Lavilliers Americas tour, épisode 2

Après un concert épique au Nicaragua, Bernard Lavilliers poursuit sa tournée aux Amériques (en partenariat avec RFI et les Alliances Françaises) jusque dans les rues animées de Kingston, berceau de Jamaica, Stand The Ghetto et autres Mélody Tempo Harmony. Après un boeuf jamaïcain, notre ambassadeur musical tricolore s’est envolé vers les Etats-Unis et Miami dont il a été fait citoyen d’honneur.

De Kingston à Miami.

Après un concert épique au Nicaragua, Bernard Lavilliers poursuit sa tournée aux Amériques (en partenariat avec RFI et les Alliances Françaises) jusque dans les rues animées de Kingston, berceau de Jamaica, Stand The Ghetto et autres Mélody Tempo Harmony. Après un boeuf jamaïcain, notre ambassadeur musical tricolore s’est envolé vers les Etats-Unis et Miami dont il a été fait citoyen d’honneur.

Kingston, Jamaïque

A peine levé, après sa sempiternelle séance de sport, car "sur scène il faut avoir la forme", Bernard Lavilliers chausse ses baskets et son jean pour "prendre l’air". Un peu hirsute, il quitte le quartier d’affaires de New Kingston et l’hôtel chic où il jouera le soir. Lavilliers part en ville. Il laisse la forêt de béton clair des gratte-ciel pour une autre jungle, les quartiers populaires downtown. Bernard aime se laisser bousculer par les cris étouffés et les clameurs soudaines de cette "ville basse". Bordée par la mer, elle fut autrefois le coeur battant de la capitale jamaïcaine et est aujourd’hui désertée par les touristes. Downtown, le hurlement de la machine à vapeur du marchand de cacahuètes, les cris des vendeuses de fruits, la sono monstrueuse des jeunes fans de raggamuffin, les infra basses s’échappant des minibus ou des magasins de disques de la célèbre Orange Street, la rue des disquaires... Downtown, la ville d’en bas et ses laveurs de carreaux, ses vendeurs de chiffons, de babioles, de noix de coco ou de jus de fruits. Toutes ces ambiances ont un jour ou l’autre inspiré les chansons de Lavilliers écrites en forme de carnet de voyage. "Kingston kill some, quand le soleil descend à Downtown chante-t-il. Cadenas sur les grilles, des familles d'en haut/La brume qui scintille au-dessus du ghetto/A Trench Town ça bouge, t'arrête pas aux feux rouges/A Tivoli Garden, no good man/La lumière qui saute, Kingston est dans le noir/Les gun-men qui rôdent transformés en passoires/Et la mort qui s'en va, affamée comme moi..."

En pantalon de treillis et t-shirt délavé, toujours aussi jeune et large d’épaules, Bernard est "sur la route encore". Il bat le pavé et pousse jusqu’au marché qui borde le port. Il s’offre une canne en bois tordue ou brille le mot qui fait rêver tant de fans de reggae : "Jamaica". "Je deviens un peu vieux, il faut bien quelque chose pour me supporter" rigole le quinquagénaire en balade.

Tuff Gong Studios

Après un petit détour pour voir si la célèbre prison de Gun Court s’est écroulée, notre Bernard national échoue sur Marcus Garvey Drive, dans les mythiques studios de Tuff Gong, ceux de Bob Marley, où il a enregistré trois fois. "Kingston évolue, change et en même temps c’est toujours pareil.  Quoi que la violence à l’air un peu apaisée" analyse-t-il, avant d’être accueilli par des cris et des bénédictions. "Jah! Rastafari!" saluent en choeur les rastas installés dans le studio. Bernard en profite pour apprendre des nouveaux gestes et façons de se taper dans la main... "Je leur ai appris des signes brésiliens et certains musiciens les ont adaptés à la mode jamaïcaine" glisse Bernard au milieu des cris, devant la porte de la cabine de mixage : "Moi je n’ose pas entrer pour ne pas déranger". Happé par un rasta, Ras Dumisani, un Sud-Africain parisien venu enregistrer chez Tuff Gong, qui l’accueille par un : "Yeah man, Bernard, je t’ai vu à la télé, j’aime ta musique viens, entre !", Lavilliers poursuit : "Ici ils sont toujours 50 quand on enregistre et de temps en temps, je suis obligé de mettre un casque ou de dire "Oh! Est-ce qu’on peut faire de la musique ici ?", parce que tout le monde parle pendant les prises. Et il y a souvent des gens qui veulent venir voir ce que fait ce Blanc français".

