Nouveautés ragga dub

Trois groupes français sortent un nouvel album dans des mouvances musicales, dub ou ragga, inspirées par la lointaine Jamaïque. Au choix Sporto Kantes, K2R Riddim ou Zenzile.

Sporto Kantes, K2 Riddim et Zenzile

Trois groupes français sortent un nouvel album dans des mouvances musicales, dub ou ragga, inspirées par la lointaine Jamaïque. Au choix Sporto Kantes, K2R Riddim ou Zenzile.

SPORTO KANTES

Loin des sirènes de la French Touch, le premier acte de Benjamin Sportes et Nicolas Kantorowicz, alias Sporto Kantes, promet un beau dénouement dramatique du côté de l'électronique hexagonale. Entre dub, reggae, soul et hip hop, leur Atc.1 est en passe d'en devenir une pièce maîtresse.
Cela fait plus de 15 ans que les deux acteurs de Sporto Kantes travaillent ensemble. Bien avant de se donner la réplique à coup d'Atari S2000 et autres machines à collages sonores, ils tâtaient de vrais instruments… à mille lieues du monde branché de la musique électronique. Nicolas Kantorovwicz tenait la basse du fameux groupe de rock alternatif Les Wampas, tandis que Benjamin Sportes faisait du rockabilly.

Nourris aux Béruriers et à la Mano Negra, ils se sont retrouvés au sein du groupe Torpedo, lui aussi dans la mouvance alternative. De ce passé punk-rock, ils ont gardé l'indépendance et l'ouverture, puis ont digéré la vague hip hop des années 90 avant de se lancer aujourd'hui dans ce que l'on pourrait appeler un dub downtempo, c'est-à-dire une musique uniquement réalisée à partir de samples sur un tempo plutôt cool. Act.1 n'est pas leur premier coup puisqu'ils avaient déjà planté le décor de cette comédie musicale avec deux maxis et apparaissent sur plusieurs compilations du label de musique électronique Catalogue.

Avec cet album, ils poursuivent ce subtil travail de collage qui leur a valu un certain succès en France et en Angleterre. Leur nomadisme musical nous mène avec finesse à l'orée du reggae, de la soul, du funk, du hip hop et même de la musique brésilienne. Les voix sont habillées. Elles se posent sur de simples boucles ou sur des constructions plus riches, qui apparaissent et disparaissent, déconstruisent et reconstruisent la musique. Des chants brésiliens, aux chœurs jamaïcains façon 50's en passant par un toast ragga récent, avec les effets les plus futuristes ou des craquements de vinyle antiques, Sporto Kantes redéfinit un groove sensuel et authentique qui réconcilie les allergiques à la tyrannie des rythmes saccadés avec l'électronique. Comme semble l'indiquer leur pochette, un peu de virginité ne fait pas de mal.

Sporto Kantes Act.1 (Catalogue/Wagram)
Sporto Kantes sera en concert le 13 juillet au Francofolies (La Rochelle)
K2R RIDDIM : reggae homemade in France

Rythmes rocksteady ou ska, message reggae roots, phrasé ragga et cuivres jazzy : depuis près de 10 ans, la recette du combo de Cergy Pontoise fonctionne, sans concession. Loin des maisons de disques qui alignent leur poulain reggae tricolore, K2R Riddim a choisi la voie de l'auto-production et l'autodérision. Appel d'R, leur troisième opus " fait maison ", souffle un vent frais sur la scène vert-jaune-rouge française.
C'est dans l'R enfumé des concR que les K2R ont fait leurs premières armes : plus de 200 dates et un solide bouche-à-oreille ont suffit à écouler 40.000 exemplR de leurs productions (un album et un live). Sans en avoir l'R, K2R s'est peu à peu hissé parmi les pointures de la scène reggae hexagonale. Si certains choisissent l'acoustique, d'autres la tendance rock ou le vieux son de Kingston, K2R flirte avec toute la palette de la musique jamaïcaine : du ska-jazz des 50's, au ragga façon Buju Banton en passant par le rocksteady des débuts de Marley et le reggae roots. Appel d'R distille tous ces styles et mêle les morceaux instrumentaux (ska, jazz et dub) et titres chantés par deux voix africaines (du Bénin et du Togo) en français, anglais, et lingala. La musique puise ostensiblement dans le patrimoine jamaïcain avec des apports originaux notamment dans les harmonies de cuivres ou dans des orchestrations de violoncelles classiques.

