Québec sur Seine
Céline Dion qui réquisitionne TF1, sa soeur Claudette qui fait la Piaf à l’Olympia, Lynda Lemay qui rime riche chez Drucker, le minois joli de Natasha St-Pier en gros plan dans les métros de Paris, Garou qui rempile. C’est reparti pour la saison : les chanteurs et chanteuses du Québec n’en finissent plus de cartonner en France. Qu’en dit-on dans l’ancienne colonie d’Amérique? Entre les hourras, quelques nuances.
La déferlante québécoise en France, vue du Québec
Céline Dion qui réquisitionne TF1, sa soeur Claudette qui fait la Piaf à l’Olympia, Lynda Lemay qui rime riche chez Drucker, le minois joli de Natasha St-Pier en gros plan dans les métros de Paris, Garou qui rempile. C’est reparti pour la saison : les chanteurs et chanteuses du Québec n’en finissent plus de cartonner en France. Qu’en dit-on dans l’ancienne colonie d’Amérique? Entre les hourras, quelques nuances.
C’était le 22 décembre 1950. Le chansonnier "canadien" Félix Leclerc, découvert par Jacques Canetti, triomphait à l’ABC, en lever de rideau des Compagnons de la chanson. Retombées: 14 semaines aux Trois Baudets, tournées, prix de l’Académie Charles-Cros, la totale. Au Québec, on tomba plutôt des nues. Félix qui ? Jusque-là ignoré, Félix fut bombardé héros national. Imaginez les torses bombés: un p’tit gars de chez nous avait réussi dans la vieille mère patrie, concrétisant le vieux désir de reconnaissance d’un peuple et ses "quelques arpents de neige" abandonnés aux Anglais deux siècles plus tôt. Enfin, nous avions à nouveau droit au sein de Marianne.
En 2003, Marianne ne sait plus où se vouer. Céline, Garou, Lynda Lemay, Isabelle Boulay, Natasha St-Pier, Daniel Lavoie, Corneille, voire le revenant Roch Voisine, tous réclament la maternelle mamelle. Jusqu’à Claudette Dion, soeur de l’autre, qui se prend pour la Môme. Millions d’albums vendus, omniprésence à la télé, mainmise sur les radios, la France est devenue le paradis de la vedette à grosse voix made in Québec depuis que Luc Plamondon en a farci son Notre-Dame-de-Paris (déclenchant du coup le raz-de-marée des opéras pop). Le Québec s’en "flatte la bedaine", vous pensez bien. À chaque nouveau "triomphe" de l’un des "nôtres" en France, les médias grand public du Québec sortent fanfare et banderoles. Tel Félix en son temps, au cube. Réussir en France demeure au Québec une véritable consécration.
Rien n’est plus désirable, sinon le succès planétaire. Succès qui n’échappe même plus au Québec, à travers son internationale Céline. D’où "pétage de bretelles", comme on dit au Québec. Entendez : un début d’arrogance. Vu du Colisée bâti pour Céline à Las Vegas où les Aznavour, Pagny et autres Patrick Fiori font la queue pour célébrer la star en résidence, le succès québécois en France semble ces jours-ci presque normal. Tellement qu’au désir de reconnaissance s’ajoute un sentiment un brin revanchard : le chauvinisme. C’est la France, croit-on, qui a désormais bien besoin du Québec, de ses coffres forts à la Garou et de sa Lemay, la forte en thème.
Seulement voilà, est-ce bien le Québec qui triomphe en France ? Quelques critiques ont posé la question : ne serait-ce pas plutôt la France elle-même qui "passe un Québec" à la France ? Constatons : c’est Pascal Obispo qui a fabriqué de toutes pièces L’Instant d’après, actuel album à succès de Natasha St-Pier. Reviens, le nouveau Garou, contient certes son quota de Plamondon, mais aussi du Goldman. Lequel Jean-Jacques est aussi l’un des quatre types d’Une fille et quatre types, le nouveau Céline, en compagnie des Gildas Arzel et autres potes à Johnny (Hallyday). Pareillement, les derniers disques d’Isabelle Boulay et France D’Amour étaient littéralement des produits made in France, avec le Québec comme marché secondaire.
Et quand ce n’est pas dans la fabrication, c’est dans la mise en marché que le showbiz français impose le Québec en France. Lynda Lemay, faut-il le rappeler, bénéficie du puissant parrainage de Charles Aznavour : les heures d’antenne récemment allouées à la promotion de l’album Les Secrets des oiseaux par Michel Drucker n’y sont pas étrangères. Le succès surprise de "l’autre Dion" n’est pas entièrement fortuit non plus : c’est le producteur Gilbert Coullier qui a orchestré l’affaire "par fidélité pour la famille Dion" (dixit la Presse Canadienne), et c’est encore l’ami Drucker qui a invité soeurette Claudette à faire l’Édith au petit écran.
Mais qu’importent les fomenteurs : le Québec pavoise puisque les siens triomphent. Tout le Québec ? Pas les fans québécois de Renaud, en tous cas. "Cessez de nous envoyez vos mauvais chanteurs!", a râlé Séchan lors de son dernier spectacle à Montréal. L’ovation qui a suivi en témoignait : il y a des dissidents. Qui pensent qu’un Daniel Bélanger, une Ariane Moffatt, un Yann Perreau ou un Stefie Shock, artistes à coffre moins gonflable et à contenu moins prévisible, représenteraient plus justement la chanson québécoise en France. La France des Vincent Delerm, Thomas Fersen et Sanseverino, s’entend.
Sylvain Cormier