CORA VAUCAIRE

Concerts exceptionnels pour Cora Vaucaire dans le beau théâtre des Bouffes du Nord, jusqu'à samedi 12 septembre. Vieux classiques de la chanson française, nostalgie et résistance aux décrets de l'époque...

La voix toujours haute

Concerts exceptionnels pour Cora Vaucaire dans le beau théâtre des Bouffes du Nord, jusqu'à samedi 12 septembre. Vieux classiques de la chanson française, nostalgie et résistance aux décrets de l'époque...

La petite dame dans son ample robe blanche sourit tout entière, étend les bras vers le public. «On me demande pourquoi je continue à chanter. C'est pour ça.» Les Bouffes du Nord sont debout: dans la plus élégamment décrépie des salles de spectacles de Paris, dans le temple où règne Peter Brook, Cora Vaucaire donne ses «derniers concerts du siècle».

Il y a quelques mois, deux de ses cadets prestigieux annonçaient une forme de retraite: Raymond Devos qui a donné son dernier Olympia au printemps dernier, et Juliette Gréco qui, après son Odéon au début de l'été, a révélé son intention de ne plus jamais chanter à Paris.

Mais Cora Vaucaire continue sa route, presque cinquante-cinq ans après ses débuts.
Trois petites notes de musique, La Complainte de la butte, Le Temps des cerises, Parlez-moi d'amour, Le Fiacre: le répertoire de Cora Vaucaire semble un incroyable florilège de la chanson française.
Aujourd'hui, on oublie d'ailleurs à quel point elle fut une manière de révolutionnaire de la chanson dans les années 40-50, portant sur scène, par exemple, les chansons de Prévert qui compte aujourd'hui parmi les plus grands classiques mais dont on lui disait, à l'époque, «ce n'est pas chantable.»"
Mais, puisque je me sentais si bien dans son univers, moi qui ne suis ni maligne ni cultivée, d'autres devaient bien être comme moi. Pour moi, il est très simple – simple comme bonjour, aurait dit Prévert."
Alors, La Pêche à la baleine, Barbara, L'Orgue de Barbarie et surtout Les Feuilles mortes firent d'abord la conquête des cabarets de la Rive Gauche et des émissions de chanson de la radio nationale avant de courir sur toutes les lèvres.

Car Cora Vaucaire appartient à un âge difficilement compréhensible à notre époque de variétés «formatées». A ses débuts à la radio, raconte-t-elle, «il n'était pas question de faire ce qu'on appelait un doublon: la même chanteuse ne présentait pas deux fois la même chanson.» Alors, elle fera appel aux poètes du passé et à ses contemporains, au vieux répertoire folklorique français et à de jeunes auteurs-compositeurs qui ont pour nom Léo Ferré, Jacques Debronckart, Maurice Fanon («le meilleur d'entre nous», dit Cora), Jean-Roger Caussimon...
«Je ne savais pas où j'allais mais je n'aurais pas pu faire quelque chose que je n'aimais pas»
, dit-elle aujourd'hui. Et elle aime le meilleur: elle chante Ferrat, Barbara, Le Tourbillon de la vie de Baziak-Rezvani...

Parfois, elle jette: «j'ai des colères séniles». C'est qu'elle n'aime pas comme l'on traite la chanson en France, qu'elle refuse d'admettre que «ce qui ne fait pas de profit n'intéresse plus personne». Alors, elle continue son petit chemin de chansons, suivie par un public dont l'âge étonne: des personnes âgées, bien sûr, mais aussi beaucoup de jeunes, et qui ne semblent pas hors du temps. Au contraire, ses concerts aux Bouffes du Nord, jusqu'à samedi, voient se mêler les générations d'une manière assez exemplaire. Comme c'est la tradition à ses concerts, on lance les titres des chansons que l'on veut entendre, et c'est une belle cacophonie de demandes qui la ravit.

Mais il est loin, le temps mythique de l'Échelle de Jacob, à la fin des années 40, lorsque Mme Lebrun, la patronne, jetait dehors les journalistes qui venaient écouter «ses» artistes et faisait tinter sa caisse enregistreuse pendant que Cora chantait. Aujourd'hui, la «dame blanche de Saint-Germain-des-Prés», comme on l'appelait jadis, n'aime plus le célèbre quartier du VIe arrondissement, défiguré par les boutiques de luxe. «On se croirait à Saint-Tropez», dit-elle avec une moue. Elle a préféré s'installer dans ce merveilleux théâtre du quartier de la Chapelle, au coeur du quartier indo-pakistanais de Paris. Un symbole encore...

Bertrand DICALE