Auto-production oblige, cet album a été en partie enregistré dans le local d'un squat culturel qu'ils partagent avec d'autres artistes à Cergy, mais sa qualité sonore n'a rien à envier à celle des grosses productions reggae et l'interprétation est impeccable.

Preuve que leur vocation ne s'essouffle pas, les K2R insufflent toujours une dose d'optimisme et d'humour en évoquant leur quotidien : la grisaille du béton, le racisme, les contrôles de police, la télé ou la société de consommation ("le silicone déborde de mon cerveau/A trop fumer d'icône je finis comme Brigitte Bardot"). Et pas question que les deux chanteurs rastas ne se perdent en prêches : "On n'est pas là pour faire du bourrage de crâne. Tout en respectant leur choix de vie, on met en garde le public qui pourrait suivre tout ce qu'ils disent juste parce qu'ils sont chanteurs" analyse Dorothée, la seule fille du groupe.

C'est peut-être aussi cette tolérance qui a construit l'originalité de ce groupe de copains qui voulaient "pulvériser une musique qui décape" (d'où K2R, référence à une célèbre marque de détachant).

K2R Riddim Appel d'R (Aïlissam/Wagram)

ZENZILE

Le dub ne se fait plus exclusivement à Kingston ou à Londres. Il a désormais des racines à Angers où vivent les cinq musiciens de Zenzile. Nourris au punk, hip hop, reggae ou jazz selon les personnalités, ils sont parmi les précurseurs d'un dub à la française, qui se permet toutes les audaces, y compris un regard vers l'Afrique.

Elevés dans la patrie de Du Bellay, les Zenzile sont férus de poésie (leur nom fait référence à un auteur sud-africain anti-apartheid), avouent avoir vibré autant sur les Clash que sur Marley, mais se refusent à chanter. Ils ont choisi le dub et prennent le genre au pied de la lettre, c'est-à-dire pour un vaste champ d'expérimentations. Comme les Jamaïcains, ils partent d'une basse et d'une batterie massives et hypnotiques, sur laquelle apparaissent et disparaissent riff de guitares cristallins, nappes de claviers et autres illustrations de saxophone ou de flûtes. Le tout joué live mais baigné d'un ensemble d'effets sonores (reverb', echo, delay).

Pour ces cinq instrumentistes, la vibration et le message passent avant tout par la musique. "Composer avec du chant peut devenir vite restrictif, analyse Mathieu (bassiste), seule notre musique porte nos idées. Il n'y a pas besoin de dire les choses noir sur blanc, les gens sont assez grands pour comprendre". Loin des positive vibrations du reggae, le dub de Zenzile impose parfois des atmosphères angoissantes et lancinantes. Peut-être les résidus d'une jeunesse punk alternative dans laquelle se reconnaissent Zenzile, et beaucoup d'autres groupes de dub français. "Comme le rock alternatif, le dub n'a pas de barrière, pas de formule" souligne Raggy (saxophoniste).

Ce libertinage musical leur permet de rester ouverts à une infinité de rencontres artistiques : une tournée au Mali, puis en France avec des musiciens africains, une collaboration avec le Nigérian Femi Kuti. Sur leur deuxième album, Sound Patrol, quelques titres sont donc parés de couleurs africaines (Tassou Dia, African Motion). Le quintet du Maine-et-Loire y retrouve aussi les voix de Jaminka (la poétesse afro-américaine avec qui ils ont enregistré un maxi), et de Jean Gomis (un toaster d'origine guinéenne rencontré sur une scène française). Loin des froides productions électroniques anglaises, le dub français de Zenzile et ses vrais instruments promettent la fièvre. Plus que l'air marin d'outre-Manche, nous plaît la douceur angevine.

Zenzile Sound Patrol (Crash/Pias)