Le réalisme musical de Rajery

La valiha en bandoulière

A Madagascar, Rajery est devenu en quelques années un acteur culturel de premier plan. Une ascension discrète, à l’image du personnage qui a construit sa crédibilité autant sur ses projets nationaux que sur sa carrière internationale. Inlassable promoteur de la valiha, une harpe en bambou emblématique de la musique des hauts-plateaux de la Grande Île, le lauréat du prix RFI Musiques du monde en 2002 vient de sortir son quatrième album, Sofera, et devrait prochainement revenir dans l’actualité aux côtés de Ballaké Cissoko et Driss El Maloumi pour le projet 3MA.


Le taxi s’arrête en plein quartier de Besarety. A peine descendu sur le trottoir, Rajery s’engouffre entre deux maisons dans un de ces escaliers que les touristes osent rarement emprunter mais qui fait le véritable charme de la capitale malgache.

C’est là, dans une de ces venelles serpentant entre les habitations, si étroite que deux personnes ne peuvent s’y croiser, que Rajery habite avec sa famille depuis cinq ans. Bientôt, il l’assure, il retournera vivre à la campagne, loin de l’agitation de la ville. Encore faudrait-il que son agenda soit moins rempli, car les sollicitations en tous genres se font de plus en plus nombreuses, à tel point qu’il a parfois la sensation de ne faire que passer chez lui.

Ce matin, entre une émission de télévision et une invitation à la radio pour parler de son nouvel album Sofera, il s’est occupé des demandes de visas pour son groupe en allant déposer les dossiers au consulat de l’ambassade de France, en prévision de ses concerts programmés au mois de mai. Son plat de ravitoto tout juste avalé au déjeuner, le voilà qui repart de son domicile, descendant la rue avec sa valiha en bandoulière pour rejoindre ses musiciens avec lesquels il doit répéter une partie de l’après-midi.

La musique au salon

Rajery possède son propre studio, dans un autre quartier d’Antananarivo, mais il préfère le laisser à la location. Le local dans lequel il travaille ressemble plus à un salon transformé pour une nouvelle utilisation qu’à un endroit conçu pour la musique. La pièce est exiguë : une fois que chacun a pris place derrière son instrument, plus personne ne peut circuler ! Dehors, dans la minuscule cour cimentée, une lessiveuse vient régulièrement vider l’eau blanchâtre de sa bassine dans le regard d’évacuation. Sur les murs trop hauts et trop proches des fenêtres pour laisser entrer la lumière, quelques poules maigrichonnes ont trouvé refuge.

Sofera a pris forme dans ce cadre, au cœur de la réalité malgache. La préparation a duré presqu’un an. Les "mercenaires" auxquels il avait fait appel sur chaque album n’étant pas disponibles cette fois-ci, Rajery en a profité pour prendre son indépendance et monter sa propre formation qu’il a associée de bout en bout à sa réflexion dans la conception des différents morceaux. La méthode collective s’est avérée payante au moment d’enregistrer en Charente, l’an dernier, à l’occasion de leur venue au festival Musiques Métisses d’Angoulême.

En cinq jours, tout était fini. Avec cette équipe fidélisée, de vrais automatismes se sont mis en place et Rajery a enfin la possibilité de projeter sa musique dans le temps. Il y gagne aussi sur un autre terrain, rappelant au passage que la façon dont il gère sa carrière n’est pas la moindre de ses qualités : en responsabilisant ses partenaires, il se donne la liberté de pouvoir se consacrer à un projet parallèle, l’esprit tranquille. L’homme est autant entrepreneur qu’artiste, cherchant à assurer un développement vertical et horizontal de ses activités. Le studio, la société de production, l’école de valiha, le festival Angaredona, l’aventure 3MA (Madagascar, Mali et Maroc) avec le koriste Ballaké Cissoko et le oudiste Driss El Maloumi… : celui qu’on continue d’appeler de façon réductrice "le prince de la valiha" a appris à se diversifier, sans se disperser.

Bertrand Lavaine

Rajery Sofera (Marabi/Harmonia Mundi) 2007