Sakifo 2006
Organisée du 4 au 6 août à La Réunion dans la ville de Saint-Leu, au bord du lagon, la troisième édition du festival Sakifo a attiré à nouveau plus de 25000 spectateurs grâce à une programmation internationale qui fait la part belle aux artistes de l’océan Indien. Un succès qui fait du bien à l’image de l’île.
Une vitrine pour les musiques de l’océan Indien
Organisée du 4 au 6 août à La Réunion dans la ville de Saint-Leu, au bord du lagon, la troisième édition du festival Sakifo a attiré à nouveau plus de 25000 spectateurs grâce à une programmation internationale qui fait la part belle aux artistes de l’océan Indien. Un succès qui fait du bien à l’image de l’île.
Il a disparu de l’île mais pas des conversations. "Le moustique", comme disent les Réunionnais pour parler de l’épidémie de chikungunya, a marqué les esprits. Les dégâts économiques sont considérables et le secteur culturel n’a pas été épargné. Durant le premier semestre, les artistes invités à se produire dans ce département français d’outre-mer ont été nombreux à annuler leur prestation. Le public local n’a pas toujours compris ces décisions, et s’est parfois senti abandonné.
Avec la troisième édition du Sakifo, il a certainement enfin retrouvé le moral. Plus de vingt formations et chanteurs ont pris l’avion pour participer à ce festival qui impressionne une nouvelle fois par sa taille – quarante concerts sur cinq scènes – et par la qualité, et la diversité, de sa programmation : Cheikh Lô et Konono n°1 pour l’Afrique, l’Indienne Susheela Raman, le vieux sorcier jamaïcain Lee Perry… A 10000 kilomètres de Paris, Juliette, Cali, Anis ou le duo extraterrestre Bumcello n’ont eu aucune difficulté à remplir les salles. Si la présence de vedettes internationales et métropolitaines répond à une demande et contribue à donner au Sakifo une plus grande visibilité, les organisateurs tiennent tout autant à conférer à l’événement une dimension régionale afin servir de vitrine aux artistes de cette partie du monde.
OSB, la sensation mauricienne
Venus de Maurice, l’île sœur distante d’à peine 300 kilomètres, les Otentikk Street Brothers n’avaient jamais joué en live à La Réunion. Pourtant, depuis dix ans, ils ont transformé le paysage musical mauricien, leaders incontestables d’une scène reggae qui a pris le pas sur le séga. Membres d’un collectif qui compte déjà quatre albums, ils mènent aussi des carrières solos, animent des émissions de radio et de télévision, produisent des compilations de jeunes artistes, organisent des sound systems, des concerts et font venir les stars internationales du reggae…
Devant plus de 3000 spectateurs réunis dans le cadre unique de la ravine de Saint-Leu, un étroit couloir naturel creusé dans la montagne, les quatre toasters ont dévoilé la recette de leur succès artistique. Les voix se combinent parfaitement sur des compositions à la fois urbaines et roots jouées en concert par les musiciens vétérans de Natir, leur chorégraphie rappelle qu’ils ont commencé dans la rue, par la danse, influencés par le hip hop. Représentants de "l’île Maurice des ghettos, pas celle de la plage", ils reprennent les grandes lignes du message social véhiculé par Bob Marley, graves sur le fond mais positifs sur la forme.
Le concert de la guérison
La bonne humeur était aussi au rendez-vous le lendemain lors de la prestation d’Eusèbe Jaojoby, avec en supplément une émotion particulière. Pour le chanteur malgache, il s’agissait en effet du "concert de la guérison" puisqu’il donnait sa première performance depuis le grave accident de voiture dont il a été victime au début du mois de juin et qui a l’a obligé à subir une lourde opération. "J’ai pu chanter sans la béquille ! Gloire à Dieu et aux hommes", s’est-il exclamé après un premier morceau de circonstance, Sitraka Zanahary ("Merci à Dieu"), remerciant au passage les Réunionnais pour le soutien qu’ils lui ont manifesté lors d’un concert de solidarité organisé quelques semaines plus tôt. L’absence d’une de ses filles, choriste et danseuse, remplacé par son fils Anderson offrait un visage inhabituel à la formation, toujours aussi efficace. De plus, le roi du salegy avait également profité de son passage à Saint-Leu pour appeler à ses côtés Pinpin, saxophoniste de renom, revenu vivre sur son île après avoir longtemps accompagné le groupe FFF.
Le maloya malgache de Lindigo
Pieds nus, un lamba autour de la taille pour seul vêtement et un petit chapeau de l’ethnie bara sur la tête pour les hommes, une robe carmin et une pièce de tissu blanc à la ceinture pour la seule femme du groupe : lorsque la troupe de Lindigo entre sur la scène installée sous les cocotiers dans le Parc du 20 décembre, on imagine immédiatement qu’elle vient de Madagascar. Le doute commence pourtant à s’installer après quelques instants. Si le chant polyphonique est en malgache, les musiciens utilisent les instruments traditionnels du maloya : pikèr, roulèr et kayamb.
Cette dualité originale est à l’image d’Olivier Araste, leader de la formation qui entend faire une musique la plus proche possible de ses racines : né à La Réunion dans une famille originaire de la Grande Île, il en a appris la langue et fréquenté les services malgaches, qu’il décrit comme des "cérémonies rituelles pour les ancêtres". Si Lindigo a actuellement le vent en poupe sur le plan local et n’a plus un week-end de libre, c’est aussi parce qu’il s’agit d’un véritable spectacle. Le groupe fait preuve d’une telle maturité qu’on a peine à croire que ses membres soient si jeunes.
Leur second album Zanatany doit bientôt sortir et déjà ils sont à l’affiche de la prochaine édition du festival Africolor qui se tient en région parisienne à la fin de l’année. De plus en plus nombreux sont ceux qui les situent dans la lignée de Granmoun Lélé. Depuis la disparition de cette figure emblématique du maloya conçu pour enchanter les yeux et les oreilles, la place était vacante. La nature n’aime pas le vide, la relève est là.