Tanger
Il y a déjà un an, sortait un album remarquable et prometteur. Tanger avec La Mémoire Insoluble" posait les bases d’un genre complexe et attachant où chaque pierre sonore et poétique décentrait l’espace incertain de nos impressions. Aujourd'hui, Le Détroit (Mercury/Universal) confirme leur espace et leur ouvre un horizon lointain.
L'horizon dégagé
Il y a déjà un an, sortait un album remarquable et prometteur. Tanger avec La Mémoire Insoluble" posait les bases d’un genre complexe et attachant où chaque pierre sonore et poétique décentrait l’espace incertain de nos impressions. Aujourd'hui, Le Détroit (Mercury/Universal) confirme leur espace et leur ouvre un horizon lointain.
Suivre le groupe français Tanger demande une attention particulière. Si son nom, en hommage à Matisse et symbole de nouveau regard sur l’Occident, les emmène surtout au Sud, c’est tout un univers musical de la chanson qu’il recompose. Ainsi depuis 1995, le Maroc est une terre féconde pour leur art.
A première écoute, La Mémoire Insoluble pouvait se poser comme un album rock de chansons bien prétentieuses. Mais les textes d’une écriture remarquable marquaient par une poésie surannée mais totalement maîtrisée. Les mots de récits érotiques en chroniques dramatiques d’amour en péril étaient soutenus par une instrumentation classique où les divagations en rythmiques marocaines affirmaient que tout reste toujours à reconstruire.
Ce potentiel a reçu toutes ses espérances en 1999. Lauréat du programme Villa Médicis "Hors les murs", Tanger réside deux mois dans la ville dont il porte le nom. Précisément au palais de Menehbi, l’un de ces lieux de rêve baigné de cette lumière spéciale que Matisse a si bien capturée. C’est là en compagnie des musiciens de Dar Gnawa, emmenés par Abdellah Boulkhair-El Gourd que se sont tissés des liens inédits entre le Maroc, l’Angleterre, la France et les Etats-Unis.
Au groupe régulier (Philippe Pigeard, Christophe Van Huffel et Didier Perrin) sont venues s’ajouter des personnalités de premier plan, des saveurs, des épices tel Billy Ficca, batteur du groupe Television de Tom Verlaine, Gary Lucas, guitariste, producteur et compositeur qui a notamment travaillé avec Captain Beefheart, Jeff Buckley, le saxophoniste hongrois Akosh S. ou encore David Whitaker dont les arrangements d’orchestre ont illuminé pas mal de disques mémorables depuis les années 60 (dont ceux de Serge Gainsbourg).
La voix a gagné en profondeur, en puissance subtile. Au fil de quatorze morceaux, Tanger déroule son talent et affûte ses cannes de plaisir. Une ouverture pose les bases de cette redécouverte : orchestre et derbouka, tambourin, ta’bel et conga.. Le défi est lancé pour partir. Le vent se lève au nord, Le Détroit ouvre ses voies. Les trois morceaux suivants d’un classicisme surprenant mais toujours novateurs dans leur approche des sons-mots passent l’hésitation et la valse amoureuse (Le Détroit, Oui peut-être, Danse) au tamis écorché de cette distance maladroite. Un Petit Socco avec l’ensemble marocain Dar Gnawa apaise le feu pour une ballade solitaire au cœur de Paris (Paris, 1999). La reprise de So long, Marianne (de Leonard Cohen) même si elle ne convainc pas totalement, affirme les filiations pour mieux repartir sur les routes dorées. Le désir féminin brûle pourpoint (A toi la seule), la rencontre tant désirée (Merry-go-around), l’échappée belle, Elle est là (Eva) si proche derrière la fenêtre de Matisse. D’ailleurs alors que la part féminine semblait toujours fuir dans La Mémoire Insoluble, Le Détroit garde cette lumière en lui. Cette certitude, cette volonté de penser, de pouvoir croire Aux lumières de six heures : "Sans ces ailes de verre / qui me portaient scintillant / vers la conscience d’un autre monde / que vais-je avoir de léger / d’aérien? / rien / rien".
Emmanuel Dumesnil
17-18-19 mai en concert au Lavoir Moderne Parisien, Paris, France