Les pionniers de la Maison Tellier
Les cinq Normands de la Maison Tellier poursuivent leur rêve américain avec l’Art de la fugue, un troisième album qui exhale Johnny Cash, Sergio Leone, le whisky et la poussière. Genèse d’un gang éclectique qui sévit depuis 2004 et démontre qu’une folk à la française de qualité est possible.
Ecouter la Maison Tellier, c’est un peu comme embarquer à bord d’une diligence à l’époque de la ruée vers l’or. Le voyage est incertain – risqué, même – mais excitant. Secoué par la route cabossée, le nez dans le sable et la poussière, on se retrouve à traverser une Amérique de légendes : déserts, grands espaces, villes sans foi ni loi, saloons enfumés et parties de poker qui finissent dans un bain de sang. "Dans le groupe, on est plusieurs à avoir pas mal tripé sur les westerns de Sergio Leone, explique Raoul, le guitariste et banjoïste. Ce Far West fantasmé stimule en partie notre imaginaire mais il n’est pas du tout exclusif. Nous ne sommes ni des fétichistes, ni des nostalgiques bloqués sur cette période."
Ces explications faites, on tend l’oreille de plus près et c’est vrai : l’Amérique dépeinte dans ce troisième album, l’Art de la fugue, est bien plus intemporelle qu’on ne le croyait au départ. Les orpailleurs y croisent Elvis, les esclaves des champs de coton y donnent la réplique aux clandestins mexicains d’aujourd’hui et les prêches des évangélistes s’y apparentent étrangement à certains discours politiques actuels… Bienvenue dans les différents étages de la Maison Tellier !
Rouen et Maupassant
Née en 2004, cette formation country-folk vient juste de signer avec une major, Wagram. Elle s’est fait connaître grâce à deux albums produits par Euro-visions, un petit label de Rouen, d’où sont originaires tous ses membres. Une chronique dans le magazine culturel Les Inrockuptibles, quelques passages sur certaines radios françaises et un bouche-à-oreille flatteur ont fait le reste.
Le groupe doit son nom à une nouvelle de Guy de Maupassant publiée en 1881 et qui raconte l’histoire d’une maison close normande tenue par une certaine Madame Tellier : "Le chanteur est retombé sur le recueil qui la contenait, en déménageant. On cherchait alors un nom qui évoque une entreprise familiale, quelque chose d’un peu daté en raccord avec notre musique mais qui ne commence pas par The, raconte Raoul. Sur scène et en promo, nous adoptons tous le patronyme Tellier, comme des frères qui auraient pour mère la tenancière du bordel, explique Alexandre, le batteur. Ce nom a sans doute conditionné l’esprit familial du groupe, qui n’a pas de leader incontesté."
De deux locataires à l’origine (Raoul et Helmut, le chanteur, prof d’anglais dans la vie de tous les jours), la "Maison" en a rapidement hébergé cinq : "A Rouen, où nous nous sommes tous rencontrés, le microcosme musical n’est pas très grand et, quand on cherche tel ou tel instrument, on sait tout de suite qui est libre ou pas", précise Raoul. Un batteur, un bassiste et un trompettiste ont donc rejoint l’aventure. Le rock américain façon "retour aux sources" s’est imposé d’emblée. "Je ne sais même pas si nous avons essayé un jour de jouer autre chose ! dit Alexandre. Chacun a des influences assez éclectiques et à vrai dire, c’est un des rares styles musicaux qui nous réunit tous sans trop de débat et qui permet d’accueillir la graine que chacun apporte."
Folk à la française
Une balade country ou un blues ici, des incantations gospel ou un folk endiablé là… Les ombres de Johnny Cash, Neil Young, Calexico ou encore Bob Dylan planent sur les treize titres de l’Art de la fugue. "C’est pour ma part les chansons country des Beatles, peu connues, qui m’ont amené à cette musique traditionnelle américaine, complète Raoul. Les allers-retours constants qu’elle a faits entre l’Europe et l’Amérique sont fascinants."
Ces échanges outre-Atlantique, la Maison Tellier les poursuit à sa manière, enrobant sans rougir ses mélodies folk de paroles en français. "C’est à la fois un plaisir et un défi de mélanger cette musique à notre langue, plus bavarde que l’anglais et moins accentuée, moins musicale", commente Raoul.
Pionniers d’un folk (réussi) à la française, alors, ces Normands ? On répond oui sans hésiter, eux sont plus modestes : "La moitié des chansons est en français, l’autre en anglais, rappelle Alexandre. On montre donc les limites de l’exercice… Parfois, il n’y a rien à faire, le français fait trop sonner mauvaise variété pour qu’on insiste." Toute bilingue qu’elle est, gageons que ce disque n’ira pas croupir dans le grenier poussiéreux d’une maison. L’Art de la fugue et d’éviter les écueils, cette clique-là l’a assurément.
La Maison Tellier L’Art de la fugue (Wagram) 2010.
En concert le 6 avril 2010 au Café de la Danse, à Paris.