C'est en 1979 que Lavilliers a mis les pieds pour la première fois à Kingston. "Je suis resté six semaines car il faut un certain temps pour comprendre comment ça marche. En Jamaïque, on ne viole pas les gens, on ne les achète pas non plus, on les loue! J’ai donc commencé à écrire au bout d’un mois, puis grâce à une proche de Bob (Marley, ndlr), Diana Ellis, j’ai travaillé avec Third World, les Gladiators, et j’ai finalement enregistré deux titres dans un studio moins cher que Tuff Gong à l’époque, au studio Aquarius". Et au fur et à mesure de ses visites, Bernard s’est fait quelques relations musicales et il enregistre régulièrement avec la section cuivre de Marley. Vieux routier des sessions, le tromboniste, Nambo Robinson, apprécie particulièrement les visites de Lavilliers. "Il est très professionnel et ressent vraiment le reggae, j’aime sa musique" sourit-il. Pour le saxophoniste Dean Fraser comme pour Sly et Robbie qui ont assis la rythmique de Jamaica et qui ont aussi bâti celles de Serge Gainsbourg, autre Frenchie venu à Kingston : "Jouer avec des super stars d’autres pays et notamment des artistes français est un honneur car c’est un pays où notre musique a été bien reçue depuis des années et nous aimons la France…Et puis, le reggae en français sonne bien." Revenu pour l’enterrement de Marley en 81, Lavilliers a également scellé un duo célèbre en 1995 avec Jimmy Cliff, Melody Tempo Harmony, un titre repris à la fin de chaque concert de cette tournée, et à Kingston en boeuf avec sa section cuivre légendaire.

De Marley aux Gipsy Kings

Après le concert, la soirée se termine, comme toujours, très tard dans la nuit dans une boite du coeur de la ville où Bernard épate ses connaissances jamaïcaines venues de Trenchtown, de Tuff Gong ou du ghetto de Waterhouse. "Il danse vraiment super bien, yeah man!" souffle Dean, ancien voyou repenti, en tirant une bouffée de spliff. Mais, comme à Kingston, il "Fait trop chaud pour chanter/Fait trop soif pour noter/Trop beau pour t'expliquerCe qui s'passe dans l'reggae", Lavilliers met les voiles pour Miami quelques heures plus tard… Très vite lancé sur le pimpant bitume américain et les noeuds de routes qui traversent et survolent Miami sur des kilomètres, Bernard trouve quand même le temps de s’arrêter boire une bière dans un bar où il rencontre par hasard les cousins des Gipsy Kings. Rendez-vous est pris pour un boeuf plus tard.

La guerre en Irak vient de se déclarer et les relations franco-américaines sont quelque peu figées. Sur scène, Bernard chante : "Elle venait du Nord, elle croyait que la misère ici, c’était moins dur, pendant que les Grands s’affrontaient à coup de calibre, de whisky glacé dans les grands salons". Le public répond présent et apprécie visiblement. Alors que Youssou N’Dour vient d’annuler ses concerts aux Etats-Unis, Lavilliers a insisté pour maintenir ses dates : "Je ne crois pas que tous les Américains soient contre la position des Français, tout comme d’autres pays qui ne peuvent pas le dire tout haut car ils dépendent trop des USA économiquement. Pour une fois dans ma vie, je suis d’accord avec Jacques Chirac. Je suis d’accord pour dire que Saddam Hussein est un dictateur, mais je ne crois pas qu’il faille tuer des femmes et des enfants pour s’en débarrasser. Nous vivons dans une période très compliquée et pour le monde entier et George Bush, ce n’est pas un cadeau, mais je suis ravi de jouer car l’administration Bush ne représente pas tous les Américains et puis de toutes façons, elle ne peut pas me mettre en prison".

Preuve que l’Amérique ne s’ombrage pas de la nationalité du chanteur, Emeline Alexis (photo) adjointe du maire de Miami, Alex Penelas, nomme Bernard Lavilliers Citoyen d’Honneur de la ville à l’issue du concert. Ce geste sera-t-il suivi par d’autres municipalités américaines ?