Mah Damba, griote éclectique

Mah Damba © DR

Installée en France depuis près de trois décennies où elle est devenue une figure de la scène malienne, Mah Damba conjugue en famille sa volonté d’ouverture à son héritage culturel, elle qui est la fille d’un des plus illustres griots du pays mandingue. Son nouvel album s'intitule À l’ombre du grand baobab.

Il lui fallait rebondir, trouver la force et les moyens de poursuivre le chemin qu’elle avait parcouru jusqu’à présent avec Mamaye Kouyaté, emporté par la maladie en septembre 2009. Depuis près de trente ans, ils formaient un duo à la ville et sur scène. Pour Mah, son mari musicien était un peu cet arbre protecteur et imposant dont il est question dans le titre de son nouvel album, A l’ombre du grand baobab.

Le baobab est tombé, et les oiseaux qui s’étaient posés sur ses branches ont dû trouver un autre refuge. Comme eux, elle s’est sentie perdue, désorientée, avant de réaliser qu’elle pouvait s’appuyer sur leurs enfants, et qu’ils étaient en mesure de lui donner des repères. A leur tour.

Elle n’a jamais eu le sentiment de sacrifier sa carrière pour les élever, mais elle reconnaît volontiers qu’elle est restée en France, où ils sont nés, pour leur permettre d’aller à l’école, d’étudier – ce qui n’a pas été son cas. Sans cela, elle serait repartie vivre au Mali depuis longtemps. "Venir ici n’était pas du tout dans mon programme", rappelle-t-elle. La raison ? "Le destin", tout simplement, celui qu’on ne pense même pas à contrarier.

Première tournée en 1984

Elle raconte l’arrivée de Mamaye à Paris en 1982, et elle qui le suit. Les jours et les nuits à pleurer avec l’envie de rentrer dans son pays où elle s’est toujours sentie plus "libre". Puis les concerts, la première tournée en 1984. Elle au chant, lui au ngoni. "Les gens ont trouvé ça très beau, alors on a commencé comme ça", raconte-t-elle.

Tous deux appartiennent à des familles de griots, ces maîtres de la parole détenteurs d’histoires séculaires, transmises de génération en génération. Le père de Mah, Djeli Baba Sissoko, était connu pour être "l’un des plus grands conteurs du Mali". Des vingt-deux enfants qu’il a eus avec ses quatre épouses, elle est la seule fille à avoir marché dans ses pas.

Même éloigné de lui géographiquement après avoir quitté sa terre natale, elle tenait à conserver une relation aussi étroite que possible. "Il ne se passait pas une semaine sans que je parle avec mon papa au téléphone, pas un an sans le revoir", assure la chanteuse. Sur place, elle passe son temps à ses côtés, comme le souligne Une griotte en exil, un documentaire que Corinne Maury et Olivier Zuchuat ont consacré en 2001 à Mah, filmée à Paris et à Bamako.

Une tradition perpétuée

Avec quelques-uns de ses enfants, la tradition musicale se perpétue. Elle n’a pas cherché à les encourager ni à les écarter de cette voie, elle les a laissés décider. Guimba, le guitariste, a appris auprès de son père, dont la réputation au ngoni l’avait conduit notamment à participer à l’album The River de son compatriote Ali Farka Touré en 1990. Sira, choriste d’Amadou & Mariam, a déjà deux albums sous son nom à son actif. Avec leur sœur Woridio Tounkara, également choriste, ils ont tous trois pris part à l’enregistrement du nouveau disque de leur mère réalisé en banlieue parisienne, à Montreuil.

Parfois, ils lui ont rappelé de respecter le format occidental des chansons, surtout en termes de durée. "Il faut savoir écouter ses enfants", assure celle qui, il y a une quinzaine d’années, pouvait rester au micro pendant vingt-cinq minutes sur Nyarela. "Chaque fois que Mamaye jouait le ngoni, ça m’inspirait. On s’envolait dans la musique et on oubliait qu’on était en studio", se souvient-elle avec une pincée de nostalgie dans la voix.

Loin de vouloir rester enfermée dans un art griotique exclusif, elle prône le dialogue avec d’autres instruments, d’autres cultures : joueur de kora, mais surtout contrebassiste, le jazzman français Jean-Jacques Avenel intervient sur cinq des quatorze titres d’A l’ombre du grand baobab. Et depuis 2007, Mah et sa famille sont régulièrement sur scène avec la chorale et l’orchestre des Métallos, soit près d’une centaine de chanteurs et musiciens.

Denko, l’une de ses chansons parue en 2000 sur son album Djelimousso, avait attiré l’attention de Claire Caillard-Hayward, à la tête de la chorale. Leur projet commun s’est construit autour d’une vraie rencontre entre leurs univers respectifs. "Et ils chantent en bambara", s’amuse à préciser Mah, qui appris aux membres de la chorale à interpréter dans sa langue, les cinq ou six morceaux qu’elle chante durant le spectacle. Chaque année, depuis la réouverture de la Maisons des métallos à Paris, l’aventure se poursuit le temps de quelques représentations. "Je ne veux pas arrêter", assure la griotte, ravie d’apporter sa pierre aux échanges Nord-Sud.

Mah Damba À l’ombre du grand baobab (Buda/Universal) 2010