Doc Gynéco, l'amour des mots

Doc Gyneco © DR

Pour les rappeurs qui se disent durs, il est devenu l’homme à abattre. Depuis son engagement aux côtés du candidat de l’UMP devenu président, Doc Gynéco, n’est plus en odeur de sainteté auprès des représentants officiels du mouvement rap. Ce qui ne l’a pas empêché de signer Peace Maker, un nouvel album surprenant, entièrement produit par Pierre Sarkozy et son équipe, à la couleur soul et aux rimes d’une richesse rappelant par moments son magistral album de bienvenue, Première consultation. Entre autocritique (Ma route), évocation subtile de la pasionaria socialiste (Céleste) et single fracassant (À cœur ouvert), Peace Maker est le disque d’un artiste accompli, les pieds fermement ancrés dans le rap, la tête dans les nuages et les mélodies aux lèvres. Rencontre avec un artiste plus que jamais inclassable.

RFI Musique : Quelles ont été les conséquences de votre engagement avec le président Sarkozy ?
Doc Gynéco : Sur le coup, c’était déjà beau et intéressant de voir que Nicolas Sarkozy a accepté de faire cette fameuse photo avec moi qui a fait tant de bruit. Aucun journaliste n’a vu que Sarko en campagne, a eu le courage de s’afficher avec moi et mon image de fumeur d’herbe, de mec lent, de rappeur du Ministère Ämer. On peut en sortir des vertes et des pas mûres sur mon parcours un peu chaotique. Dans ma vie, j’ai eu des hauts et des bas, et pas que de soie. Au départ, l’effet était vraiment bon, ça faisait genre Danny Wilde et Brett Sinclair, pour moi. Je pensais que les médias allaient s’orienter vers le mariage du siècle. Mais ils ont pris peur et ont préféré essayer d’arrêter ce couple, ce duo. Les humoristes s’en sont donné à cœur joie. Malgré moi, je me suis retrouvé face aux mêmes attaques que pouvaient recevoir tous les gens en campagne.

Ça marque votre rupture avec le rap français de maintenant, que vous ne cautionnez plus…
Moi, je n’ai jamais voulu renier personne, ça a été fait par nos adversaires. Mais on a fait passer le mot que les artistes "associés" à l’UMP, il fallait les lyncher. Ça n’était pas que moi. J’étais la proie la plus facile, donc ils m’ont offert cette rupture. Ils ont dit : "Regardez, c’est pas un rappeur, il est avec Sarkozy, il n’est pas avec vous". Alors que moi, j’ai toujours baigné là-dedans, je n’ai jamais fait que ça. On me connaît comme quelqu’un qui fait du rap, qui est cool, qui passe à la télé, etc. Ils m’ont eux-mêmes mis à part, mais ça m’arrangeait parce que j’avais des choses à reprocher au milieu du hip hop. Pas politiquement, mais moralement. Je savais qu’il y avait beaucoup de gens dans les quartiers qui votaient FN parce qu’ils n’avaient pas vu le film La Haine mais qu’ils l’avaient, la haine de vivre entouré de cette diaspora. Quand tu es le seul Français dans un immeuble où il n’y a que des étrangers, ça peut faire des faits divers. Ça m’a fait découvrir que des gens de droite et de l’UMP y étaient aussi, mais cachés. J’ai rencontré des gens dans la rue qui me disaient être d’accord avec mes idées, mais qui n’osaient pas le dire.

Quand avez-vous décidé d’inclure ça dans le disque ?
Quand ceux qui étaient avec Ségolène Royal étaient persuadés qu’elle gagnerait. Ils me disaient "T’es mort Gynéco, t’es foutu". J’ai entendu des trucs comme je n’en avais jamais entendu de ma vie. C’est intéressant qu’on puisse en arriver là, ça m’a beaucoup inspiré, même si je me suis dit : "Si Sarkozy gagne, je peux sortir mon disque. Sinon, ça ne sortira qu’après ma mort, ou au minimum dans cinq ans" ! (rires) Et sur mon nouvel album, j’ai mis un morceau qui évoque indirectement Ségolène Royal, Céleste : il y a un couplet aux rimes en "sé", un autre en "go" et le troisième en "laine". Le rap français, c’était déjà bête et méchant alors quand ils ont voulu se mettre à la politique, je me suis dit qu’ils allaient dire des trucs intéressants, mieux que le PS, les Communistes ou les autres partis de gauche, vu que les rappeurs ont quand même la vision du terrain. Eh bien non, c’était "On va le tuer !", et un stock de rimes nazes, je ne vais pas toutes les dire. Les meilleurs rappeurs sont devenus les plus mauvais rimeurs. Il n’y en a pas un qui nous a fait quelque chose qui aurait pu servir artistiquement au PS, qui se dit proche des artistes. Donc je doute que l’affiliation du PS avec les artistes soit sincère. Je ne suis pas sûr que les artistes qui se disent à gauche ne soient pas utilisés que pour la photo, et que les Socialistes n’écoutent pas ce qu’ils ont à dire. Et c’est dommage, ils ont perdu de la matière grise.

 

Quelle a été la genèse du duo avec Johnny Hallyday, La rue ?
C’est mon ami Johnny qui voulait que je refasse Je suis né dans la rue, et c’est son fils David qui a d’abord composé une musique pour cette adaptation. Pierre (Sarkozy : ndlr) a gardé le premier couplet de Johnny, puis il a changé l’instrumental pour en faire un nouveau. Pierre devait chanter lui-même le refrain, mais il n’a pas osé. Alors qu’il a une très belle voix.

Quelle est la méthode de travail de Pierre Sarkozy ?
C’est un technicien de la NASA ! Il passe les sons dans plein de machines, il trafique les fréquences, comme un savant fou en blouse blanche.

Vous évoquez votre prise de position dans le single À cœur ouvert ...
Je suis comme tout le monde, j’aime Martin Scorsese, la saga du Parrain, les James Bond, Il était une fois en Amérique, tout ça. Même les femmes aiment les gangsters. Au cinéma. Je n’ai rien contre ça mais j’ai été touché par des choses trop horribles que les jeunes de cité ont faites. Et les rappeurs aussi ont fait des faits divers. C’est allé trop loin, ils délivrent quand même un message à d’autres jeunes comme eux. La musique, ce n'est pas le cinéma mais c’est quand même quelque chose, c’est important pour les jeunes. Leur histoire, elle n’est vraiment pas belle. Alors qu’on peut trouver un rayon de soleil dans nos quartiers. Avec le rap français, on pourrait toucher un public beaucoup plus large. C’est vraiment dommage.

Doc Gyneco Peace Maker (Archambault) 2008