COMMENT EXPORTER LE SON FRANÇAIS ?

Tandis qu’on s’apprête à célébrer à Cannes le dixième anniversaire de la création du Bureau Export de la Musique française, Julie Street est allée observer le fonctionnement de celui de Londres, et s’est mise en contact avec le dernier né des Bureaux qui ouvre ses portes en Australie ce mois-ci.

La Musique française à la conquête du Royaume-Uni et de l’Australie!

Tandis qu’on s’apprête à célébrer à Cannes le dixième anniversaire de la création du Bureau Export de la Musique française, Julie Street est allée observer le fonctionnement de celui de Londres, et s’est mise en contact avec le dernier né des Bureaux qui ouvre ses portes en Australie ce mois-ci.

La musique française n’a pas toujours su charmer les oreilles de nos voisins anglo-saxons. En effet, ces dernières années, sa réputation de l’autre côté de la Manche s’est ternie, quand elle n’a pas fait les frais des sarcasmes délibérés de la presse britannique. Comme le remarquait avec ironie un journaliste de l’hebdomadaire dominical, The ObserverLa pop française a toujours été nulle. C’est Dieu qui l’a voulu ainsi: les Français savent faire la cuisine et ne se lavent pas, ils ont des ‘crises de foie’, et produisent une Pop si résolument abominable qu’ils n’ont jamais réussi à vendre un seul disque à l’étranger sans subventions…»

Le problème, c’est que le mécontentement du critique de l’Observer est bel et bien justifié. Pendant les années soixante-dix et quatre-vingt, les mélomanes britanniques ont subi les pires exportations françaises: les albums de Sacha Distel, l’atroce Popcorn électro de Jean-Michel Jarre, et le Ça plane pour moi de Plastic Bertrand (Oui, je sais, il était belge! Mais vous ne pouvez pas en vouloir aux Anglais d’avoir cru entendre que c’était du français!). En matière de subsides, nous les Britanniques, si fiers de notre industrie musicale contestataire et de nos chanteurs militant à gauche (du moins du temps de Margaret Thatcher), nous n’arrivons pas à admettre que les ministres et chefs de cabinet français mettent la main à la poche dès qu’il s’agit de promouvoir la musique française à l’étranger ou de financer des tournées internationales. Même les Américains ont senti l’embrouille, quand Jack Lang a nommé Bruno Lion ambassadeur itinérant de la musique française dans le monde. La nouvelle de cette nomination avait fait la une de la section artistique de l’International Herald Tribune, dans laquelle les journalistes se repaissaient de ce que l’amour des Français pour la bureaucratie avait atteint des proportions incoercibles, jusqu’à produire un ‘Ministre du Rock’n’Roll’!

Et cependant, en 1993, l’idée d’ouvrir un Bureau Export de la Musique française à Paris a prouvé que les excès bureaucratiques dont les Français sont capables pouvaient avoir du bon. Ces dix dernières années, le Bureau Export Musique a véritablement aidé des tas d’artistes français à faire leurs débuts sur la scène musicale internationale—et a ouvert les oreilles des Anglo-saxons à la diversité musicale produite sur l’Hexagone à l’heure actuelle. Oui, Dieu merci! Le rock français ne se résume pas seulement à Johnny Hallyday! A la suite du succès du bureau parisien, dix Bureaux Export ont été ouverts de par le monde, l’un des plus dynamiques d’entre eux se révélant être celui de Londres. Situé dans les locaux de l’Institut Français, juste en face du Musée d’Histoire naturelle, le ‘Bureau’, qui a ouvert ses portes en 1999, est aujourd’hui encore dirigé principalement par une personne débordant littéralement d’énergie, Marie-Agnès Beau.

Marie-Agnès, qui s’occupait des ventes à l’international chez Polydor avant de rejoindre le Bureau Export parisien en 1993, explique les circonstances de son affectation outre-manche. «Au milieu des années quatre-vingt-dix, la musique française a joui d’un regain d’intérêt énorme au Royaume-Uni grâce à la Dance et au DJs, affirme-t-elle. Des artistes novateurs comme DJ Cam, Kid Loco, Dimitri from Paris, et bien sûr Laurent Garnier ont inauguré ce que les journalistes britanniques ont surnommé la ‘French Touch’, et ont ouvert la voie aux groupes suivants comme Air et Daft Punk. J’étais à Paris quand l’électro française a envahi le Royaume-Uni et nous étions littéralement inondés de requêtes provenant des médias britanniques désireux d’écrire sur les albums et d’interviewer les artistes en question. J’ai bien senti qu’il se passait quelque chose d’important, mais les Français ne voulaient pas me croire. L’ironie du sort, c’est que la ‘French Touch’ a dû faire le tour du monde avant de revenir au bercail et enfin de connaître le succès en France!»

