Baster a Tuff gong

Pour son neuvième album Kaf Gong Reggae enregistré à Kingston, le groupe réunionnais Baster a momentanément laissé de côté le sega qui a fait sa réputation au-delà de l’océan Indien pour se mettre à l’heure du reggae.

Du sega au reggae

Pour son neuvième album Kaf Gong Reggae enregistré à Kingston, le groupe réunionnais Baster a momentanément laissé de côté le sega qui a fait sa réputation au-delà de l’océan Indien pour se mettre à l’heure du reggae.

Parti à Kingston sans le reste de son groupe, Thierry Gauliris, le chanteur-leader de Baster, est le premier artiste réunionnais à avoir franchi le pas du mythique studio Tuff Gong, appartenant à la famille de Bob Marley, pour y enregistrer un nouvel album. Epaulé par des musiciens qui accompagnent habituellement quelques pointures du reggae telles que Burning Spear ou Ziggy Marley, il revisite d’anciennes chansons du répertoire de Baster en les accommodant à la sauce musicale jamaïcaine.

RFI Musique : Quels souvenirs gardez-vous de votre collaboration avec les musiciens jamaïcains qui ont participé à Kaf Gong Reggae ? Qu’avez-vous pensé de leur méthode de travail ?
Thierry Gauliris :
Je savais que si Gainsbourg, Pierpoljak et d’autres artistes français avaient enregistré à Kingston, cela voulait dire qu’on y faisait de la musique de bonne qualité. Et c’est vrai que, dans leur façon de travailler, les Jamaïcains sont simples et efficaces. Ils donnent beaucoup. Là-bas, les studios sont encore à l’époque de l’analogique alors qu’à La Réunion on est équipé en numérique. Ça m’a étonné. J’en ai discuté avec l’ingénieur du son, Junior Clayton, qui m’a expliqué qu’avec l’analogique tu peux faire « péter » le son, tu as de la chaleur, du grain, que tu n’auras pas avec le numérique qui est propre mais reste froid. C’était aussi la première fois que j’allais dans un studio comme celui de Tuff Gong. J’avais l’impression qu’il était plein d’histoires, de feeling. Quand j’ai enregistré ma voix dans le studio, j’avais la sensation qu’il y avait plein de monde autour de moi, alors que j’étais tout seul. Ce que j’ai apprécié, c’est que les musiciens ont joué pour moi, pour ma voix, pour ma personnalité réunionnaise. A La Réunion, on a tendance à jouer chacun pour soi alors que, pour moi, la voix passe avant le reste. Toute l’instrumentation, les arrangements viennent juste l’accompagner.

Enregistrer en Jamaïque, c’était un rêve ?
Je peux pas dire que c’est un rêve parce que c’est mon travail. Depuis 1995, j’ai arrêté mon activité de photographe de presse pour ne faire que de la musique, mais c’est vrai que Bob Marley est pour moi un mentor, sur le plan vocal autant que pour son engagement rebelle spirituel. C’est la personne à qui je me réfère, tout en restant moi-même, réunionnais pur souche. Comme lui, je viens d’une île qui a connu l’esclavage et j’ai plus de choses à voir avec ceux qui ont vécu la même histoire que moi. Je préfère aller en Jamaïque plutôt que d’aller enregistrer en France avec des musiciens français ou jamaïcains. A Kingston, j’ai vraiment appris beaucoup de choses en seulement dix jours. Un rythme intensif, c’est vrai, mais comme si j’étais à la maison parce qu’il y a vraiment eu une bonne entente. Junior Clayton m’avait dit que si mon comportement ne leur avait pas plu, les Jamaïcains auraient pu faire les dix morceaux en une seule journée. Alors que cela a quand même duré cinq jours. Quand un morceau était trop rapide, le lendemain on l’écoutait et on le recommençait. Et cela, pour le même prix, ça ne change pas !

