Juliette
L’impressionnante Juliette sort son sixième album studio, Mutatis Mutandis, oeuvre foisonnante que la chanteuse française a écrite en solo, à l’exception d’un poème de Charles Baudelaire... en latin.
Mutatis Mutandis
L’impressionnante Juliette sort son sixième album studio, Mutatis Mutandis, oeuvre foisonnante que la chanteuse française a écrite en solo, à l’exception d’un poème de Charles Baudelaire... en latin.
À peine un an après sa première compilation et ses concerts sous les ors de la prestigieuse salle Gaveau, Juliette s’affiche de nouveau sur les murs de Paris pour annoncer sa prochaine aventure scénique, au Grand Rex en mai, et surtout la sortie de Mutatis Mutandis, nouvel album aux couleurs chatoyantes, aux textes savants et farceurs, aux arrangements riches et audacieux. Entre duos inattendus (avec les acteurs François Morel pour la comédie et Guillaume Depardieu pour la tragédie) et grands numéros de chanteuse-comédienne, sortilèges de l’alexandrin et musique de chambre, splendeurs orchestrales et programmations techno réalisées par l'artiste elle-même, c'est un disque singulier, dont le titre antique a suscité une des adaptations les plus curieuses de la chanson française : Franciscae meae laudes, mise en musique du seul texte en latin des Fleurs du Mal du poète Charles Baudelaire. Et, tout en travaillant à ce disque singulier, Juliette n’a pas perdu de vue ses autres devoirs : chaque samedi, elle présente une émission radio sur France Musiques. "Pendant une heure, je fais ce que je veux: je passe un morceau d'Hendrix et, juste après, un extrait de Mozart", explique-t-elle. Rencontre avec une gourmande de musiques.
RFI Musique : Voici votre premier album écrit toute seule, paroles, musiques et arrangements. Une aventure aisée ?
Juliette : Oh, je bosse ! Je me donne du mal pour écrire des chansons. Il y a des choses qui viennent toutes seules, d'autres qu'on malaxe beaucoup. Ce qui est plus difficile, ce n'est pas tant l'écriture en soi, mais avoir une idée qui tient la route... C'est pourquoi je m'inspire souvent de choses déjà écrites, comme Il s'est passé quelque chose, qui vient d'une nouvelle de Dino Buzzati. Là, le scénario est déjà écrit, c'est comme un remake. En fait, on n'invente jamais rien, toutes les histoires ont déjà été racontées depuis toujours. La question est de savoir où on va poser sa caméra, comment on va disposer les acteurs.
Vous écrivez à la main ou à l'ordinateur ?
À la machine. Et à la main aussi parce que je joue tout le temps. J'avance systématiquement tout ensemble : la musique qui me donne une idée de texte, le texte, les arrangements... Souvent, je commence les musiques avec un faux texte. La Fantaisie héroïque est en alexandrins parce qu'au début la musique était calée sur la scène de l'aveu de Phèdre. Je m'étais dit que j'allais faire du Jean Racine avec du drum'n'bass, puis j'ai préféré ne pas être feignante et écrire un texte.
Beaucoup de vos chansons évoquent le passé, comme Une lettre oubliée, qui se passe pendant la Première Guerre mondiale. Un goût pour l'histoire ?
En fait, j'avais pensé, au début, à une période historique plus proche. Peut-être les camps de concentration. Mais il fallait qu'il se soit écoulé un long laps de temps avant que la fille, dans la chanson, ne relise la lettre et se demande qui l'a écrite. Je voulais parler de la mémoire, qui fonctionne de manière très sélective : elle a peut-être oublié cet amoureux parce qu'on oublie des choses très importantes, traumatisantes. J'ai été très touchée par les lettres des poilus, ces types de vingt ans qu'on envoyait à la guerre et qui allaient mourir.
Comment s'est fait le choix de Guillaume Depardieu pour chanter avec vous en duo sur cette chanson, Une lettre oubliée ?
Comme un casting de cinéma. Au départ, ce n'était pas un duo mais quand j'ai fait écouter la maquette de la chanson, tous mes proches m'ont dit qu'on ne comprenait pas la chanson si je chantais seule la voix du passé et celle du présent. Dès qu'on m'a suggéré de faire un duo, j'ai dit que je ne voulais pas le faire avec un chanteur. Même avec ceux que j'aime et qui ont des belles voix – comme Marc Lavoine –, il y a trop de connotations variées. Donc : un acteur. Mais toutes les voix très reconnaissables au cinéma sont celles d'hommes mûrs, et il fallait une voix assez jeune. J'ai pensé à Vincent Cassel mais, avec son personnage au cinéma, il est du genre à revenir de la guerre. Et puis sa nana ne l'oublie pas, sinon il lui file deux marrons ! (rires) Quand on m'a parlé de Guillaume Depardieu, il s'est imposé comme une évidence. Je le trouve très beau, c'est un impeccable comédien, hyper sensible. Et puis, il connaît bien une certaine lignée de la chanson, il a fréquenté Barbara, a écrit un titre pour elle. De lui, j'avais la même image que tout le monde : un enfant terrible vu à la télé, de temps en temps dans la rubrique des faits divers, un type très rock'n roll. Quand il est venu en studio, il s'est passé quelque chose d'incroyable. Il était tétanisé et, à sa première prise, tout le monde dans le studio était en larmes.
Juliette Mutatis Mutandis (Polydor-Universal) 2005