Le Bureau Export de Paris a également été très sollicité par les Ambassades de France à l’étranger qui voulaient savoir comment inviter les DJs français à jouer devant le public de leur pays de résidence. «Et c’est ainsi, proclame Marie-Agnès, que nous avons été amenés à travailler dans tant de pays différents!» Débordante d’une vitalité et d’un enthousiasme contagieux pour sa mission, la très loquace Marie-Agnès Beau a lentement réussi à faire voler en éclats les clichés, et à transmettre sa passion pour la musique française aux médias britanniques. Il semblerait même qu’elle arrive à rallier cœurs et esprits! Un de ses coups de maîtres, dès son arrivée à Londres, est d’avoir eu l’ingéniosité d’organiser des ateliers Rap dans les écoles des quartiers difficiles. Elle a invité Saïan Supa Crew, un groupe de la banlieue parisienne, et les rappeurs sénégalais Djoloff à se produire dans des écoles de Manchester, Leeds, Bristol et Liverpool, et aujourd’hui, il est même question d’étendre ces ateliers Rap aux universités.

En fait, l’idée est d’encourager les ados à ne plus sécher les cours de français, explique Marie-Agnès. Les professeurs leur font préparer une interview du groupe et ils inventent leur propre rap avec leurs propres paroles. Une fois cela en place, Saïan, rend visite à l’école et anime un atelier durant lequel les techniques du Rap sont expliquées en profondeur, le langage corporel analysé, etc. J’y ai participé à plusieurs occasions, et c’est incroyable, comment, en une demi-heure, ils arrivent à faire rapper des gamins en français! Des professeurs de partout nous supplient à présent de faire venir le groupe dans leur école. Et en même temps, nous avons réussi à tourner l’attention des médias sur Saïan. Pas moins de quatre ou cinq équipes de télévision sont venues couvrir le dernier atelier, ce qui a vraiment boosté l’image de Saïan Supa Crew au Royaume-Uni!»

Marie-Agnès admet que certains des groupes français arriveraient probablement à infiltrer le Royaume-Uni sans l’aide du Bureau, et elle comprend bien le scepticisme des Britanniques à l’égard des subventions. «Je me suis bien rendue compte à certaines occasions qu’ils se demandaient ce que cette folle de l’Ambassade allait bien pouvoir faire ?» Cependant, Marie-Agnès reste convaincue que son rôle, réconcilier les professionnels de l’industrie du disque français et leurs homologues britanniques, est crucial. «Ma tâche est d’être à la disposition des promoteurs de disques français afin de les aider à comprendre les différences radicales entre ces deux marchés et ces deux cultures. Il y a peu de concerts ici, contrairement à la France, explique-t-elle,il faut donc réussir à ce que les albums soient écoutés dans les boîtes de nuit. L’orgueil gaulois peut parfois aussi poser problème—certains producteurs se contenteraient bien de rester le derrière sur leurs fauteuils en attendant que le monde entier frappe à leur porte! Mais il y a encore beaucoup de pain sur la planche. Il nous faut essayer de changer les mentalités, pour commencer. Pour la plupart des Britanniques, la musique française fait toujours partie de ce qu’ils appellent la ‘world music’. Si l’on veut acheter un album de chanson française, il faut chercher dans la section ‘world music’ du magasin. Et à la lettre «A» par exemple, on trouve Charles Aznavour aussi bien qu’Adamo ou que le groupe de Rap hardcore Assassin

Depuis quatre ans, Marie-Agnès a mis en place à Londres un centre de documentation pour les professionnels de la musique français et britanniques. De plus, elle invite les critiques musicaux britanniques aux festivals français, et prêche très régulièrement la bonne parole dans son bulletin de presse ‘French Music News in the UK’. A son avis, les premiers signes de succès sont là qui laissent penser que la musique française est enfin en train de se débarrasser de sa mauvaise réputation. «La musique française est décidément beaucoup plus branchée aujourd’hui, affirme-t-elle! On commence à revenir à la situation de la fin des années soixante, quand Gainsbourg était très populaire au Royaume-Uni et que tout le monde ici trouvait la musique française sophistiquée, créative et un peu folle! Soyons francs, la production musicale française des années soixante-dix quatre-vingt n’était vraiment pas terrible, mais celle d’aujourd’hui est d’une diversité fantastique!» Marie-Agnès confirme cette diversité en citant cinq artistes qui, selon elle, devraient conquérir le marché britannique prochainement: Gotan Project, Ruben Steiner, Yann Tiersen, Bumcello et Saïan Supa Crew.