Pourquoi avoir eu envie de faire un album entièrement reggae ?
C’est une demande que la maison de disques Night & Day (qui distribue les albums de Baster en métropole; NDR) m’a faite il y a un an et demi, après la sortie de Black Out. Dans cet album, il y avait un morceau, Gawé, réalisé par Tyrone Downie, l’ancien clavier de Bob Marley, et on m’a proposé de faire un album dans le style de cette chanson. Depuis 1990, on a joué en France, en Afrique, à Miami, en Italie, aux Seychelles, et c’est vrai que les musiques réunionnaises sega maloya ne passent pas facilement auprès du public. Je me suis rendu compte qu’on ne peut pas arriver de but en blanc en disant : « c’est ma musique, tout le monde va aimer. » Si on ne la connaît pas, si elle n’est pas diffusée, c’est difficile.

Faire du reggae parce que le sega maloya ne marche pas, n’est-ce pas l’échec du concept de « réunionnité » avait été à la base de la création de Baster ?
Le reggae est une passerelle mais on a aussi notre propre musique qui est le maloya et j’ai envie de faire connaître cette partie culturelle de la Réunion. Lorsqu’on fera la première partie des Skatalites en octobre 2002, devant un public qui aime la musique jamaïcaine, on jouera au moins un ou deux morceaux de maloya. Mais on les choisira avec attention pour qu’ils ne se démarquent pas trop du reste qui sera assez reggae, en prenant par exemple un morceau basé sur les percussions comme le font les vieux Jamaïcains des Mystic Revelation of Rastafari.

Il y a un peu plus de dix ans, à l’île Maurice comme à La Réunion, beaucoup d’artistes s’étaient mis au seggae, mélange de sega et de reggae. A l’époque, ça ne vous avait pas séduit ?
Personnellement, le seggae ne m’a pas touché. Tout le monde s’était lancé là-dedans sans vraiment travailler la musique et ça m’a dérangé. Je tire tout de même mon chapeau à Kaya (chanteur mauricien à l’origine du seggae qui l’a fait connaître dans tout l’océan Indien, NDR), mais pour beaucoup ce n’était qu’une mode commerciale, pour vendre des disques. Ça ne s’est pas vu en métropole, mais à La Réunion ça devenait énervant de n’entendre que ça à la radio. Ça m’intéresse davantage de reprendre Redemption Song de Bob Marley en sega maloya, comme on l’a fait sur ce nouvel album.

Pourquoi avoir repris Redemption Song et pas une autre chanson de Marley ?
Quand le reggae est arrivé, je ne l’aimais pas du tout. Il n’y avait que maloya pour moi. Je ne comprenais pas les textes des Jamaïcains, et quand mon cousin m’a traduit les paroles de Redemption Song alors que j’avais quinze ans, j’ai appris à connaître Marley. Tout de suite, son engagement dans la vie politique et culturelle de son pays m’a plu. C’est à partir de ce moment que j’ai découvert le reggae, que j’ai appris à aimer le beat, la rythmique, la façon de chanter.

Vous la chantez en anglais, pourquoi ne pas l’avoir traduite en créole ?
Ce n’est pas évident. Quand on a enregistré en Jamaïque, on m’a demandé par exemple de traduire la chanson Black Out en français et ça m’a gêné un peu. Ce n’était pas prévu et je ne l’ai pas très bien vécu. Si on m’avait prévenu, j’aurais pu faire traduire le texte par son auteur et on aurait pu travailler dessus. Les musiciens jouent en fonction de la façon dont tu chantes, de l’intonation, et le créole n’est pas comme le français.

Une partie de votre public, à La Réunion, est un peu déçu de ne pas avoir de nouvelles chansons. Que leur répondez-vous ?
Avec Baster, ça fait vingt ans qu’on existe, on en est à notre neuvième album. On a sorti Raskok il y a tout juste un an. Je ne peux pas composer en quelques mois, je ne peux pas me forcer à écrire, je travaille dans le feeling. Je me suis dit aussi que si je faisais un album totalement nouveau en reggae, le public allait croire que j’avais oublié le maloya. J’ai eu cette crainte. J’adore le reggae, j’adore le jazz, mais ma musique c’est quand même le sega maloya.

Baster Kaf Gong Reggae (Night & Day) 2002