PRINTEMPS DE BOURGES (4)
Bourges, le 22 avril 2000- Epreuve de la scène pour les deux nouveaux grands du rap français, célébration mondialiste de la fête et du rythme, charme immense du reggae sensuel de Samia Farah.
Saïan Supa Crew, 113, Samia Farah
Bourges, le 22 avril 2000- Epreuve de la scène pour les deux nouveaux grands du rap français, célébration mondialiste de la fête et du rythme, charme immense du reggae sensuel de Samia Farah.
Année après année, vague après vague, le rap français se soumet à l’épreuve de la scène. L'exercice reste central dans un carrière, malgré les difficultés croissantes des groupes à trouver des salles de spectacle, puisque de nombreux incidents ont fini par donner une réputation désastreuse au public rap. Alors, le passage de Saïan Supa Crew et de 113 au Printemps de Bourges était gros d'enjeux.
Les premiers ont sorti le disque le plus abouti de l'année 1999, KLR (chez Source-Virgin). Six rappeurs en liberté, ouverts aux rythmes africains, antillais ou soul, inventifs et hédonistes, pour un album virtuose et souvent drôle - une qualité exceptionnelle dans le rap. Le 113 a, quant à lui, été le plus impressionnant phénomène commercial de l'année avec Les Princes de la ville (chez Small-Sony), disque de platine couronné par deux victoires de la musique.
En scène, Saïan Supa Crew confirme l'agileté du disque: présence scénique souple et nerveuse, vivacité des enchaînements, parfaite synchronisation gestuelle, chorégraphique et vocale des six rappeurs. Entre l'entertainment et un jeu un peu potache, ils donnent une vision dépoussiérée et ludique du concert de rap, qui ne transige ni sur le fond du message, ni sur l'intelligibilité des textes. Et ils multiplient les relances, les inventions, les allusions aux musiques qu'ils aiment.
En revanche, 113 s'est montré insuffisamment délié, volontiers lourdaud, étroit dans son offre. Comme souvent dans ce genre musical, l'intention militante et didactique du groupe bride l'invention strictement artistique et 113 ne parvient pas à porter à la scène d'autres qualités de son disque que sa puissance, sa verdeur ou la tenue idéologique de son engagement. On voit chez Saïan Supa Crew l'intention d'élargir à la fois le genre et le propos, et chez 113 le souci d'être fidèle aux traditions austères et claniques du rap.
Sous le chapiteau du Printemps, c'était précisément le triomphe du principe de plaisir sur toute pureté stylistique qui unissait 4000 spectateurs devant un plateau intitulé l'Alternazionale.
Trois latins d'abord, les Cubains du Septeto Nacional, le Brésilien Lénine et les Espagnols de Ska P. Puis venaient deux belles aventures françaises de métissage gourmand et de destruction des citadelles: l'Orchestre national de Barbès (en photo), qui donne au chaâbi des couleurs funk, et Sergent Garcia, qui globalise l'idée de fiesta en puissant çà et là dans les musiques latines, noires ou blanches, des recettes d'efficacité dansante.
Idée parente avec Samia Farah, qui compte parmi les plus belles découvertes de la chanson française cette année. Dans la petite salle de la Soute, alors que plus haut dans l'immeuble de la Maison de la Culture Lou Reed donnait - une fois de plus - un concert définitif, cette jolie jeune femme d'origine tunisienne présentait le plus doux et séduisant reggae qui se puisse faire. Avec son timbre chaud et ouvert, sa voix charnue va d'emblée à l'essentiel: l'envie, la confidence, la liberté. A l'oreille, sa sensualité sereine évoque une Billie Holiday tout sourire, une Rose Murphy plus femme que gamine, une Rickie Lee Jones tropicalisante. Ses textes affirment son indépendance, ses reprises avouent son bon goût - Cole Porter, Carole King. Remarquée par la presse et les radios du service public - souvent les plus ouvertes en matière musicale -, Samia Farah avance à pas sûrs et cool vers la renommée, et son passage au Printemps l'annonce.
Bertrand DICALE