Claude Nougaro
Neuf mois après la disparition de Claude Nougaro, la musique de ce chanteur tout en accents tonitruants est doublement présente en cette fin d'année, à travers La Note bleue, qui contient ses derniers enregistrements, et le coffret L’Intégrale studio consacré à cet artiste qui aura toujours été bercé par le jazz.
La Note bleue et L'Intégrale en studio
Neuf mois après la disparition de Claude Nougaro, la musique de ce chanteur tout en accents tonitruants est doublement présente en cette fin d'année, à travers La Note bleue, qui contient ses derniers enregistrements, et le coffret L’Intégrale studio consacré à cet artiste qui aura toujours été bercé par le jazz.
Ultime recueil, inachevé, de Claude Nougaro, La Note bleue n’est pas seulement un disque émouvant, c’est surtout un disque épatant. Outre quelques retours sur des airs qui l’ont rendu célèbre dont un duo avec le chanteur David Linx sur Dansez sur moi et une version instrumentale de Toulouse en guise de final, on y retrouve tel qu’en lui-même le Toulousain né en 1929.
Faiseur de bons mots jusqu’au bout, amuseur (désab)usé, amoureux du jazz envers et malgré tout... Certes, mais déjà inquiet par la vie qui se dérobe inexorablement, lui qui incarna plus que tous la passion de la déraison. "Tant qu’il y aura des hommes, il y aura..." Ce vers répété à l’envi, jamais terminé, comme pour se moquer en une subtile pirouette des Chenilles, pour leur préférer les papillons... Claude Nougaro s’en est allé sur de bonnes notes. C’est sans nul doute l’un des mérites de La Note bleue, disque tout en clair-obscur d’une juste élégance, où même dans ses absences, il est bel et bien présent. La moitié de l’enregistrement est sans lui, tout avec lui. Cet album permet enfin à ce chanteur de mots dits blues d’en terminer en gravant son nom au fronton de la plus célèbre firme de jazz : Blue Note. À ses côtés, de très bons jazzmen comme Éric Legnini, Stefano Dibattista, Stéphane Belmondo... Quoi de plus moral, pour celui qui aura fait swinguer toute sa vie, de se voir si bien accompagné pour sa dernière sortie.
Un phrasé majuscule
Il faut donc revenir en arrière, quand Claude Nougaro débute, au milieu des années 50, dans le cabaret parisien Au Lapin Agile, sur les conseils de son père, chanteur d’opéra qui fut un temps son "seul chanteur de blues". Pendant cinquante ans, le jazz sera toujours convoqué, sous toutes ses coutures. C'est cette aventure que raconte L’Intégrale studio : 239 chansons, dont douze inédits, qui vont de ses premiers pas discographiques en 1959, jusqu’à ses dernières traces en 2000. Soit quatorze CD, auxquels a été ajouté un DVD, Hombre et Lumière, dans lequel on retrouve l'artiste en concert à Toulouse en 1998. Le jazz, donc. "La danse de l’ours", selon son père. "La meilleure des musiques", selon celui qui aimait improviser, pas calculer. En tout cas, celle qui aura irrigué toute sa carrière, qui l’aura toujours fait avancer. Claude Nougaro aura vu défiler plusieurs générations d’experts de la note blues : Michel Legrand, Maurice Vander, Aldo Romano, Bernard Lubat, Eddy Louiss... Pour le meilleur, et puis après le pire.
Le meilleur, c’est tout le début. Dès cet album rare enfin réédité, dirigé par Jimmy Walter et préfacé par Henri Salvador. Lequel signe la musique des Anges, un rhythm’n’blues très rock’n’roll, au milieu de chansons douces qui swinguent drôlement. Il y a déjà là, en 1959, tout ce qui fera la différence du style de ce drôle d’oiseau de Nougaro, "ce Piaf au masculin" pour paraphraser l'écrivain Christian Laborde. Un phrasé majuscule qui se joue sans complexe des mesures les plus complexes. Pour s’en convaincre, il faut écouter Le Cinéma, extrait du volume justement intitulé Du jazz chez les yéyés : "Sur l’écran noir de mes nuits blanches" Dès son premier album en 1962, Nougaro enchaîne les standards. Une petite fille, sur une musique de Michel Legrand, est le premier d’une longue suite de succès, comme Cécile ma fille. Le jazz est partout, ballade sur le ton de la confidence ou embardée tout en swing, entre les lignes d’une écriture taillée à sa démesure, gourmande mais dégrossie. "Quand le jazz est là, la java s’en va !". Mais les musiques typiques arrivent, comme ce Ouh façon tcha-tcha-tcha, ou encore ce génial Parler aux femmes teinté de percussions...
Un jazz toujours plus libre
Sa majesté le jazz, tel est le titre d’un des deux albums thématiques (l’autre étant Africa Brazil, qui compile la plupart du répertoire afro-brésilien comme L’Amour sorcier dès 1965, Bidonville, Brésilien de Gil, Tu verras adapté du O Que Serra de Chico Buarque...) dans ce parcours chronologique. Dedans, toutes les reprises de "l’homme aux semelles de swing", celui qui "n’est pas noir mais blanc de peau". À bout de souffle emprunté à Dave Brubeck, Sing Sing Song (dont une prise inédite plus ambitieuse que celle retenue), Armstrong, Gloria en compagnie du souffle d’Ornette Coleman, des adaptations souvent réussies des plus grands compositeurs de la note bleue : Wayne Shorter, Sonny Rollins, Monk, Quincy Jones...
Le jazz, c’est lui qui conduit la visite à la coule de La Côte d’Azur, avec tambours et trompettes, tandis que c’est du côté du blues que s’inscrit le disque Petit Taureau deux ans plus tard, en 1967. C’est encore lui qui bat le rappel sur Paris Mai, en 1968, chant de guerre contre "l’intelligence blanche, la grise religion", "les hymnes cramoisis, la passion du futur et la chronique amnésie"... Suivi de La Pluie fait des claquettes, tout en sensualité soul. Le jazz, toujours plus libre et ouvert à toutes les influences sur Soeur Ame, disque du tournant des années 70, son chef-d’œuvre incompris, malgré le corrosif C’est ça la vie. Voilà pour le meilleur.
Le pire, c’est la suite. Une autre histoire, qui commence avec Récréations en 1974, qui se poursuit avec Very Nice et son jazz très années 80, trop musclé pour le verbe si délié de ce boxeur de cinémots, qui arrive à son paroxysme avec Nougayork puis Pacifique. "C’est pas du Ronsard, c’est de l’amerloque". C’est bien là tout le problème. Il faudra attendre Embarquement immédiat en 2000, mixé par Renaud Letang, pour retrouver la poésie de Nougaro respirer des airs frais, même si pas toujours des plus gais (L’Ile Hélène). Un retour en grâce marqué par la présence d’Yvan Cassar, l’homme qui va réaliser La Note bleue, un rêve de gamin pour Nougaro le jazzfan. Cet homme debout, capable de réciter en bout de piste de son dernier sillon : "J’ai envie d’écrire, mais je ne sais pas quoi/Je marche à petits pas au bras de mon cancer/C’est pas si con coco quand on se dit chanteur/de mourir d’un concert de pancréateur..."
Claude Nougaro La Note bleue (Blue Note/EMI) et L’Intégrale studio (Mercury/Universal) 2004