Mais la musique française ne se contente pas de traverser la Manche! Si l’on en juge par la création au début de ce mois d’un Bureau Export au sein du Consulat de France à Sydney, les Français semblent également avoir jeté leur dévolu sur les Antipodes. Juliette Bouquerel qui a quitté la France il y a quatre ans pour vivre à Sydney, en Australie, où elle a ouvert son propre label musical (qui reçoit des subsides de l’AFAA, l’Association Française d’Action Artistique) en avril 2001, s’est imposée comme la personne idéale pour diriger le Bureau Export australien. Cette dynamique jeune femme de 27 ans dont le label musical a grandement contribué à distribuer la musique française et à faire venir des artistes de l’Hexagone pour jouer devant le public australien, a déjà organisé les tournées de Rachid Taha, Jacques Higelin et Paris Combo en collaboration avec l’Alliance Française locale.

«Nous avons ouvert le Bureau Export Musique à Sydney, déclare-t-elle, en raison d’une requête toujours plus insistante de la part des professionnels français comme des australiens. Les attributions du Bureau s’étendent aussi à la Nouvelle Zélande, qui est un pays plus petit, mais très dynamique, où le public est très mélomane et très ouvert aux sonorités nouvelles.»

Selon Juliette, la musique française est déjà très populaire en Australie mais il reste encore beaucoup à faire en termes de soutien promotionnel et d’organisation de tournées. Il s’agit également d’aider les artistes à décrocher des contrats de distribution. «C’est vraiment problématique de faire venir des CDs français jusqu’ici, dit-elle. Le public australien est très réceptif à cette musique, mais c’est évidemment difficile pour les artistes français d’organiser une tournée ici. Avec le budget nécessaire pour ’un voyage en Australie, on peut faire le tour de l’Europe. Ensuite, il y a le problème supplémentaire lié à la taille du pays qui est quatorze fois plus grand que la France et dont les villes principales sont situées à des milliers de kilomètres les unes des autres. Cela demande beaucoup de travail d’amener les groupes ici et il faut beaucoup investir (en temps, en énergie, en argent) afin de développer le profil d’un artiste. Les groupes doivent revenir régulièrement si l’on veut entretenir l’intérêt du public!»

Et il n’y a pas de doute, les Australiens s’intéressent au son français en ce moment. Juliette Bouquerel nous rappelle le succès récent de la tournée du groupe de rock Les Hurlements d’Leo, lors de laquelle le groupe a réussi à remplir des salles dans des villes où peu d’artistes français avaient joué auparavant (comme à Byron Bay sur la côte Est). «Le public a tout simplement été électrifié par la musique, l’énergie et le comportement du groupe,» affirme-t-elle. Paris Combo (dont l’un des musiciens est australien) a également remporté un énorme succès auprès des fans australiens. Ils ont joué presque toute leur dernière tournée à guichets fermés. Le mélange de rock électro et de sonorités arabes de Rachid Taha a aussi séduit le public australien, à tel point que l’ancien leader de Carte de Séjour devrait renouveler sa tournée en Australie et en Nouvelle Zélande en mars (et faire acte de présence au Festival Womad d’Adélaide).

Java, que Juliette décrit comme un «mélange de sexe, d’alcool et d’accordéon,» a aussi rencontré beaucoup d’intérêt de la part de la plus grande radio nationale australienne, Triple J, qui a diffusé ses titres pendant de longs mois. Des groupes précurseurs en matière d’électro comme St Germain, Daft Punk, Cassius, Llorca et Dimitri from Paris, se sont vendus comme des petits pains dans les disqueries australiennes. Et comme le hip hop est en pleine expansion en Australie et en Nouvelle Zélande, Juliette compte également faire venir des groupes de rap français comme Saïan Supa Crew. «Nous voulons montrer toutes les facettes de la scène musicale de l’hexagone,» déclare-t-elle. Avec Juliette s’affairant à Sydney et Marie-Agnès montant la garde à Londres, les maisons de disques françaises peuvent enfin être tranquilles: le son français débarque de l’autre côté de la Manche et du Pacifique!