Le Paris des cafés concerts
Paris, le 30 mai 2002 - Ces derniers mois, une loi interdisant de payer les musiciens amateurs remet en cause leur accueil dans de nombreux petits lieux, dont les bars. Occasion de se pencher sur ces circuits parallèles qui ont vu bon nombre d’artistes français (Les Têtes Raides, Louise Attaque, la Tordue, Thomas Fersen…) tourner avant d’être courtisés par les majors. Tour des estaminets avec les Ogres de Barback, la Rue Ketanou et Debout sur le Zinc.
Ou le rôle des bistrots dans la chanson française
Paris, le 30 mai 2002 - Ces derniers mois, une loi interdisant de payer les musiciens amateurs remet en cause leur accueil dans de nombreux petits lieux, dont les bars. Occasion de se pencher sur ces circuits parallèles qui ont vu bon nombre d’artistes français (Les Têtes Raides, Louise Attaque, la Tordue, Thomas Fersen…) tourner avant d’être courtisés par les majors. Tour des estaminets avec les Ogres de Barback, la Rue Ketanou et Debout sur le Zinc.
Le bistrot : premier espace d’expression
«Nous n’avions pas les meilleures conditions pour jouer, mais on le faisait avec joie. On se rappelle de soirées avec le public en délire sur le zinc, de la tringle à rideau de la scène qui s’écroulait en plein concert. Malgré ces petits désagréments, l’ambiance était toujours excellente, on était heureux, on se donnait à fond. C’était la fête. Avec le recul, on se demande comment on y arrivait». Cette phrase de Simon, le chanteur et violoniste de Debout Sur le Zinc résume parfaitement l’univers des bars et bistrots que découvrent les jeunes groupes qui décident de se lancer dans la chanson. Seuls espaces d’expression pour la jeune garde, ces lieux sont un parcours inévitable pour se faire un nom.
C’est sur la petite scène improvisée de l’Atmosphère que l'aventure scénique de Debout Sur Le Zinc a commencé. Comme tous les débutants, le groupe démarche et envoie en 1997 une cassette de démo au bar qui aussitôt les programme. Le bistrot, situé en face du canal Saint-Martin, non loin du désormais célèbre Hôtel du Nord d’Arletty, offre un cadre guinguette très chaleureux mais néanmoins étroit pour accueillir six musiciens puisqu'à l'époque le clarinettiste et septième membre du groupe ne les avait pas encore rejoints : « Nous étions obligés de jouer serrés les uns aux autres, coincés entre le peu de place qui restait entre les chaises et les banquettes», raconte Simon.
Des conditions que partagent tous les groupes qui commencent sur ces petites scènes, comme le confirment les Ogres de Barback. A la recherche de bars pour promouvoir leur premier album en 1998, ces derniers atterrissent à l’Art Brut. Situé rue Quincampoix près du Centre Georges Pompidou, ce café est connu comme le lieu où ont commencé les Têtes Raides. Ce sont eux qui recommandent ce bar aux Ogres de Barback. «Arrivés sur place, on a été surpris de découvrir un lieu, certes agréable, mais pas plus grand qu’un couloir», se souvient avec humour Alice, une des sœurs des Ogres. «Même si on est que quatre dans le groupe, nous avions chacun deux à trois instruments. Pour pouvoir y jouer, j’étais obligée de m’installer dans les escaliers. Ce n’est certainement pas l’emplacement idéal pour jouer de la contrebasse. Nous jouions presque au nez des clients, il y’en avait même certains qui recevaient des coups d’archer. Mais bon, l’ambiance était très sympathique. C’est ce qui comptait». Pour cette première soirée à l’Art Brut, les Ogres de Barback se fondent dans le décor et c’est avec plaisir qu’ils retourneront y jouer.
L’occasion de conquérir un public
Payés au chapeau ou en bière, ces conditions de travail un peu "roots", pour reprendre un terme de Simon, le violoniste de Debout Sur le Zinc, n’empêchent pas les groupes de donner le meilleur d’eux-mêmes. «On a passé de très bons moments à l’Art Brut. On y était tellement bien que l’on y jouait presque toute la nuit», poursuit Alice des Ogres de Barback. C’est ainsi que les artistes affirment leur identité et nouent un contact avec le public. Promiscuité oblige, les musiciens côtoient de près l’auditoire. Au fil des concerts, des rapports d’amitié naissent entre le groupe et les habitués du lieu. Ces rapports privilégiés permettent aux groupes de roder leur répertoire, d’expérimenter de nouvelles chansons, de prendre confiance, et surtout de conquérir les premiers fans. Le groupe Debout Sur Le Zinc se souvient : «Pour notre premier concert, seuls quelques amis venus nous soutenir étaient présents. Mais dès le deuxième concert, grâce au bouche-à-oreille, un vrai public apparu et la salle de 40 places ne suffisait plus à contenir tout le monde.»
Les premiers admirateurs conquis dans les bars restent souvent fidèles aux groupes, les supportant concert après concert jusqu’au succès national. «Il n’y a pas de doute que nous devons notre public aux bars et bistrots», résume Florent, accordéoniste et chanteur de La Rue Ketanou, un autre groupe qui avant de connaître le succès a joué pendant plus d’un an à l’Attirail (photo ci-dessous). Ali, patron et programmateur de l’Attirail désigne, non sans fierté, la première affiche du groupe au temps où il faisait ses débuts chez lui. Ce modeste bistrot, dans le petit quartier chinois du troisième arrondissement, rue au Maire, est depuis onze ans un des parcours incontournables pour les jeunes musiciens.
Du troquet à l’Elysée-Montmartre
C’est en général dans ces petits troquets que les jeunes talents prennent conscience de la portée de leur musique. «Face au succès à l’Attirail, on a réalisé qu’on avait de quoi convaincre un public beaucoup plus large. C’est à partir de là que le groupe a pris une autre dimension. Ça a été le vrai point de départ», explique Florent, de La Rue Ketanou. Un avis que partagent également Debout Sur Le Zinc et Les Ogres de Barback. Tous estiment ces petits lieux essentiels pour les jeunes artistes et espèrent qu’ils seront préservés.
Aujourd’hui, Debout Sur Le Zinc, Les Ogres de Barback et la Rue Ketanou connaissent un immense succès. C’est dans les festivals ou sur de plus grandes scènes, comme l’Elysée-Montmartre, que l’on peut maintenant les écouter. Un succès qu’unanimement ils attribuent aux bars de quartiers. Ils repassent de temps en temps dans les bistrots de leurs débuts, mais c’est maintenant pour suivre et repérer quelques groupes prometteurs pour leurs premières parties ou parfois pour y rejouer avec plaisir. Histoire de ne pas oublier que quelques années plus tôt ils étaient dans la même situation.
A l’instar de ces groupes qui ont vu leur aventure prendre son envol dans les bistrots, tous les soirs plusieurs autres jeunes talents comme les Attaqués, Beaubourg ou Lavach, s’exercent sur les petites scènes des cafés-concerts en attendant le succès. Alors, pour les Parisiens amoureux de la chanson que vous êtes peut-être, empressez-vous de les découvrir dans les bars avant qu’ils ne soient dans les bacs.
Kadidia Traore
L’Attirail : 9, rue au Maire 75003 (concerts tous les soirs)
L’Atmosphère : 49, rue Lucien Sampaix 75010 (concerts les week-ends)
L’Art Brut : 78 , rue Quincampoix 75003 (concerts ponctuels)