Chroniques reggae/ragga
Le reggae et le ragga sont en France des genres qui même s'ils ne squattent pas les trois premières places des hit-parades, obtiennent un certain succès. Avant la sortie d'ici quelques jours du nouveau Tryo, RFI Musique vous propose les chroniques des disques de Kana, Daddy Mory (ex-Raggasonic) et du groupe Jim Murple Memorial.
Kana, Daddy Mory et Jim Murple Memorial
Le reggae et le ragga sont en France des genres qui même s'ils ne squattent pas les trois premières places des hit-parades, obtiennent un certain succès. Avant la sortie d'ici quelques jours du nouveau Tryo, RFI Musique vous propose les chroniques des disques de Kana, Daddy Mory (ex-Raggasonic) et du groupe Jim Murple Memorial.
Kana Entre frères... (Pama/BMG)
En 2002, Kana et Magic System ont connu des destins similaires en trouvant ce même chemin tortueux et irrationnel qui mène au succès avec des chansons sorties plusieurs années auparavant sans que personne n’y prête alors attention.
Si l’histoire de la résurrection de 1er Gaou, le tube des rois ivoiriens du zouglou, est bien connue, celle de Plantation l’est moins alors qu’elle comporte autant d’improbables rebondissements. Le morceau n’existait même pas quand deux des membres du groupe de reggae français Kana sont partis mixer leur premier album au Sénégal dans les studios de Youssou N’Dour il y a presque quatre ans. Sa naissance n’est due qu’à une journée d’inactivité que les deux musiciens ont mise à profit pour composer à la guitare une mélodie toute simple et l’enrober d’un texte au style enfantin et humoristique sur un sujet qui n’a pourtant rien de consensuel: la culture du cannabis!
Le première version, acoustique, est aussitôt ajoutée sur le disque et, quelques semaines plus tard, la formation au complet en enregistre une seconde à Paris, qui ne sort qu’en single. Kana est sur la scène de Bercy en juin 2000 pour ouvrir le festival reggae qui se tient là chaque année devant 16.000 personnes, mais leur répertoire ne retient pas l’attention. Suivent deux années au cours desquelles le groupe existe par les concerts, modifie ses effectifs et recrute un nouveau batteur, puis un nouveau bassiste qui avait joué aux côtés du chanteur Kali, au sein de 6ème Continent. L’équipe envisage un second album et cherche une nouvelle maison de disques pour distribuer ses produits. BMG, avec qui ils font alors affaire, décide de relancer Plantation fin 2002.
La tentative s’avère fructueuse car les radios jouent le jeu et le public suit: la chanson se vend à 350.000 exemplaires! Les membres du groupe vivent le succès à distance: ils sont à ce moment-là à Dakar, de nouveau au studio Xippi de Youssou N’Dour où leur ingénieur du son a ses habitudes. Sur les télés africaines, ils découvrent le clip qu’ils ont tourné juste avant leur départ. Pour le seconde fois, ils enregistrent hors de France. Trois ans plus tôt, c’est à l’île Maurice qu’ils avaient déballé leurs instruments. De ce voyage dans l’océan Indien, il leur reste des souvenirs qui ont inspiré Zip, le parolier et leader de Kana, pour écrire Pirogue.
Fidèle au reggae "roots", Entre frères... contient des morceaux dans la lignée de Plantation, que l’on retrouve dans une version plus tonique, rappelant parfois le style de Mister Gang ou celui plus latin de Manu Chao et Sergent Garcia lorsqu’ils sont chantés en espagnol. Moins incisifs et moins ciselés que ceux de Tryo, les textes reflètent le même état d’esprit bon enfant, quitte à céder à la facilité comme dans Pas de problèmes à l’optimisme béat. Sans complexe, Zip ne cherche pas à compliquer les choses, qu’il s’agisse de raconter les soirées passées en compagnie de son frère sur les plages méditerranéennes à jouer du djembé dans Entre frères, ou de revenir dans L’Escargot sur son départ de Perpignan pour rejoindre à Paris ses copains avec lesquels il faisait de la musique sept ans plus tôt. Des histoires ordinaires dans lesquelles chacun peut se reconnaître.
Daddy Mory Ma Voix Résonne (Subdivision/BMG)
"Aigri", c’est l’adjectif qu’emploie le plus souvent Daddy Mory pour décrire son état d’esprit après la disparition de son groupe Raggasonic en 1999. Incarcéré quatre mois aux Antilles pour détention de marijuana cette année-là, il apprend à sa sortie de prison que Big Red, son acolyte au sein du duo ragga français, est en train de préparer son premier disque solo. La belle aventure, marquée par le succès de deux albums vendus chacun à plus de 200.000 exemplaires, prend subitement fin. Pendant que l’un fanfaronne en affirmant que Raggasonic est mort et qu’il en est le seul survivant, l’autre tente de se reconstruire un moral. Et une image. Plus personne ne croit en lui. Le deejay talentueux passe tout à coup pour un drogué, un délinquant. Son entourage se vide, sa maison de disques - un label de Virgin- ne fait aucune difficulté pour lui rendre son contrat quand il vient le demander. Ne reste que la famille. C’est elle qui l’empêche de sombrer dans le gouffre de l’autodestruction vers lequel son tempérament de scorpion l’entraînait, qui le pousse à fréquenter de nouveau l’univers des sound systems où il a fait ses débuts et où ses performances au micro restent très appréciées.
