé. L’évolution n’est pas seulement artistique: l’apparition de nouvelles tendances s’est faite dans un environnement structurel modifié en profondeur. De l’enregistrement à la commercialisation en passant par la communication, les pratiques ont changé et les rôles ont été redistribués. «On est en train d’assister à un tournant», confirme Haja Ravelojaona, directeur des radios RTA et Radio Tana, les deux stations les plus écoutées à Antananarivo qui appartiennent au groupe Radio Télévision Analamanga. Ce processus de mutation en cours, il l’attribue à la conjonction de plusieurs phénomènes. «Il y a eu une floraison de groupes à la toute fin des années 90 et au début des années 2000, explique-t-il. Des petits jeunes avec beaucoup de musiques dans leurs têtes sans bien savoir ce qu’ils voulaient faire. Il y avait une tendance qui était la dance, ou le hip hop, et ils se sont plongés dedans.»

Boys Band malgaches

Tout démarre avec la vague des boys band qui prend l’allure d’une déferlante après le succès des quatre garçons de Tempo Gaigy en 2001. Suivis par Unik et les girls bands Tif A Tif ou Suspens, avec lesquels ils partagent ce soin particulier pour le look et la chorégraphie, ils prennent d’assaut les médias. «Ils sont accompagnés de groupes de fans, d’un entourage qui a les moyens de produire un album par an, de faire des clips. Et tout ça fait beaucoup mousser les choses», précise Haja Ravelojaona. Cette année, Tempo Gaigy s’est produit plus de 60 fois, talonné de près par Tif A Tif. Le déclin n’est pas encore vraiment perceptible mais les sondages récents effectués pour RTA en font déjà état au profit du rap vers lequel le public jeune se tourne.

L'essor du rap

L’aspect élitiste qui collait aux rappeurs, à la différence des boys band populaires dans toutes les couches de la société, commence en effet à disparaître. «Ils sont en train de rejeter le rap dans la rue», remarque Haja Ravelojaona. En septembre, les 6000 places du théâtre d’Antsahamanitra à Antananarivo ont été vendues pour un concert réunissant une vingtaine d’artistes de la mouvance hip hop locale, ce qui semblait inimaginable quelques mois plus tôt. Comme ailleurs, une ligne de division s’est dessinée entre ce qui est jugé commercial par les uns et ce qui est hardcore pour les autres. A Madagascar, elle passe entre les pionniers Da Hopp et Shao Boana, confortés dans leurs places de leaders par leurs albums respectifs. Pour répondre à la nouvelle demande musicale des adolescents, sa véritable cible, RTA s’est repositionnée avec deux émissions consacrées au rap, dont une occupe un créneau horaire de premier plan, en fin d’après-midi. De quoi accélérer l’avènement annoncé du rap «malagasy».

La place des médias

Entre les médias et le monde de la musique malgache, les liens sont de plus en plus étroits. Onze ans après la libéralisation des ondes, on dénombre plus de 120 radios privées sur toute l’île dont une trentaine pour la seule capitale. Pour les artistes, c’est autant de chances supplémentaires d’être joué. Mais les diffuseurs se font aussi dénicheurs de talents. Version malgache de l’émission A la recherche de la nouvelle star de la chaîne française M6, Pazzapa (de “pas à pas”) a été bien plus qu’un succès d’antenne en 2003. Plus de 800 candidats, de 12 à 25 ans, ont été auditionnés en trois semaines pour prendre part à cette compétition arbitrée par les téléspectateurs. Depuis 1984, aucun casting de voix n’avait eu lieu et l’année prochaine, RTA-télévision a l’ambition d’organiser sa sélection à l’échelle nationale.

En contact avec douze radios affiliées éparpillées sur tout le territoire, Haja Ravelojaona constate que les particularismes musicaux sont encore très forts, et les programmations très différentes. Les rythmes tsapiky, salegy et bassessa ont toujours leurs zones d’influences. Dans les villes les plus isolées, les membres de son réseau ont souvent un profil peu commun. A Antalaha ou à Mananjary, ce sont de jeunes entrepreneurs de la filière vanille ou café qui se diversifient. En plus de la radio, ils ont aussi une boite de nuit qui se transforme le matin en studio d’enregistrement et l’après-midi en bar…

Les studios

En province, l’apparition de nombreuses petites structures d’enregistrement, dotées souvent d’un équipement peu performant, a largement contribué à l’augmentation de la production musicale malgache. Antananarivo, où se concentraient tous les studios, n’est plus un passage obligé. Le premier album autoproduit de Tempo Gaigy, qui les a propulsés sur le devant de la scène, a été fait à Antsirabe. Sur la côte Est, à Tamatave, Dida Randriamifidimanana s’est donné les outils nécessaires pour continuer à jouer son rôle préféré, celui de mécène. «Je fais naître, après je passe le bébé aux autres», explique ce personnage atypique, unique à Madagascar. Mika, sa dernière trouvaille, tente un rapprochement entre le folklore de sa région et les sons dance. Dans la capitale, les studios se comptent par dizaines. Pour le rap et le ragga, certains se sont spécialisés. La chanteuse Poopy, qui vient de fêter ses vingt ans de carrière avec trois concerts dans les plus grandes salles, et le chanteur de charme Njakatiana ont également investi dans du matériel de production.

La crise de 2002 : avant/après

Ces deux piliers de la variété typique des Hauts Plateaux malgaches sont inébranlables, mais nombre de ceux qui semblaient être des valeurs sûres ont disparu, tout au moins momentanément, lâchés soudainement par leur maison de disques. «Après la crise, tout a changé. Ça nous a fait réfléchir de na pas faire grand-chose pendant quatre mois», lance Stéphane de Comarmond avec un sourire amusé. Les troubles politiques qui ont agité Madagascar en 2002 ont fait vacillé l’entreprise familiale Mars, prolongement de celle fondée par son grand-père arrivé en 1937. Dès que la situation s’est apaisée, il a montré le chemin de la porte à presque tous les chanteurs qu’il avait produits et avec lesquels il avait rencontré à chaque fois un gros succès: Lego, Mamy Gotso, Samoela, Tearano… «Maintenant, j’essaie de travailler avec des musiciens en studio pour arriver à ce que fait Njava (groupe malgache installé en Belgique, lauréat du Prix RFI Musiques du Monde en 1992, ndlr). Ça prendra du temps, mais on finira par y arriver», explique-t-il.

Epargnés par le coup de balais, Doc JB et Koezy continuent d’entretenir la flamme des mozika mafana, les musiques tropicales qui ont donné à Mars son identité. Si le salegy a perdu du terrain sur les Hauts Plateaux, il fait toujours recette au plan national: Jerry Marcos a fait une percée remarquable au cours des dernières années mais la une nouvelle star s’appelle Din Rotsaka, “le prince du salegy” qui a détrôné “le roi” Jaojoby. A 34 ans, ce stakhanoviste de la scène qui a accompagné Tianjama, Mily Clement, Ninie Doniah est la meilleure vente du produteur-éditeur Do Sol, dont la domination est aussi écrasante que fut celle de Mars il y a quelques années. Lancée en 1999 par le mari de la chanteuse Bodo, cette jeune maison de disques se distingue de ses concurrentes par sa stratégie qui passe par une communication massive sur chacun des produits qu’elle sort, l’organisation de concerts pour promouvoir ses artistes et un réseau de 350 points de vente sur toute l’île, de Diego-Suarez à Tuléar. «C’est dans la logique de la production», justifie la direction. A elle seule, l’expression résume tous les changements.

Bertrand Lavaine