Rokia Traore en concert à Bamako

Simple et zen

C'est à Bamako, au Mali, que Rokia Traore a présenté en exclusivité son quatrième album Tchamantché lors d'un concert qui affichait complet. L'occasion pour la chanteuse franco-malienne de retrouvailles avec le public de son cœur, une manière aussi de se replonger dans ses racines africaines.

Six caméras, plusieurs chaînes de télévision internationales, la salle de concert du Blonba avait des allures de croisette. La star, c'était elle, Rokia Traore, l'enfant du pays, attendue depuis deux ans à Bamako. Rokia n'est pas une griotte mais elle en a sans doute la voix et la mémoire.

"A chaque nouvel album, je commence ma tournée par le Mali, c'est une manière d'être reconnaissante envers mon pays d'origine, même si je suis française. C'est une volonté aussi de retrouver mes racines africaines".

Si Rokia Traore est une star en France, elle est une chanteuse parmi tant d'autres au Mali. Et c'est parce qu'elle le sait qu'elle n'en rajoute pas. "Je suis zen", dit-elle dans un des titres phares de son dernier album, Tchamantché, qui signifie "le point d'équilibre" en langue bamanan. Et c'est peut-être pour ça qu'elle est toujours sensible, comme une débutante, aux attentions des autres et des Maliens en particulier. "Je suis très touchée lorsqu'on me reconnaît dans la rue à Bamako. Tous ces gestes d'amitiés, c'est très touchant", dit-elle avec la satisfaction de la star qui a su rester accessible.

Lorsqu'elle rentre en scène donc, après quelques jours passés chez les uns et les autres à boire le thé, à manger le riz en sauce ou à flâner dans le jardin encore en friche de sa villa en construction, c'est une Rokia Traore détendue, malgré les traits fatigués, qui salue son public. Un public qui n'a pas toujours été tendre avec elle : "On a souvent dit ici que j'étais une toubab, parce que je ne respectais pas les codes de la chanson malienne". C'est une star au style plutôt sobre donc, qui s'avance avec un large sourire, guitare à la main, seule d'abord, vers le micro central.

Entre Afrique et Occident

En face, debout, silencieux dans un premier temps, beaucoup de jeunes femmes maliennes, au style simple comme elle, beaucoup d'expatriés aussi, de France et des Etats-Unis et beaucoup d'enfants. Rokia Traore oscille entre l'Occident et l'Afrique, entre le passé et l'instant d'après. Devant ce public exigeant, pas encore tout à fait conquis, elle arbore son allure un peu garçonne, volontairement épurée, à l'image de ses cheveux coupés ras. Pas de bijoux, pas de talons, juste une touche de maquillage pour donner un peu de rondeur à son visage creusé par l'enchaînement des tournées mondiales. "Je n'aime pas être photographiée par surprise, avoue-t-elle, j'aime me maquiller un peu avant".

Rokia Traore, la fille du diplomate malien, a conservé de son éducation une certaine classe. Une pudeur aussi, toute paternelle, qui rompt avec la tradition griotte, lorsque les conteuses maliennes, engoncées dans des robes en bogolan brillant, se transforment en actrices felliniennes. Rokia n'est plus de cette génération, elle arrive sur scène, tout simplement vêtue, comme si elle vous recevait chez elle. Chez elle, c'est un mari, Thomas Weill, son agent et producteur qui ne la quitte pas des yeux, lorsqu'elle monte sur scène devant la salle comble. Lorsqu'il s'éclipse, c'est pour donner un conseil de lumière ici, faire un signe discret au technicien du son là. Et pendant ce temps, Rokia Traore enchaîne les titres : Aimer, Koronoko, Tounka…en français, en bambara, en anglais, sous les vivats d'un public conquis désormais et qui danse comme elle, pendant qu'elle passe de la lumière à l'obscurité, du rythme à l'immobilité.

Encore mieux en live

Rokia Traore sourit, virevolte, au milieu de fans montés sur l'estrade puis elle reprend son souffle, toujours en équilibre, comme l'oiseau frêle sur une branche, Tchamantché. Elle s'accroche enfin au regard de ses musiciens lorsque dans la lumière tamisée d'une nuit forcément blues, elle reprend avec sa voix grave et cristalline le titre de Billie Holiday The man I love.

"Rokia pour moi, c'est la meilleure d'entre nous, elle sait tout faire, complimente un jeune bamakois qui n'a jamais raté un seul de ses concerts au Mali. Elle a la plus belle voix d'Afrique et elle danse tellement bien. Rokia Traore, c'est encore mieux en live !". Voilà, sans doute, le plus beau compliment que l'on peut faire à cette artiste en quête de vérité.

François-Xavier Freland