Tout en multipliant les participations à des compilations de reggae français, Mory se jette enfin à l’eau en solo en 2001 avec Kisdés 2, un CD 4 titres fait à la hâte pour accompagner sa tournée avec Nuttea et Lord Kossity. Tout semble prêt pour son grand retour, que sa nouvelle maison de disques annonce imminent. Et puis, rien. Jusqu’au printemps 2003. Le retard serait-il dû à ce manque de professionnalisme qu’on a reproché à l’artiste martinico-malien? L’intéressé donne une toute autre explication: "L’album est prêt depuis presque deux ans, mais BMG (sa maison de disques, ndlr) préférait attendre le feu vert de la radio Skyrock (spécialisée en rap/ragga, ndlr). Personnellement, je trouve ça idiot. Il y a plein d’artistes qui sont diffusés mais qui ne vendent pas de disques, ça ne veut rien dire." D’autant plus que le premier single Ambiance, en duo avec le rappeur Busta Flex et réalisé par le fils de Pierre Bachelet, reflète assez mal le contenu global de Ma Voix Résonne. "Dans cet album, j’ai voulu représenter le reggae sous toutes ses formes, du ska au dub en passant par le boggle, et faire aussi la musique que j’aime: le ragga hip hop. C’est ma couleur", résume Mory qui reconnaît ne pas avoir eu envie de s’écarter du chemin musical tracé par Raggasonic. Il en a juste profité, au passage, pour l’élargir car parler des rastas ou faire un morceau de soca n’était pas envisageable du temps de sa collaboration avec Big Red. Bien qu’il dise avoir laissé de côté les textes qu’il juge "trop hardcore" écrits pendant son incarcération pour conserver ceux qui sont moins personnels, celui de De quoi sera fait demain? donne une idée des tourments qui agitent cet artiste pas encore trentenaire. Avec sa forme acoustique, ce morceau - qui est celui dont il est le plus fier - laisse entrevoir d’autres aspects du potentiel créatif de Daddy Mory, qu’il exploitera à coup sûr quand il aura, définitivement, tourné la page.
Jim Murple Memorial Let’s Spend Some Love (Pias)
Jim Murple Memorial serait en droit d’espérer le prix de l’album le plus vieux de l’année, si cette récompense existait. Let’s Spend Some Love semble tout droit sorti des années 50-60, au point que l’on se met à douter qu’il ait été réellement enregistré à la fin de l’année passée. Au côté rétro du répertoire que ses auteurs qualifient de " rhythm & blues jamaïcain ", s’ajoute le charme d’un son à l’ancienne. Pour conserver la sonorité authentique de leur musique, les musiciens de ce groupe basé en région parisienne ont préféré utiliser des techniques d’enregistrement rudimentaires, avec un matériel qui l’est tout autant, plutôt que de faire appel à la technologie numérique des studios modernes : " A partir du moment où tu commences à découper la musique en séquences, puis à les recoller comme un puzzle, c’est forcément au détriment des résonances. Or, il se trouve que l’on joue avec des instruments qui ont une utilisation acoustique : une contrebasse, une batterie réglée de manière très lisible, une guitare acoustique... ", explique Romain, guitariste, pour qui " les harmonies et les résonances ont une logique. C’est ce qui donne la chaleur. "
Après tout, c’est également avec un studio quatre pistes qu’à Kingston, dans les années 60, Coxsone Dodd a enregistré des milliers de 45 tours qui servent aujourd’hui encore de fonds de référence au reggae. Les membres de Jim Murple Memorial le savent bien, car tous ont en commun l’amour de la musique jamaïcaine, avec un fort penchant pour cette époque " d’une richesse incroyable ", bien avant que Bob Marley ne soit une star, lorsque ses compatriotes et lui adaptaient à leur façon les chansons diffusées par les radios américaines. Depuis sept ans, ils se sont réunis pour s’employer à faire revivre ce mélange de rhythm & blues, de rock, de jazz, avec toujours un zeste de ska ou de reggae. Un premier disque composé exclusivement de reprises leur a permis de se faire la main avant de s’approprier ce style avec leur propres compositions et des textes qui s’ouvrent désormais au français, même s’ils continuent à revisiter avec parcimonie quelques anciens morceaux.
De Just Squeeze Me, composé par Duke Ellington dans les années 40 et rejoué en reggae, à Et bailler et dormir que Charles Aznavour avait écrit il y a un demi-siècle et confié au chanteur Eddie Constantine, en passant par un thème du pianiste français Raymond Fol qu’Art Blakey jouait sur la bande originale du film Les Liaisons dangereuses dans sa version de 1959 réalisée par Roger Vadim, les trois reprises présentes sur leur quatrième album Let’s Spend Some Love suffiraient presque à délimiter le terrain de jeu dans lequel évolue Jim Murple Memorial. Mais ces banlieusards qui trouvent " ridicule " de mettre leur photo sur la pochette possèdent un autre atout irrésistible : entendre la voix - elle aussi anachronique - de Nanou, la seule femme du groupe, c’est retrouver immédiatement l’atmosphère insouciante des clubs de jazz où l’on venait danser, s’amuser. Une délicieuse légèreté.