Lokua Kanza

Paris, le 1er février 2002 - Pour son quatrième album, le flamboyant Toyebi Té, le baladin congolais aux harmonies dorées met en scène les retrouvailles du jazz et du blues dans un village d’Afrique. Allégorie où les voix des enfants se mêlent aux percussions et aux chants des grillons.

La fête au village virtuel

Paris, le 1er février 2002 - Pour son quatrième album, le flamboyant Toyebi Té, le baladin congolais aux harmonies dorées met en scène les retrouvailles du jazz et du blues dans un village d’Afrique. Allégorie où les voix des enfants se mêlent aux percussions et aux chants des grillons.

Lingala, wolof, swahili, français, anglais, les textes des chansons de Lokua Kanza sont plus multilingues qu’une conférence internationale. Mais au-delà des langues, ce qui fascine l’auteur-compositeur rodé par vingt années d’exercice discographique, c’est véritablement la voix. Ou plutôt LES voix, dont la tranquille polyphonie occupe tout l’espace de ces seize joyaux délicatement ouvragés en Ile-de-France pour défier l’espace et le temps.
A quelques jours des premières dates de sa tournée canadienne et en attendant sa venue en France courant mars, Lokua Kanza nous livre les clefs de son nouvel album Toyebi Té.

RFI: D’abord que signifie le titre de ton album Toyebi Té
L.K : Toyebi Té veut dire "personne ne sais où l’on va" .Tout le monde cherche à être quelqu’un, tout le monde cherche à aller quelque part et nul ne sait vraiment où l’on part. C’est un peu l’état dans lequel j’étais en attaquant cet album.

RFI: Ou est né Toyebi Té ?
L.K : Chez moi, à la maison dans un tout petit studio à Buc, mon village près de Versailles. Un soir je m’amusais avec le sampler et des voix mélangées créaient un fond d’ambiance. Des gens criaient comme dans une métropole moderne et là, j’ai composé la mélodie. Puis j’ai mis des synthés derrière, qui ont été ensuite remplacés par de vraies cordes enregistrées à Sofia, en Bulgarie.

RFI : Tes quatre enfants vocalisent sur cet album. Dès le début tu avais prévu de chanter en famille ?
L.K : Non. Simplement, pour cette composition avec mes enfants Le bonheur , je voulais prendre des mômes d’un peu partout. Mais cela posait de nombreux problèmes administratifs pour obtenir les autorisations des parents ; j’ai donc pris mes propres enfants, ma grande fille de 22 ans, mon dernier qui en a 10 et les deux autres, et cela fonctionnait très bien avec eux. C’est aussi hyper émouvant pour moi.

RFI : C’est très efficace. C’est le premier single, non ?
L.K : Oui.

RFI : C’est du lingala ?
L.K : Absolument, c’est la langue du Congo.

RFI : Tu aimes bien ce mélange des langues, non ?
L.K : J’adore les langues, en plus du français, de l’anglais et du lingala, on trouve aussi dans cet album du wolof, du bambara et du rwandais. A part le swahili et le lingala, je ne les maîtrise pas toutes. Pour ces autres langues, des copains me filent un coup de main pour une phrase donnée. C’est mon côté universel. Pour moi la langue est un pont entre les humains, c’est un moyen de communication essentiel. Moi, j’ai vu la réaction de mes mômes, c’était la première fois que je chantais en français et pour eux, cela n’était pas la même chose. Soudain ils se sentaient concernés .

RFI: Le côté vocal, harmonique est très développé dans cet album particulièrement sur Tika Ngaï , la première chanson au style jazz façon Double Six.
L.K : C’est vrai, je voulais quelque chose qui soit très africain dans son fond et, en même temps, dans son apparence , quelque chose de très jazzy .

RFI: C’est nouveau ce côté jazz dans ta musique ?
L.K : Disons qu'auparavant, on trouvait ça dans les accords à la guitare, mais pas au chant. Les voix restaient toujours très simples, je ne voulais pas trop froisser les gens dès le départ. Pour moi la musique que l’on destine aux autres, c’est un peu comme une relation avec une femme, on essaie d’aller doucement et de s’ouvrir un peu plus chaque jour. Il y a quelque part, une démarche vers la maturité.

RFI: L’autre titre très puissant au niveau des harmonies,c’est l’irrésistible Goodbye qui évoque un peu le fameux Don’t Worry Be Happy de Bobby Mc Ferrin renouant ainsi avec une certaine insouciance, une certaine liberté vocale.
L.K : En deux, trois mots, tu as réussi à résumer tout ce que je voulais faire passer. J’ai composé Goodbye en pensant à mes enfants, à la grande qui a l’âge de partir, qui va bientôt quitter la maison. Et en même temps, je me mettais à leur place en songeant à toutes les conneries qu’on a pu faire nous à nos parents.
Dans la chanson, je voulais une voix innocente, pas une super pro. Alors c’est ma fille qui fait les chœurs. Elle est chanteuse, mais avec la voix de son âge, avec ce côté insouciant. A la fin je me disais : " j’aime bien cette chanson, mais je me demande si elle n’est ce pas un peu trop simple ? ".

RFI: Tu l’entends UNE fois et c’est comme si tu l’avais écoutéee toute ta vie !
L.K : Avec ce disque là j’ai appris beaucoup . Des choses que je pouvais trouver naïves se révélaient en fin de compte les plus efficaces émotionnellement car les gens ont besoin de choses simples, sincères, vraies . Mais tout l’album s’est fait aussi de cette manière. Toutes les voix de ces chansons ont été faites en une seule prise, comme dans les années 20 ! C’est pour cela que tout passe de manière aussi spontanée.

RFI: On retrouve néanmoins un invité, le hip hopeur Passi via la connexion de Bisso Na Bisso. Il t’avait invité sur la chanson Liberté sur son album…
L.K : C’est un super et audacieux projet de la part de Passi de réunir tous ces artistes du Congo avec le Bisso. Pour Toyebi Té il m’a dit : "Ecoute, grand frère, je voudrais bien qu’on fasse quelque chose. " Alors je l’ai placé dans un environnement au milieu de percus pour qu’il soit comme le griot, le « fou » du village qui dit les choses vraies sans avoir peur des autres. Et c’était génial, Passi a été super humble sur ce travail. Il est venu à la maison, dans notre tout petit studio…Chapeau !


RFI: Il y a aussi un coté intimiste et festif, un côté « village » sur cet album avec ses bruitages, ses grillons, ses rires …Un coté "vie", en fait.

L.K : Le côté « village » était, à mon sens, primordial . Avec mon troisième album, je voulais vraiment montrer que mon but n’était pas de faire de la musique américaine. Je voulais simplement faire une musique africaine qui soit aussi contemporaine. Mais ma démarche n’a pas été bien comprise. Aussi, cette fois j’ai décidé de revendiquer mes racines, de dire d'où je venais et j’ai envie de le partager avec les autres, ce qui explique ce coté « village » omniprésent tout au long des chansons.

Propos recueillis par Gérard Bar-David